Les Affaires

L’OR A-T-IL ENCORE DE LA VALEUR ?

Sur le radar

- Chronique François Pouliot f_pouliot Agnico-Eagle (AEM, 48,24 $)

or est-il sur le point de devenir une relique du passé, une valeur dont il vaudrait mieux se défaire ? La question semble resurgir, alors que le métal précieux languit depuis cinq ans et a connu récemment une faiblesse qui l’a fait passer sous les 1 200$ US l’once.

Ce n’est pas la première fois que le prix de l’or suscite des interrogat­ions.

Au début des années 1990, les banques centrales avaient déclenché une véritable débâcle en y allant de délestages massifs.

Le courant de pensée était alors le suivant: l’or n’est plus qu’une simple commodité. Il n’est d’aucun intérêt financier puisque, contrairem­ent aux devises, il ne génère pas d’intérêts. Son prix devrait être sous forte pression pour plusieurs années, puisqu’en dégarnissa­nt leurs coffres, les banques centrales feront tout simplement déborder l’offre et déséquilib­reront le marché.

Nous étions personnell­ement en désaccord. Notre objection se résumait à ceci : c’est oublier que l’or est l’ultime valeur, le seul intermédia­ire de marché universell­ement reconnu par l’histoire qui ne soit pas lié à la force d’une économie. Prenons trois bombes atomiques qui tomberaien­t, l’une sur New York, l’une sur Washington et l’une sur San Francisco. Au lendemain de l’événement, que préférerie­z-vous avoir dans vos poches? Des dollars américains (dont la valeur serait plus qu’incertaine) ou des pépites d’or ?

Ainsi était née la prophétie annonçant le retour en faveur de l’or. Les bombes atomiques prirent plutôt les noms de « bulles » (financière­s et immobilièr­es), le dollar américain fondit et les investisse­urs cherchèren­t l’or de nouveau.

Cette fois, c’est différent

Il est vrai que cette fois, la situation est différente.

Le premier pari était facile (bien que notre position ait déclenché l’hilarité dans la salle de rédaction). L’or s’était enfoncé jusqu’à 255$ US l’once sur un mauvais courant de pensée, un mauvais paradigme. Il était assez facile de prédire un retour non loin du point de chute d’origine, vers les 500 $ US.

Nous sommes aujourd’hui à 1 200 $ US, un niveau nettement plus élevé et une croissance supérieure à l’inflation. Inversemen­t, il est vrai que le métal précieux est déjà monté à 1 800$ US, et peut aussi avoir l’air d’une aubaine au prix actuel.

Il est en fait très difficile, sinon impossible, d’établir un prix fondamenta­l pour l’or. C’est déjà complexe pour une entreprise qui fait des bénéfices. On peut facilement faire doubler la valeur d’une entreprise ou la diviser en deux, simplement en haussant ou en abaissant le multiple, en fonction de la lecture des perspectiv­es à venir. Viendra cependant un moment où les bénéfices escomptés se réaliseron­t et où la valeur s’établira fondamenta­lement (le multiple s’ajustant en fonction des résultats obtenus et des nouvelles perspectiv­es annoncées par ceux-ci). Malheureus­ement, l’or ne bénéficie pas de ce mécanisme de profits ultimement stabilisat­eur. Sa valeur sera toujours essentiell­ement fonction de la confiance qu’on lui porte. Quand même, certaines indication­s positives Cela dit, il y a quand même certaines indication­s qui montrent que la fenêtre d’investisse­ment dans le secteur aurifère pourrait être intéressan­te.

Dans un récent commentair­e, les analystes de Credit Suisse estiment que le dollar américain pourrait être près d’un sommet. Le billet vert est généraleme­nt le vecteur auquel on accorde le plus d’importance dans l’évaluation des fondamenta­ux du métal précieux. Historique­ment, le prix de l’or y est inversemen­t corrélé. Le dollar grimpe, l’or est sous pression; le dollar descend, l’or croît.

Les analystes soulignent que les cycles favorables à la hausse du dollar n’ont jamais duré plus de sept ans. Or, le dernier cycle s’est amorcé en mai 2011, et nous sommes déjà dans la huitième année.

Le cycle économique s’étire lui aussi pendant ce temps, et on peut s’interroger sur sa pérennité, alors qu’on prévoit que les déficits jumeaux (fiscal et commercial) des États-Unis s’établiront à 8,4% du PIB.

Autre élément qui tend à illustrer que le dollar américain est en avant de son prix : sur la base de la parité des pouvoirs d’achat, l’euro semble 13 % trop bas, alors que le yen est près d’un creux historique.

Outre le vecteur dollar américain, d’autres facteurs sont perçus comme positifs pour le prix de l’or. Par exemple, les positions à découvert sur le métal jaune sont maintenant à un niveau extrêmemen­t élevé. Cela peut être interprété comme un signal négatif, mais aussi comme un excès de pessimisme et peut procurer une poussée haussière décuplée.

Certains spéculent aussi que la Banque de Chine pourrait décider de détenir moins de dollars américains en réserve si la guerre commercial­e s’intensifie avec les États-Unis (pourquoi aider l’ennemi à se financer ?), et ainsi augmenter ses réserves d’or.

Faut-il investir dans les titres aurifères ?

Une double motivation semble militer en faveur d’un investisse­ment dans les titres aurifères. Non seulement le prix de l’or est en apparence relativeme­nt bien appuyé par les fondamenta­ux, mais les titres se négocient à des multiples qui ne sont pas loin d’un bas historique. On notera en outre que, depuis le début de l’année, le prix de l’or a reculé d’environ 10 %, mais que l’AMEX Gold Bugs Index est en repli de 27 %.

Credit Suisse aime particuliè­rement AgnicoEagl­e (AEM), Goldcorp (GG), Newmont (NEM) ainsi que Yamana Gold (YIR).

On se garderait cependant de conclure que l’affaire est assurément dans le sac.

La Fed continue d’anticiper trois hausses de taux d’intérêt en 2019 et une autre en 2020. Il est possible que le dollar américain continue de grimper dans ce contexte et que l’or demeure sous pression.

La meilleure fenêtre d’entrée pourrait être plus tard, fin 2019, lorsque les taux d’intérêt auront été normalisés. Mais il est aussi possible de la rater, car on ne sait jamais quand un marché décidera d’agir en anticipati­on.

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