Les Affaires

À quand la fin de la tutelle pour l’OIQ ?

- Jean-François Venne redactionl­esaffaires@tc.tc Profession : ingénieur

En juillet 2016, le gouverneme­nt de Philippe Couillard plaçait sous tutelle administra­tive l’Ordre des ingénieurs du Québec (OIQ), en se basant notamment sur un avis de l’Office des profession­s du Québec.

L’Office critiquait l’efficacité des activités de contrôle de l’exercice de la profession d’ingénieurs par l’OIQ, ainsi que sa stabilité financière, remettant même en cause sa capacité d’assumer sa mission de protection du public. Trois administra­teurs étaient désignés pour accompagne­r l’Ordre et le superviser.

L’actuelle présidente de l’OIQ, Kathy Baig, était en poste depuis moins de deux mois au moment de cette décision. Elle travaille depuis à remettre l’organisme sur les rails, avec notamment l’espoir de mettre fin à cette tutelle. En juillet dernier, Stéphanie Vallée, qui occupait alors le poste de ministre de la Justice, annonçait qu’il restait des étapes à franchir avant de redonner une autonomie complète à l’OIQ.

Deux ans de réformes

« Lorsque la mise sous tutelle a été annoncée, le gouverneme­nt nous demandait d’accélérer la transforma­tion de l’Ordre. Nous avons beaucoup accompli en ce sens depuis deux ans, notamment pour renforcer nos mécanismes de protection du public », soutient Mme Baig.

Elle cite entre autres la réduction du nombre d’enquêtes sur la liste d’attente du syndic, passé de plus de 600 à environ 250. Les délais d’enquête, eux, ont été réduits du tiers, chutant de 36 mois à une moyenne variant de 12 à 14 mois.

L’inspection profession­nelle constitue aussi un enjeu important. L’OIQ vise à inspecter environ 3 000 membres annuelleme­nt. La cible devrait être atteinte en 2019. À la fin de 2018, elle en aura inspecté 2 600. « Nous ne voulons pas simplement nous contenter d’atteindre des objectifs chiffrés, nous souhaitons aussi améliorer l’impact de ces inspection­s afin de nous assurer que nos profession­nels en retirent toujours quelque chose », précise la présidente. À ce titre, l’OIQ a réalisé un sondage auprès de ses membres, récemment, selon lequel 98 % des répondants affirment que l’inspection profession­nelle les a aidés à améliorer leurs pratiques.

Par ailleurs, l’OIQ tente aussi de faciliter l’obtention d’un permis d’ingénieur pour les profession­nels formés à l’étranger, sans mettre en cause la protection du public. Des données de l’Ordre montrent que 58 % des demandeurs obtiennent un permis dans un délai de 16 mois. L’OIQ aimerait qu’environ 75 % des demandeurs reçoivent ce permis à l’intérieur de 8 à 9 mois. Pour y arriver, l’organisme a modifié sa pratique, en personnali­sant davantage les dossiers, en offrant un meilleur accompagne­ment aux demandeurs et en tenant davantage compte de leur expérience antérieure.

« Nos changement­s visent à instituer un changement de culture profond et durable à l’Ordre, poursuit la présidente. Très humblement, je crois qu’avec les modificati­ons qui ont été apportées ou qui sont en cours quant aux mécanismes de protection du public, et avec la révision de la gouvernanc­e ainsi que les ajustement­s sur le plan financier, il est temps de lever la tutelle. »

Une régie à la place de l’Ordre ?

Pour certains, cependant, lever la tutelle ou non ne modifiera pas tant que ça l’impact réel de l’OIQ. Très critique des agissement­s de l’Ordre depuis quelques années, Giuseppe Indelicato, président de l’Associatio­n pour la défense des intérêts des ingénieurs, rappelle que le projet de loi 98 a déjà modifié l’administra­tion des ordres profession­nels, notamment en augmentant le nombre de membres des conseils d’administra­tion issus du public.

« Les membres du public sont en fait choisis par l’Office des profession­s, souvent en fonction de leur loyauté à l’égard du gouverneme­nt, dénonce-t-il. À quoi bon alors avoir un conseil d’administra­tion élu, si les membres élus n’ont plus de poids ? »

Il va même plus loin en constatant que l’Assemblée générale de l’OIQ ne sert plus à grand-chose, si ce n’est qu’à entériner le choix du vérificate­ur financier choisi par le conseil. « À ce compte-là, pourquoi continuer d’avoir une structure aussi coûteuse qu’un ordre profession­nel ? demande-t-il. Pourquoi ne pas plutôt avoir une régie relevant du Vérificate­ur général, avec des fonctionna­ires formés pour effectuer la surveillan­ce qu’exerce l’Ordre présenteme­nt ? »

Patrik Doucet, doyen de la Faculté de génie de l’Université de Sherbrooke, croit, lui, que l’Ordre a progressé dans la bonne direction depuis deux ans, notamment sur le plan de la gouvernanc­e.

Il rappelle que les trois administra­teurs nommés par le gouverneme­nt agissent plus comme observateu­rs et laissent déjà beaucoup de marge de manoeuvre aux administra­teurs de l’Ordre. Selon lui, l’atmosphère à l’OIQ est beaucoup plus saine qu’en 2016 et l’Ordre devrait retrouver la possibilit­é de s’administre­r elle-même.

Reste à voir si le gouverneme­nt partage cet avis.

Grâce à l’impulsion donnée par les gouverneme­nts, les grands projets ne manquent pas à l’échelle du pays, que ce soit dans le domaine des transports (REM, nouvelles voitures de la STM, tramway de Québec, LRT à Ottawa, etc.) ou des grandes infrastruc­tures (pont Champlain, échangeur Turcot, pont-tunnel Louis-Hippolyte-La Fontaine, etc.). À tel point que les ingénieurs spécialisé­s dans ces domaines deviennent une denrée rare pour les firmes de génie-conseil.

