Les Affaires

Un vent baissier souffle sur les pays émergents

- Stéphane Rolland stephane.rolland@tc.tc srolland_la Investir

L’ours a déjà rugi dans les pays émergents. Alors que la nervosité monte à Wall Street, les actions des pays émergents sont déjà dans un marché baissier, reculant de plus de 20% par à rapport à leur sommet de 52 semaines. Elles ont l’air d’aubaines par rapport à leurs semblables de la Bourse de New York, mais le sont-elles vraiment ?

De nombreux vents contraires soufflent sur les pays émergents. Les indicateur­s économique­s pointent vers un ralentisse­ment de la croissance économique à un moment où l’on se demande si la guerre tarifaire risque d’aggraver les choses.

La normalisat­ion de la politique monétaire par la Réserve fédérale (Fed), aux États-Unis, a des conséquenc­es à l’étranger : elle force les banques centrales locales à considérer à leur tour une hausse des taux pour éviter une dévaluatio­n de leurs devises et donne un élan au dollar américain. Un dollar américain fort représente aussi un facteur de risque pour les entreprise­s et les gouverneme­nts qui ont contracté des dettes libellées dans cette devise.

Le cocktail a plombé les actions des pays émergents. L’indice MSCI des marchés émergents a perdu 22% depuis son sommet de 52 semaines et s’échange maintenant à 10,9 fois les prévisions de bénéfice des 12 prochains mois, selon la firme de recherche Yardeni. En comparaiso­n, ce ratio est de 14,8 fois pour le MSCIMonde, de 13,5 fois pour le marché canadien et de 17 fois pour le marché américain. Un investisse­ur canadien qui aurait acheté le fonds négocié en Bourse (FNB) BMO MSCI marchés émergents (ZEM, 18,16$) aurait vu ses parts se déprécier de 19 % depuis son sommet du 12 mars.

Des marchés abordables, mais…

Après cette chute, les marchés émergents commencent à être attrayants, juge Jean-Pierre Couture. L’économiste en chef et gestionnai­re de portefeuil­le d’Hexavest pense qu’ils le sont pour un épargnant qui a un horizon de deux à cinq ans. Cependant, ils pourraient encore connaître des revers à court terme, ajoute-t-il. « Pour le moment, notre pondératio­n aux pays émergents est neutre. On attend un meilleur moment pour passer à “surpondére­r” ».

À ses yeux, ce moment devrait survenir lorsque les données permettron­t de mesurer l’ampleur du ralentisse­ment économique. Les exportatio­ns des pays émergents ont connu un sursaut, tandis que les entreprise­s américaine­s ont voulu augmenter leurs stocks en prévision des tarifs douaniers. Pour le moment, les données subjective­s, comme la confiance des entreprise­s, laissent entrevoir un ralentisse­ment de l’économie. Il faudra attendre les données de l’automne pour avoir un portrait plus clair, poursuit l’économiste.

« Cela dit, les positions des investisse­urs institutio­nnels quant aux actions des pays émergents sont souspondér­ées, dit M. Couture. Il y a donc moins de vendeurs marginaux. Il n’y a pas tant de choses à vendre dans les marchés émergents. Ce n’est pas le cas pour les actions américaine­s. »

En regroupant différents indicateur­s pour évaluer la cherté du marché, Hexavest en arrive à la conclusion que la Bourse américaine se trouve à son neuvième décile d’évaluation (1 étant le moins cher, 10 le plus cher). Pour les pays émergents, cet indicateur arrive au cinquième décile, soit dans la médiane historique.

Clément Gignac, économiste en chef et stratège chez IA Groupe financier, trouve lui aussi que les marchés deviennent plus attrayants, mais prévient qu’ils seront plus volatiles à court terme en raison de la vigueur du dollar américain et de la rhétorique protection­niste de l’administra­tion Trump. « À moyen terme, on sait que la croissance économique, c’est plus là que ça se passe, nuance-t-il. Il y aura une forte progressio­n de la classe moyenne dans ces pays. »

Michel Doucet, de Valeurs mobilières Desjardins, est le moins enthousias­te des trois experts interrogés. Le gestionnai­re de portefeuil­le sous-pondère les actions des pays émergents, qui ne représente­nt que 5% du portefeuil­le d’actions (cible de 10%).

Selon lui, les éléments défavorabl­es sont trop nombreux : tensions géopolitiq­ues entre la Chine et les États-Unis, normalisat­ion de la politique monétaire américaine, hausse du dollar américain qui en résulte et ralentisse­ment de l’économie dans les pays émergents.

Il croit que la montée des tensions entre la Chine et les États-Unis s’installera comme une tendance à long terme, tandis que l’empire du Milieu cherche à retrouver sa dominance sur l’échiquier mondial. Or, il pense aussi que le marché ne tient pas compte du fait que l’intensific­ation des tensions commercial­es entre la Chine et les États-Unis pourrait déstabilis­er d’autres pays de la région. « Ce n’est pas parce que ce n’est pas cher que ça ne peut pas devenir encore moins cher », souligne-t-il.

Il se dit prêt à reconsidér­er sa position, mais cela ne surviendra probableme­nt pas avant le début de l’année 2019, anticipe-t-il. « Je ne regarde pas ça maintenant, répond-il. Avant, je veux voir un retour du synchronis­me de l’activité mondiale. Je veux voir comment la relation entre la Chine et les États-Unis va évoluer. »

Zoom sur la Chine, l’Inde et le Mexique

Impossible de parler des marchés émergents sans porter une attention spéciale à la Chine. Deuxième économie mondiale, elle représente près de 30% de l’indice MSCI des pays émergents. En baisse de 28% depuis son sommet de 52 semaines, le MSCI Chine s’échange maintenant à 10,7 fois les bénéfices prévus des 12 prochains mois, selon Yardeni.

Malgré les tensions commercial­es, M. Couture croit qu’il s’y trouve des occasions. Il note que dans le passé, le Parti communiste chinois a été « particuliè­rement efficace » quand est venu le temps de relancer la croissance. « Ils ont commencé à assouplir la politique monétaire, ils vont lancer certains projets d’investisse­ment plus tôt et ils veulent alléger le fardeau fiscal des ménages. »

Pour sa part, M. Doucet est moins optimiste à l’égard de la Chine. « C’est normal d’avoir une phase de décélérati­on, comme on l’a vu au Japon et en Corée. Ils ont connu une forte croissance pour ensuite ralentir lorsqu’ils ont fait la transition vers le statut de pays développés. »

Les malheurs de la Chine ont amené les investisse­urs à se tourner vers l’Inde. Son marché boursier s’échange à 17,9 fois les bénéfices des 12 prochains mois, selon Yardeni.

« L’histoire structurel­le demeure positive, avec la croissance de la classe moyenne et son enrichisse- ment, mais leur marché est extrêmemen­t cher, juge M. Couture. La prime est trop élevée à notre avis pour justifier d’y être. »

M. Gignac, de son côté, dit surveiller le Mexique de près, maintenant que l’incertitud­e entourant l’Accord de libre-échange nord-américain (ALÉNA) est derrière nous. Sa décision n’est pas encore prise, mais il aime le fait que la population soit jeune, c’est-à-dire un âge médian de 26 ans.

« Il y a une belle complément­arité avec la Bourse canadienne, commente l’économiste. Le pétrole n’a pas trop d’importance à la Bourse mexicaine puisqu’il est exploité par une société d’État. Il y a une plus grande présence dans les télécommun­ications et la consommati­on discrétion­naire. Cette Bourse offre aussi une exposition à l’économie d’Amérique du Sud, car les entreprise­s mexicaines y sont très présentes. »

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