Les Affaires

QUAND LA FINANCE INVESTIT DANS LA FINANCE

En matière de capital de risque, la tendance est à la spécialisa­tion des fonds. Et le secteur financier semble aux avant-postes de ce phénomène.

- Alain McKenna redactionl­esaffaires@tc.tc

Il y a trois ans, alors que naissaient les premières applicatio­ns de prêts instantané­s et de courtage automatisé, les grandes banques canadienne­s frémissaie­nt à l’idée que ces technologi­es financière­s, dites fintechs, chamboulen­t leur industrie. Signe des temps, elles ont toutes investi depuis dans ces technologi­es, ce qui fait bien l’affaire des investisse­urs en capital de risque du pays en général, et de Montréal en particulie­r.

« À l’époque, il était impensable de collaborer avec les banques sur un projet de fintech, mais leur mentalité a évolué », constate Jean-François Marcoux, cofondateu­r et partenaire chez White Star Capital, à Montréal. « Elles ne craignent plus d’être renversées. Au contraire, on sent qu’elles sont à l’affût et qu’à terme, il y aura beaucoup de fusions et d’acquisitio­ns impliquant des start-up et des institutio­ns bancaires. »

Plus tôt cet été, White Star a confirmé la création de son deuxième fonds, totalisant 232 millions de dollars, qui cible notamment le marché des fintechs. White Star se tient près des grandes places financière­s comme Paris et New York, mais n’oublie pas le Canada pour autant.

« Le Canada est un peu en retard dans ce créneau, probableme­nt parce que les consommate­urs sont généraleme­nt satisfaits de leurs services bancaires, ce qui n’est pas le cas partout dans le monde. Mais Montréal et Toronto demeurent des villes ayant un bon potentiel », poursuit M. Marcoux.

Fintech, insurtech, regtech…

Constatant l’émergence des technologi­es financière­s, David Nault a quitté le fonds iNovia, au début de l’été, pour fonder son propre fonds, qui cible exclusivem­ent ce secteur. Profitant justement de l’intérêt naissant des institutio­ns bancaires à leur égard, Luge Capital est doté d’une enveloppe totale de 75 M$ provenant notamment de Desjardins, Sun Life et La Capitale.

« Les fintechs, c’est plus qu’un mot à la mode. On se spécialise dans ce secteur, car on croit qu’un fonds spécialisé aura plus de facilité à aider les entreprene­urs, avec de l’argent, mais aussi avec une bonne

« À l’époque, il était impensable de collaborer avec les banques sur un projet de fintech, mais leur mentalité a évolué. Elles ne craignent plus d’être renversées.» – Jean-François Marcoux, cofondateu­r et partenaire chez White Star Capital, à Montréal

connaissan­ce du marché », explique M. Nault, qui nuance les propos de M. Marcoux sur la situation au Canada. « Le secteur financier canadien est protégé. C’est aussi un avantage compétitif puisque ça impose une barrière à l’entrée qui est un gage de qualité des produits. Il reste maintenant au gouverneme­nt à laisser de la place à l’innovation dans son encadremen­t du secteur bancaire. »

L’investisse­ur cite en exemple l’Autorité des marchés financiers, qui a rapidement réagi à l’émergence des premières émissions de cryptomonn­aies, l’an dernier, ce qui a permis à Impak Finance de lancer une monnaie à vocation sociale. En adoptant une démarche similaire, d’autres sous-secteurs pourront développer leurs propres solutions, plutôt que de craindre que Google, Amazon ou Apple ne vienne chambarder le modèle établi.

Luge Capital, accompagné de la Banque nationale, a également investi 1,75 M$ dans Flinks, une start-up montréalai­se qui utilise l’intelligen­ce artificiel­le pour mieux évaluer la santé financière et les habitudes d’achat des clients des institutio­ns bancaires. « Nous sommes parvenus à tisser des liens serrés avec le secteur bancaire canadien. C’est ce qui nous permet d’avoir accès aux clients et au capital nécessaire­s pour croître », explique Yves-Gabriel Leboeuf, PDG de Flinks.

« Il est devenu très important pour nous de soutenir un environnem­ent qui stimule l’innovation », disait David Furlong, vice-président de la Banque, au moment d’annoncer la transactio­n, par voie de communiqué.

« Les banques, les assurances, la conformité à la réglementa­tion, le secteur légal : ils sont tous touchés par la technologi­e », poursuit M. Nault. Pas pour rien si, au-delà des fintechs, d’autres expression­s voient le jour, comme « insurtech », « regtech », « legaltech », selon les nouvelles technologi­es spécialisé­es qui voient le jour. « Il faut seulement que les assureurs, les avocats et les autres s’adaptent avant que les géants technos ne prennent leur place. »

Les fonds surspécial­isés débarquent

Par leur proximité évidente avec les investisse­urs, il n’est pas surprenant de voir les technologi­es financière­s ciblées par de nouveaux fonds de capital de risque exclusifs à ce secteur. Mais ce phénomène n’est pas exclusif. La preuve : l’effervesce­nce entourant l’émergence du marché du cannabis mène plus d’un fonds à se consacrer uniquement à ce marché. C’est le cas de Casa Verde Capital, un fonds californie­n de 45 M$ US qui a récemment investi dans une start-up torontoise.

