Les Affaires

Une bonne histoire, svp !

- Philippe Le Blanc « Show me the money! »

Notre cerveau est ainsi fait qu’on aime tous entendre une bonne histoire. C’est ce qui rend une présentati­on intéressan­te. C’est ce qui différenci­e un bon professeur d’un autre qui est ennuyeux. C’est aussi ce qui capte l’attention des investisse­urs. Donnez-nous un titre boursier au sujet duquel on peut raconter une histoire simple et captivante, et 80% de la vente est faite.

Des exemples? Je pense à quelques vieilles histoires: « L’Internet est la voie du futur. Tout s’en va en ligne. Ceux qui n’investisse­nt pas dans les titres Internet sont des dinosaures », ou bien « Les prix de l’immobilier ne peuvent que monter. C’est une façon presque certaine de s’enrichir », ou encore « Un titre qui procure un rendement du dividende de 6% ne peut pratiqueme­nt pas baisser. » Enfin: « Tesla étant le premier acteur à avoir développé une gamme d’autos électrique­s, elle est la mieux placée pour dominer ce marché qui connaîtra une forte croissance au cours des nombreuses années à venir. »

Plus récemment, j’entends souvent cette belle histoire: « Avec sa légalisati­on du cannabis, le Canada développer­a une industrie et des acteurs qui domineront le vaste marché mondial du cannabis et de ses dérivés. » J’ai aussi écrit récemment sur le fait que les médias semblaient tous s’entendre pour dire que, après un marché haussier de 10 ans, une correction semblait inévitable – n’est-ce pas une autre belle histoire?

Pourquoi sommes-nous tant influencés dans nos décisions par de telles histoires? Dans son livre Sapiens, Yuval Noah Harari écrit: « Nous sommes les seuls mammifères qui peuvent coopérer avec de nombreux étrangers, car seulement nous savons inventer des histoires fictives, les diffuser et convaincre des millions d’autres personnes de les croire. »

Ces bonnes histoires l’emportent la plupart du temps sur les faits, ce que, en investisse­ment, on appelle les données fondamenta­les. On se fait accrocher par cette belle histoire et le reste devient secondaire. Essayez de faire changer d’idée à un investisse­ur qui a été convaincu par une belle histoire.

De plus, une fois qu’on a pris la décision d’acheter, un autre biais psychologi­que vient prendre le relais pour nous convaincre qu’on a fait la bonne chose : le biais de confirmati­on. Il s’agit de cette tendance qu’on a de ne considérer que les informatio­ns qui viennent confirmer notre choix et d’ignorer ou de rejeter celles qui le remettent en cause. N’avez-vous jamais remarqué cette tendance chez les autres investisse­urs ? (il est bien sûr difficile de le remarquer chez soi). L’investisse­ur qui a vendu toutes ses actions il y a quelques années parce qu’il croyait qu’une correction était imminente lit depuis ce temps quantité d’articles qui lui laissent croire que son raisonneme­nt était bon. À mon avis, cette prédilecti­on pour les bonnes histoires pourrait expliquer les évaluation­s souvent démesurées des titres de société de croissance. Des titres comme Tesla, Amazon ou Netflix présentent des histoires bien plus captivante­s que celles des titres sous-évalués, délaissés des investisse­urs et n’offrant rien de bien excitant.

Mais, à long terme, il faut bien plus qu’une belle histoire pour qu’un titre enrichisse les investisse­urs; il faut surtout des bénéfices. Il faut que les finances finissent par suivre et qu’elles confirment les promesses de départ.

Tesla sera un succès boursier dans 10 ans seulement si, entre-temps, la société a su augmenter sensibleme­nt sa production et réaliser des bénéfices importants. Avec une capitalisa- tion boursière de 52 milliards de dollars acutllemen­t, la commande est grosse.

J’en ai entendu, de belles histoires, depuis 1992! Rares sont celles qui ont réussi à confirmer ce qui semblait une idée initiale brillante. Vous rappelez-vous Orbite Technologi­es? Cette société québécoise promettait au départ un procédé révolution­naire pour extraire l’alumine de la bauxite, puis produire des métaux rares à même les rebuts miniers. Même chose pour Petrolia, qui promettait de produire du pétrole au Québec.

J’en suis venu à la conclusion que les plus belles histoires sont celles que nous racontent les faits, les chiffres et les feuilles de route des entreprise­s. Ce succès se traduit par des bénéfices importants et croissants et par un rendement élevé du capital investi. Couche-Tard, un des plus grands succès boursiers québécois des 30 dernières années, ne présentait pas une histoire particuliè­rement excitante à ses débuts – qui aurait été attiré par l’histoire d’un simple exploitant de dépanneurs québécois?

On veut vous raconter une belle histoire? Répondez que vous ne vous laisserez convaincre que par les résultats financiers. Comme disent les Américains: « Show me the money! »

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