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B Corp : maximiser l’impact social

- Robert Dutton robert-r.dutton@hec.ca Chroniqueu­r invité Biographie

Je crois toujours que le profit ne constitue pas la raison d’être d’une entreprise, mais le moyen d’accomplir son objet.

Pendant plus de 20 ans, il a été président et chef de la direction de Rona. Sous sa gouverne, l’entreprise a connu une croissance soutenue et est devenue le plus important distribute­ur et détaillant de produits de quincaille­rie, de rénovation et de jardinage du Canada. Après avoir accompagné un groupe d’entreprene­urs à l’École d’entreprene­urship de Beauce, Robert Dutton a décidé de se joindre à l’École des dirigeants de HEC Montréal à titre de professeur associé.

J’ai toujours cru que la raison d’être d’une entreprise ne se bornait pas à maximiser la « valeur pour les actionnair­es ». Quand les premières sociétés par actions de l’ère moderne ont été formées aux Pays-Bas et en Angleterre, au début du XVIIe siècle, ce n’était pas dans le dessein de permettre à des actionnair­es de maximiser leurs gains. Les lettres patentes de ces sociétés précisaien­t leur raison d’être. Celle-ci n’était pas particuliè­rement altruiste, mais ce n’était pas le profit. Ce dernier était certes important. L’espérance (généraleme­nt avérée) d’un rendement élevé motivait les investisse­urs à se regrouper pour investir dans des projets d’envergure, qu’ils ne contrôlaie­nt pas, présentant un risque supérieur à la moyenne. Profit et rendement étaient des moyens d’accomplir une mission, pas la mission elle-même. Les B Corporatio­ns: créer de la valeur sociale Je crois toujours que le profit ne constitue pas la raison d’être d’une entreprise, mais le moyen d’accomplir son objet. Je ne suis pas le seul à le penser, ne serait-ce que parce qu’il existe, dans une soixantain­e de pays, plus de 2600 entreprise­s certifiées « B Corporatio­ns » (B Corp) – B comme dans « Benefit » : c’est-à-dire des entreprise­s ayant démontré leur volonté et leur capacité d’avoir un impact positif dans toutes les dimensions de leur activité – l’enrichisse­ment de leurs actionnair­es, certes, mais aussi leurs employés, leurs fournisseu­rs, leurs communauté­s d’accueil. Bref, des entreprise­s qui créent de la valeur sociale tout en étant privées.

Derrière cette idée, il y a une conviction, appuyée par un bon siècle et demi d’histoire: nos problèmes collectifs ne peuvent être réglés par les seuls gouverneme­nts et OBNL. Les entreprise­s à but lucratif doivent contribuer à réduire les inégalités, à protéger l’environnem­ent, à renforcer les collectivi­tés et à créer des emplois de qualité porteurs de sens et de dignité, et ce, au-delà de la seule conformité aux lois et aux règlements. Une certificat­ion exigeante La certificat­ion B Corp existe depuis 2007. Une des premières entreprise­s à l’avoir obtenue est Patagonia, le fabricant de vêtements et de matériel de plein air fondé par l’iconoclast­e à succès Yvon Chouinard.

N’obtient pas la certificat­ion qui veut. L’entreprise candidate doit répondre à un questionna­ire élaboré qui passe en revue ses politiques, pratiques et résultats dans cinq grands champs: la gouvernanc­e, les employés, la communauté, l’environnem­ent, l’impact des modèles d’entreprise. Suivront un ou plusieurs entretiens avec des analystes de B Lab, qui a des bureaux en Pennsylvan­ie, à New York et à Amsterdam; entretiens destinés à valider et à vérifier les prétention­s des candidats, ou encore à appuyer dans son cheminemen­t l’entreprise qui, d’emblée, n’obtient pas tout à fait la note de passage.

La plupart des entreprise­s aujourd’hui certifiées sont à capital fermé: des entreprise­s de taille moyenne, dont les dirigeants sont également les propriétai­res. Il ne faut pas s’en étonner. Ces dirigeants-actionnair­es disposent d’un réel pouvoir discrétion­naire dans la déterminat­ion des objectifs de leur entreprise. Mais certaines entreprise­s cotées en Bourse, comme Natura, une multinatio­nale de cosmétique cotée à la Bourse brésilienn­e, ont obtenu leur certificat­ion. D’autres, certifiées B Corp, ont terminé des premiers appels publics à l’épargne tout en conservant leur certificat­ion. Des multinatio­nales cotées en Bourse cherchent à obtenir leur certificat­ion. Et des filiales de multinatio­nales, comme Ben & Jerry’s et Sundial Brands, du groupe Unilever, sont certifiées. Danone (60 pays, 25 milliards d’euros de ventes) travaille à obtenir sa certificat­ion, alors que six de ses filiales (R.-U., Argentine, Amérique du Nord, Canada, Indonésie, Espagne) ont déjà obtenu la certificat­ion. La valeur sociale n’est donc pas soluble dans la tyrannie des résultats financiers.

Au Canada, environ 230 entreprise­s sont certifiées B Corp. Plusieurs, comme la Brasserie New Deal, Prana Biovegan ou Optel, sont des entreprise­s relativeme­nt petites, mais on trouve aussi de vénérables institutio­ns comme la Banque de développem­ent du Canada et Assomption vie, la société d’assurance acadienne plus que centenaire.

Les milléniaux: satisfaire un marché en quête de sens

Pourquoi faire l’effort d’obtenir une certificat­ion? Les dirigeants-propriétai­res ont sans doute toutes sortes de motivation­s, de la plus noble à la plus cynique. Objectivem­ent, cependant, toute entreprise doit se soucier d’avoir un impact social positif et de la faire savoir.

Démographi­quement, économique­ment, les milléniaux sont en voie de dépasser les baby-boomers. C’est dans cette génération, la plus nombreuse de l’histoire de l’humanité, que les entreprise­s recrutent désormais leurs clients et leurs employés. Or, de nombreuses recherches le montrent, les milléniaux ne sont plus à la recherche de produits ou d’emplois. Comme consommate­urs, comme travailleu­rs, ils sont en quête de sens. Ils veulent avoir le sentiment que leurs achats, que leur travail « fait une différence », qu’il a un impact, même petit, sur la société. Les entreprise­s auront du succès si elles sont en mesure d’offrir ce sens à leurs clients et à leurs employés. Toutes choses égales d’ailleurs, les entreprise­s certifiées B Corp tireront leur épingle du jeu. Plus le temps passera, moins la valeur sociale sera considérée comme le fruit d’un arbitrage avec la valeur privée; elle sera plusvue comme un levier de valeur privée.

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