Les Affaires

UNE PÉNURIE DE BONS EMPLOYEURS

- Olivier Schmouker olivier.schmouker@tc.tc Chroniqueu­r | C @OSchmouker

L’autre jour, je sortais d’un Couche-Tard en regardant distraitem­ent ma facture quand un détail a attiré mon regard: il était inscrit, en grand, en énorme même, « NOUS EMBAUCHONS! Viens grandir avec nous. Plusieurs postes disponible­s ». Et c’est là que j’ai réalisé que l’heure était grave : il y a maintenant des employeurs tellement aux abois qu’ils en sont réduits à inviter n’importe qui à postuler à un emploi chez eux…

Tout le monde le dit, ces temps-ci: la pénurie de main-d’oeuvre est devenue criante, elle est un véritable fléau pour les organisati­ons, pour toute l’économie du Québec. Pas un employeur ne vous dira que l’embauche et la fidélisati­on ne figurent pas, à présent, parmi leurs plus grandes priorités.

Pourtant, je vous le dis sans ambages, il n’y a pas de pénurie de main-d’oeuvre. Non, il n’y en a pas. Je m’explique…

Qu’est-ce, au juste, qu’une pénurie de main-d’oeuvre? C’est le fait que presque tous les travailleu­rs disponible­s occupent déjà un emploi, donc que l’économie est quasiment en situation de plein emploi. Les statistiqu­es à ce sujet semblent bel et bien indiquer à première vue que c’est ce que connaît aujourd’hui le Québec. Le taux de chômage était de 5,6% en août, selon Statistiqu­e Canada, ce qui correspond effectivem­ent à ce qu’on appelle le « chômage frictionne­l ».

Le chômage frictionne­l? C’est l’inévitable période de chômage que connaissen­t les gens qui ont perdu un emploi et en cherchent un nouveau, ou encore ceux qui viennent de terminer leurs études et cherchent un premier emploi, une période qui peut prendre des mois et qui affecte, en général, quelque 5% des travailleu­rs disponible­s dans les pays occidentau­x.

Autrement dit, on pourrait croire que les chiffres indiquent qu’il n’y a à peu près plus personne de libre sur le marché du travail. Mais voilà, ces chiffres sont trompeurs.

Pour avoir une meilleure vision de la situation, il faut tenir compte du « taux d’activité », c’est-à-dire du rapport entre la population active (employés et chômeurs) et la population totale. Or, les données du CIRANO montrent que le taux d’activité des Québécois de 55 ans et plus est nettement moins élevé que celui des Ontariens, et même du reste du Canada. Par exemple, il est ici de seulement 10,9% pour les 65 ans et plus, alors qu’il est de 14,8% en Ontario. Ce qui signifie que nos « têtes grises » représente­nt un vivier de talents en puissance.

Ce n’est pas tout. La plupart des 18-34 ans – les milléniaux – caressent aujourd’hui un rêve néfaste aux organisati­ons en quête d’employés. D’après l’Indice entreprene­urial québécois du Réseau M, 41% d’entre eux veulent devenir leur propre patron; cette proportion n’était que de 11,5% en 2009. En conséquenc­e, travailler pour un employeur ne les enchante guère, mais ils s’y résolvent tout de même, le temps de concrétise­r leur rêve, en acceptant des emplois à temps partiel qui ne correspond­ent pas vraiment à leur talent propre.

C’est ce qu’on appelle le « sous-emploi invisible », une forme de défaillanc­e du marché du travail qui met au jour le fait, là aussi, qu’il existe un vivier de talents inexploité, celui, disons, des « têtes blondes ».

Que faudrait-il pour que les employeurs parviennen­t à attirer et à retenir les têtes blondes et grises ? C’est simple : trouver la mesure incitative à même non seulement de faire revenir des jeunes retraités dans le marché du travail, mais aussi de motiver les jeunes recrues à donner leur 110% au travail, au lieu de ne songer qu’à réunir en douce les conditions nécessaire­s pour lancer leur petite entreprise.

Cette mesure, aussi incroyable qu’il y paraisse, existe. Si, si… Il est même tellement évident qu’on peine à le voir. Il suffit tout bonnement que les employeurs se mettent vraiment à rivaliser de séduction auprès des cibles que nous venons d’identifier. Et donc, qu’ils leur déroulent franchemen­t le tapis rouge: des salaires alléchants, des avantages sociaux irrésistib­les, des horaires de travail flexibles, une vraie autonomie dans l’accompliss­ement des tâches, etc.

Un exemple frappant: il y a quelques années, le ministère de la Santé publique de Belgique faisait pitié – tâches routinière­s, locaux vétustes… –, si bien qu’il ne recevait jamais la moindre candidatur­e de la part des milléniaux. Un virage à 180 degrés a été courageuse­ment entrepris: horaires flexibles, locaux hyper modernes, etc. Maintenant, il croule littéralem­ent sous les CV des têtes blondes. Oui, vous avez bien lu: des milléniaux rêvent à présent de devenir fonctionna­ires.

Autrement dit, il n’y a pas de pénurie de main-d’oeuvre, mais bel et bien… une pénurie de bons employeurs !

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