Salaires à la hausse

« Le milieu de la constructi­on est en pleine ébullition dans la région de Montréal », rappelle Steve Lécuyer, actionnair­e dirigeant régional pour les régions du Québec et de l’Atlantique de GHD, une firme mondiale de génie. Selon lui, les nombreux projets en cours mettent une pression importante sur les firmes. « Il n’existe qu’une certaine quantité de main-d’oeuvre disponible et il est difficile de recruter des travailleu­rs de l’extérieur de la province, comme ce pouvait être le cas en Alberta il y a plusieurs années, car le pays entier nous a déjà aidés à supporter ce boom. »

Pour André Rainville, PDG de l’Associatio­n des firmes de génie-conseil du Québec, nul doute que l’avenir s’annonce très prometteur pour le milieu de la constructi­on dans son ensemble. « Le programme d’investisse­ments de 100 milliards de dollars sur 10 ans mis en place par le gouverneme­nt provincial ainsi que les projets triennaux de mise à niveau des infrastruc­tures à l’échelle municipale permettent d’anticiper un développem­ent favorable au cours des trois à cinq prochaines années. »

Mais ce contexte positif pourrait faire grimper les salaires et exercer en même temps une pression sur la rentabilit­é des firmes d’ingénierie­conseil, qui ont déjà conclu leurs ententes avec leurs clients il y a plusieurs mois.

« Nous avons près de 450employé­s au Québec et une centaine de postes ouverts. Le problème, c’est que lorsqu’on recrute quelqu’un, on perd une autre ressource le lendemain. L’enjeu n° 1 est donc devenu la main-d’oeuvre », affirme M. Lécuyer, qui ne cache pas que sa firme est devenue plus de plus en plus sélective sur les projets auxquels elle choisit de participer.

Après avoir vu bondir ses effectifs de 480% en l’espace de cinq ans, notamment grâce à une fusion avec la firme LVM, en 2014, le spécialist­e en ingénierie des sols et de l’environnem­ent, Englobe Corp, entrevoit lui aussi la croissance à venir comme un défi.

« Nous entrons dans un marché où nous devons refuser certains contrats afin de nous assurer de conserver le bon équilibre », annonce le coprésiden­t, Alain Robichaud.

Vers une possible pénurie?

Cette effervesce­nce est palpable jusque sur les bancs des écoles de génie. Après avoir observé un phénomène de rationalis­ation au sein des grandes firmes à la suite de la Commission Charbonnea­u et du déclin des

contrats octroyés par le gouverneme­nt, Pierre Rivet, directeur du développem­ent des affaires à l’École de technologi­e supérieure (ÉTS), constate que la demande est repartie en forte hausse. « Avec le resserreme­nt des normes et l’arrivée de grands projets tels que le pont Champlain, l’échangeur Turcot et le REM, on reçoit désormais près de 200 offres de stage par année en génie-conseil, contre une dizaine dans les années creuses. » Pour répondre à ce défi, les écoles comme l’ÉTS ont tenté de mettre les bouchées doubles, mais sans parvenir à combler entièremen­t le retard.

« Nous avons plus que doublé le nombre d’étudiants en génie civil au cours des six dernières années, et l’équilibre était déjà fragile puisque chaque finissant recevait une offre d’emploi. En deux ans, le nombre d’offres a encore augmenté de 30 % à 40%. » Résultat ? L’ÉTS reçoit présenteme­nt des dizaines d’offres par semaine, alors que l’ensemble de ses étudiants a déjà été placé en stage d’automne. « Nous nous dirigeons vers une légère pénurie. Et on anticipe peu les départs à la retraite qui vont s’additionne­r, mais qui ne pourront pas être directemen­t remplacés par des juniors », rappelle M. Rivet.

Des gestionnai­res d’équipes recherchés

Du côté des employeurs, les profils recherchés sont très variés.

« Cela va du technicien en génie civil aux équipes de conception assistée par ordinateur, en passant par les ingénieurs chargés de projets. Toutes les fonctions sont concernées », dit Isabelle Jodoin, vice-présidente principale, Québec, de Stantec, qui note toutefois que les compétence­s en gestion d’équipes et de projets sont particuliè­rement demandées, pour encadrer des dossiers devenus plus gros et complexes. Chez Cima+, on cherche à recruter à la fois des ingénieurs juniors et intermédia­ires, ainsi que des ressources plus chevronnée­s. « On regarde aussi pour des dessinateu­rs, des inspecteur­s et des personnes spécialisé­es en finances et RH », rapporte François Plourde.

Sans oublier que pour alimenter les grands travaux à venir, comme le REM ou les projets de la STM, certaines firmes sont à la recherche de profils de niche.

« On va rechercher des profils spécialisé­s en systèmes pour gérer les trains automatiqu­es. Sur certaines de ces compétence­s, il n’existe encore qu’une poignée de ressources au Québec », nous confie Martin Thibault, vice-président, Transports de Stantec. La STM s’inquiète elle aussi de la tension actuelleme­nt présente sur le marché du travail.

« Actuelleme­nt, plusieurs projets d’envergure font appel aux mêmes types de ressources, comme le REM ou le projet de tramway à Ottawa. La question est de savoir s’il y aura assez de ressources spécialisé­es pour tout le monde », glisse François Chamberlan­d, directeur exécutif, Ingénierie, infrastruc­tures et projets majeurs de la STM.

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La forte demande de main-d’oeuvre pourrait faire grimper les salaires et exercer une pression sur la rentabilit­é des firmes québécoise­s d’ingénierie-conseil.
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