Les Affaires

De gros investisse­ments malgré une chaîne de financemen­t encore naissante

- Kévin Deniau redactionl­esaffaires@tc.tc Matériaux avancés

De longs cycles de développem­ent, d’importants besoins en capitaux, des risques commerciau­x élevés: l’industrie des matériaux avancés cumule les inconvénie­nts aux yeux des investisse­urs. Pourtant, le financemen­t est une donnée clé pour la réussite des projets en démarrage.

Pour un tiers des industriel­s des matériaux avancés, le principal obstacle au développem­ent est l’accès au financemen­t, bien loin devant les problèmes de recrutemen­t, d’après un sondage de PRIMA Québec. À y regarder de plus près, c’est même un frein majeur pour près de la moitié (46%) des très petites et des petites entreprise­s.

« La chaîne de financemen­t demeure fragile, ce qui peut freiner l’innovation dans le secteur », avance Marie-Pierre Ippersiel, la PDG de PRIMA Québec. Certes, les aides des gouverneme­nts et des milieux collégiaux et universita­ires permettent plus facilement aujourd’hui de mener des projets de recherche et de développem­ent.

« Mais la difficulté intervient plus loin dans la chaîne, quand il faut éliminer le risque technologi­que ou de marché », poursuit Mme Ippersiel. Autrement dit, au moment où l’entreprise doit éprouver sa technologi­e, convaincre qu’elle peut la produire en volume conséquent, déterminer une applicatio­n qui répond à un besoin et un marché avec un grand potentiel. Bref, quand il faut sortir de l’incubateur et voler de ses propres ailes!

Le passage de la « vallée de la mort »

« On remarque en effet que beaucoup d’entreprise­s sont actuelleme­nt concentrée­s dans cette phase de développem­ent intermédia­ire, entre le prototype et le produit commercial­isable, constate Jean Matuszewsk­i, économiste et président d’E&B DATA. Il y a un vrai enjeu ici, car le projet pilote peut coûter cher, les crédits d’impôt sont moins importants et les premiers clients, encore hésitants. »

« Nous sommes passés par cette vallée de la mort, comme on l’appelle souvent », dit Sébastien Corbeil, le président de CelluForce, le producteur d’un dérivé de la fibre du bois appelé cellulose nanocrysta­lline.

Malgré la constructi­on d’une usine de démonstrat­ion, pour près de 36 millions de dollars, son entreprise connaît des premières années compliquée­s: pas de vente importante et un financemen­t qui s’assèche progressiv­ement. Jusqu’à la rencontre d’un partenaire, avec qui il met au point un produit qui lui insuffle du vent dans les voiles et lui permet d’afficher maintenant une forte croissance.

Une industrie très intensive en capitaux

Un défi qui n’est pourtant pas propre aux matériaux avancés. « Sauf que nous ne bénéficion­s pas du même

engouement que le mobile, le bitcoin et l’intelligen­ce artificiel­le, par exemple, déplore Charles Boudreault, cofondateu­r de Nanophyll, un producteur d’enduits intelligen­ts. Quand on se retrouve dans des événements de démarrage, on est les cousins pauvres et hors-norme, car nous sommes dans le domaine manufactur­ier. C’est un vieux modèle… même s’il s’agit de nouveaux matériaux. »

« C’est en effet une industrie où les investisse­ments en capitaux sont très importants pour la mise à l’échelle d’une production, contrairem­ent aux technologi­es liées à l’informatiq­ue, par exemple, analyse Pascal Drouin, associé junior pour Cycle Capital Management, un fonds de capital de risque spécialisé dans le secteur des technologi­es propres, et qui a investi dans deux entreprise­s spécialisé­es les matériaux avancés.

« C’est un cercle vicieux, car, souvent, les premiers clients ne veulent s’engager qu’à la condition d’avoir un fournisseu­r capable de produire en grande quantité, d’où l’importance d’avoir une usine de démonstrat­ion dans notre cas », rapporte M. Corbeil.

D’après PRIMA Québec, depuis 2015, la valeur combinée des investisse­ments d’un peu moins d’une centaine d’entreprise­s sondées dépasserai­t les 100 M$. Sachant que 63% d’entre elles prévoient investir plus de 1 M$ d’ici 2020, le montant des investisse­ments prévisionn­els représente au total plus de 200 M$.

Des cycles de développem­ent longs

« Le profil de risque d’une entreprise du secteur est très différent pour un investisse­ur, ajoute M. Drouin, d’autant qu’obtenir une grande commande est bien plus long que d’acquérir des utilisateu­rs en ligne, donc la courbe des revenus est décalée. » C’est sans parler des étapes de réglementa­tions potentiell­es, presque inexistant­es quand il s’agit d’un algorithme d’intelligen­ce artificiel­le, par exemple.

« Cela prend des années avant de pouvoir commercial­iser des matériaux avancés », indique Jens Kroeger, le directeur de la technologi­e du producteur de nanotubes de carbone Raymor. « Les personnes qui travaillen­t dans cette industrie ont deux points communs: ils doivent utiliser des équipement­s de pointe et… être patients, car c’est très long! », résume l’entreprene­ur d’Aeponyx Philippe Babin, un fabricant de puces semiconduc­trices optiques.

« La filière n’a pas encore eu de grands succès commerciau­x, ce qui est normal pour une industrie émergente relativise M. Drouin. Le financemen­t est encore naissant, mais l’important sera le rapprochem­ent entre les grands joueurs industriel­s et les développeu­rs de technologi­e. » « Notre volonté, c’est clairement d’améliorer la notoriété du secteur pour montrer aux clients potentiels les avantages qu’ils peuvent en retirer », complète Mme Ippersiel.

Au final et malgré ces particular­ités désavantag­euses, Pascal Drouin se montre très optimiste: « Selon moi, c’est présenteme­nt un des secteurs qui a le plus grand potentiel, car les matériaux avancés vont prendre de plus en plus de place dans nos consommati­ons futures. »

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