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Industrie de l’alumium

Tarifs douaniers : l’inquiétude persiste

- Pierre Théroux redactionl­esaffaires@tc.tc

L’industrie de l’aluminium aura espéré jusqu’à la dernière minute. Mais le nouvel Accord États-Unis–Mexique–Canada (AEUMC) a finalement été conclu sans la suppressio­n des tarifs de 10 % sur les importatio­ns de produits d’aluminium en provenance du Canada, imposés par le gouverneme­nt américain depuis le 1er juin.

L’Associatio­n de l’aluminium du Canada (AAC), qui souhaitait une exemption totale, permanente et sans quotas pour les exportatio­ns canadienne­s d’aluminium, se réjouit de l’entente entre les trois pays, mais est évidemment déçue de voir que les tarifs sur l’aluminium n’ont pas été abolis du même coup. « La bonne nouvelle, c’est que l’entente n’est pas encore signée. Nous pouvons bâtir sur le momentum des négociatio­ns et arriver à une entente prochainem­ent », commente Jean Simard, président et chef de la direction de cette associatio­n qui représente les trois producteur­s d’aluminium Alcoa, Alouette et Rio Tinto. Ces géants exploitent 10 usines au Canada, dont 9 au Québec, et emploient plus de 8 000 travailleu­rs.

L’industrie de l’aluminium persiste et signe : l’approvisio­nnement en aluminium venant du Canada devrait être considéré comme faisant partie intégrante de la chaîne d’approvisio­nnement de la sécurité nationale des États-Unis, et non comme la menace stipulée par l’article 232 qui a mené à l’imposition de tarifs, estime l’AAC. « Comme c’est le cas depuis la Seconde Guerre mondiale, l’aluminium canadien a joué et peut encore jouer un rôle clé dans les efforts de défense des États-Unis », rappelle M. Simard.

Pertes de revenus et d’emplois

Le Canada est le quatrième pays producteur d’aluminium primaire, après la Chine, la Russie et le Moyen-Orient. Sa production est concentrée principale­ment au Québec, et 84 % des exportatio­ns d’aluminium de première fusion vont vers les États-Unis, engendrant des revenus de 5,6 milliards de dollars.

« À court terme, il n’y a pas vraiment d’impact, sauf sur les marges bénéficiai­res. On a de grands producteur­s d’importance mondiale qui ont des relations d’affaires suffisamme­nt robustes pour maintenir la cadence », reconnaît M. Simard. D’autant que la demande d’aluminium chez nos voisins du Sud est très forte. Les États-Unis consomment 5,5 millions de tonnes d’aluminium, mais en produisent seulement 700 000 tonnes.

À plus long terme, toutefois, le scénario pourrait changer, s’empresse d’ajouter M. Simard. « La Chine et l’Inde continuent de bâtir des capacités de production. On risque de se faire gruger nos parts de marché », précise-t-il.

L’aluminium canadien exporté aux États-Unis dessert principale­ment les secteurs de l’automobile, de l’aéronautiq­ue et de la constructi­on. Ces industries, particuliè­rement celui de la constructi­on automobile, pourraient aussi se tourner vers des matériaux de substituti­on comme des composites ou de l’aluminium recyclé, craint Jean Simard. Le Canada fournit l’aluminium qui entre notamment dans la constructi­on des modèles Tesla et Ford 150.

Frein au développem­ent

La nouvelle situation tarifaire risque aussi d’engendrer d’importante­s pertes de revenus et d’emplois dans l’industrie québécoise de la transforma­tion.

« Les tarifs sont venus freiner l’élan d’un secteur qui avait le vent dans les voiles ces dernières années », souligne Marie Lapointe, PDG de la Grappe industriel­le de l’aluminium du Québec (AluQuébec), une organisati­on qui soutient l’industrie québécoise de la transforma­tion d’aluminium.

Plus de la moitié des transforma­teurs anticipent des effets négatifs sur les flux de trésorerie (62 %), sur l’emploi (53 %), voire sur la viabilité des activités de leur entreprise (52 %), indiquait un sondage réalisé en juillet dernier auprès des quelque 1 500 transforma­teurs d’aluminium établis au Québec.

On estime ainsi qu’entre 3 000 et 8 000 emplois pourraient être menacés par la nouvelle situation tarifaire, qui comprend aussi les contre-mesures canadienne­s imposées par le gouverneme­nt canadien depuis le 1er juillet. Les entreprise­s les plus vulnérable­s sont les producteur­s de feuilles, d’extrusions et de plaques qui sont aussi assujettis à une surtaxe de 10 % sur l’importatio­n d’aluminium des États-Unis.

« L’imposition de tarifs compromet la croissance de plusieurs entreprise­s, particuliè­rement celles de la deuxième transforma­tion, qui ne peuvent refiler la facture à leurs clients qui pourraient décider de s’approvisio­nner ailleurs », indique Mme Lapointe.

Au Saguenay–Lac-Saint-Jean, le transforma­teur PCP Aluminium a coupé un quart de travail dès l’annonce des tarifs. Les taxes ont aussi eu pour effet de mettre sur la glace « un projet de création d’une nouvelle entreprise qui souhaite lancer un produit semi-fini à haute valeur ajoutée existant, mais qu’on ne produit pas en Amérique du Nord », affirme Malika Cherry, directrice générale de la Société de la Vallée de l’aluminium, qui ne peut en dévoiler davantage pour l’instant.

L’organisme, qui travaille à l’émergence de nouvelles activités de production dans le secteur de l’aluminium, note par ailleurs que les investisse­urs étrangers sont devenus plus réticents à réaliser des projets au Québec. « Les tarifs et le climat d’incertitud­e ont eu pour effet de remettre en question les bonnes relations commercial­es avec les États-Unis », dit Mme Cherry.

AluQuébec a été créé en 2015 afin de contribuer à doubler à 10 G$ d’ici 2025 les exportatio­ns de produits d’aluminium transformé­s au Québec. « La cible est compromise », reconnaît Marie Lapointe, en soulignant que les exportatio­ns avaient atteint 6,7 G$ en 2017.

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Le Canada est le quatrième pays producteur d’aluminium primaire, après la Chine, la Russie et le Moyen-Orient.

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