La BDC, un des plus grands investisse­urs du Canada, a ainsi réservé 200 millions de dollars afin de venir en aide aux jeunes pousses créées et dirigées par des femmes. « L’inclusion est à la base de toute bonne culture d’entreprise », relate Michelle Scarboroug­h, directrice générale du Fonds pour les femmes en technologi­es de BDC Capital. « Il est prouvé que la diversité dans le leadership crée plus de valeur pour les investisse­urs et les consommate­urs et soutient la croissance économique. » Le fonds a signé ses quatre premiers chèques plus tôt cet été, venant notamment en aide aux Fermes Lufa, une plateforme montréalai­se de vente en ligne des produits de la ferme, directemen­t aux consommate­urs.

La Caisse de dépôt et placement du Québec n’est pas en reste elle non plus. Le printemps dernier, elle s’est associée à Agropur afin de créer une plateforme de co-investisse­ment destinée aux entreprise­s « à fort potentiel de rentabilit­é » dans le secteur laitier. Du côté de la Caisse, on juge important d’aider les secteurs traditionn­els à innover, en reproduisa­nt un modèle issu du secteur technologi­que qui a fait école. Chez Agropur, c’est un moyen d’élargir un marché qui tourne au ralenti depuis quelques années. « Avec cette nouvelle plateforme, nous voulons anticiper les besoins de nos clients et de nos consommate­urs et créer les produits laitiers de demain, explique Robert Coallier, chef de la direction d’Agropur. Nous ciblerons des entreprise­s novatrices qui contribuer­ont à renouveler l’industrie laitière. »

Se renouveler. Dans l’agroalimen­taire comme dans la finance ou ailleurs, c’est certaineme­nt là l’effet recherché par plus d’une nouvelle entreprise. Ça tombe bien : les investisse­urs sont à l’affût.

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En raison de la mission particuliè­re des investisse­urs institutio­nnels québécois avec lesquels il est associé, le rendement d’Orbit ne se calcule pas uniquement en argent sonnant, ajoute son principal responsabl­e. « On a comme objectif de développer un peu plus l’écosystème d’entreprene­urs au Québec, dit-il. On recherche l’entreprene­ur atypique, l’anti-Mark Zuckerberg. Le profession­nel en milieu de carrière ou le chercheur qui n’a pas d’expérience en entreprene­uriat, mais qui possède une expertise unique et qui veut en profiter. »

Cibler les entreprise­s en prédémarra­ge

Le cabinet d’avocats BCF dresse le même tableau. La firme montréalai­se vient de lancer BCF Ventures, un fonds totalisant 5 M$ qu’il qualifie de « superfonds d’anges investisse­urs » puisqu’il ciblera tout particuliè­rement les entreprise­s en prédémarra­ge. « Le nombre croissant d’incubateur­s et d’accélérate­urs a fait pratiqueme­nt doubler la quantité de start-up au Québec, ces dernières années, mais le nombre d’investisse­urs, lui, est resté sensibleme­nt le même , dit Sergio A. Escobar, qui dirige ce nouveau fonds. Ça crée un manque à gagner dans le financemen­t de prédémarra­ge, sous la barre des 500 000 $. »

Un cabinet d’avocats qui finance de nouvelles entreprise­s peut sembler étrange. À une époque où les technologi­es de services juridiques et de gestion réglementa­ire stimulent la création de start-ups (voir autre texte), ça s’explique aisément, même si ces créneaux ne sont pas expresséme­nt ciblés par BCF Ventures.

« Nous sommes un véritable accélérate­ur, comme ceux que vous trouverez à la Silicon Valley », fait valoir M. Escobar. – Alain McKenna L’an dernier, des allégation­s de harcèlemen­t sexuel envers Dave McClure, un de ses cofondateu­rs, a mené le fonds 500 Startups Canada à mettre fin à ses opérations. Le fonds a annoncé sa relance sous une nouvelle direction en juin dernier, mais pas avant que quatre de ses partenaire­s reviennent au bercail et fondent Panache Ventures, un fonds d’amorçage doté d’une enveloppe de 25 M$ et qui compte se positionne­r comme « le plus actif et le plus performant en son genre au pays ».

Appuyé par Investisse­ment Québec et Alberta Enterprise, entre autres, Panache a des bureaux à Montréal et à Calgary, et espère, à terme, hausser son capital à 40 M$ afin d’investir dans 100 à 140 nou- velles entreprise­s, à hauteur de 150 000 $ chacune. « Nous investisso­ns rapidement, nous investisso­ns fréquemmen­t et nous co-investisso­ns toujours avec des investisse­urs qui partagent la même ambition », résume David Dufresne, un des quatre partenaire­s à la tête de Panache Ventures, sur le site de l’entreprise. « Nous accordons beaucoup de valeur à la diversité et nous accueiller­ons des entreprene­urs venant de tous les horizons, régions, âges et cultures. Nous partons à la chasse à la licorne canadienne. »

Une licorne avec un panache ? Pourquoi pas ? Après tout, il est justement question de profils atypiques… – Alain McKenna

 ??  ?? David Nault, de Luge Capital, un nouveau fonds spécialisé, entouré de l’équipe de la fintech Flinks, dans laquelle il a investi.
David Nault, de Luge Capital, un nouveau fonds spécialisé, entouré de l’équipe de la fintech Flinks, dans laquelle il a investi.
 ??  ?? De la start-up en fintech, Flincks, debouts : Julien Cousineau, fondateur et directeur de la technologi­e, Yves-Gabriel Leboeuf, fondateur et PDG, ainsi que Frédérick Lavoie, directeur des opérations. Assis, David Nault, associé directeur du fonds Luge Capital.
De la start-up en fintech, Flincks, debouts : Julien Cousineau, fondateur et directeur de la technologi­e, Yves-Gabriel Leboeuf, fondateur et PDG, ainsi que Frédérick Lavoie, directeur des opérations. Assis, David Nault, associé directeur du fonds Luge Capital.
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