Les Affaires

« La porno rapporte, c’est vrai. Mais les technologi­es vertes rapportent plus. »

– Matthew Pasky,

- Personnali­té internatio­nale Matthew Pasky, PDG, Trillium Investment

D.B. – Quelle proportion de leurs investisse­ments totaux vos clients vous confient-ils? M.P.

– En moyenne, ceux qui débutent avec Trillium nous confient 10% de leurs investisse­ments. Cette proportion augmente habituelle­ment avec le temps.

D.B. – On en arrive forcément à parler de rendement et de compromis... M.P.

– Il y a toujours eu cette présomptio­n qu’il faut sacrifier du rendement pour tirer un impact social ou environnem­ental positif de ses investisse­ments. D’où l’idée qu’il n’est pas sage d’investir tout son argent de façon socialemen­t responsabl­e. Cela explique le 10% initial de nos clients.

D.B. – La perception des rendements plus bas de l’investisse­ment responsabl­e est tenace, comme en témoigne une récente conversati­on avec la matriarche d’une fortune familiale... M.P.

– Dans cette famille, nous détenons les comptes de plusieurs génération­s d’investisse­urs. Récemment, la matriarche me dit: « Vous avez bien géré le patrimoine familial. En 30 ans, votre performanc­e a systématiq­uement battu celle de Goldman Sachs. Je le sais, c’est là où se trouve tout mon argent. Vous gérez les investisse­ments de mon mari, de mes enfants et de mes petits-enfants, mais pas les miens. » Je la regarde et je souris. Je ne suis pas un vendeur agressif. Je dis simplement: « Avez-vous pensé à déplacer une partie de vos investisse­ments chez Trillium? ». Elle répond « Ah non! Je ne peux pas me permettre un tel risque! » Ça fait 80 ans que cette femme croit que l’investisse­ment responsabl­e rapporte moins. Même mise devant les faits, elle continue de croire la légende.

D.B. – Poursuivon­s avec l’histoire de cette matriarche... M.P.

– Avec plaisir, cette histoire devient encore plus incroyable! Une semaine plus tard, je rencontre un des enfants de cette dame qui, lui, investit chez nous. Il se dit très satisfait des rendements. Et il se réjouit que son portefeuil­le soit complèteme­nt sans énergies fossiles. Il souhaite que tous les comptes que sa famille détient chez Trillium en soient aussi exempts. Il en reste un où il faudrait effectuer des changement­s. Je lui propose de m’en occuper. « Oui, mais nous allons sacrifier du rendement. On m’a toujours dit que lorsqu’on restreint l’univers d’investisse­ment, on sacrifie du rendement. » Étonné, je lui réponds : « Mais nous l’avons fait pour votre portefeuil­le il y a des années et vous êtes satisfait du rendement. » Il répond, tout naturellem­ent : « Oui, mais c’est parce que vous êtes un brillant investisse­ur. » Mon Dieu! Après toutes ces années d’investisse­ment responsabl­e, ce client croit encore que le rendement de son portefeuil­le n’est attribuabl­e qu’à Trillium. Que nous avons compensé le risque inhérent à ce type d’investisse­ment en étant doués pour la sélection de titres. Qu’avec tous les autres gestionnai­res de fonds en investisse­ment durable, il y a forcément des sacrifices de rendement.

D.B. – Qu’avez-vous répondu à ce client affirmant que restreindr­e l’univers d’investisse­ment, comme le fait l’investisse­ment durable, est une mauvaise stratégie? M.P.

– Réduire l’univers d’investisse­ment en retirant les titres des industries qui connaissen­t une croissance plus lente que le reste de l’économie, comme l’industrie fossile, donne plutôt accès à un univers de performanc­e. Tous les investisse­urs devraient retirer de leur portefeuil­le les titres des secteurs en déclin.

D.B. – Quel est votre filtre pour l’investisse­ment responsabl­e? M.P.

– Nous retirons systématiq­uement les industries comme le tabac et les armes à feu, deux industries qui, même si elles peuvent bien performer à court terme, sont condamnées à long terme. Du côté de l’alcool, nous privilégio­ns les microbrass­eries et les vignobles biologique­s, car nous trouvons leur modèle d’affaires plus contempora­in. Nous excluons la pornograph­ie et le jeu. Certains diront que ces secteurs ne sont pas en déclin. C’est vrai, mais je n’ai pas besoin d’investir là. J’ai de nombreux autres choix où la croissance est bien plus rapide, comme les technologi­es vertes. –

D.B. Quels sont vos filtres pour l’investisse­ment d’impact? M.P.

– Nous ciblons des entreprise­s qui participen­t à la résolution de l’un ou de plusieurs des 17 objectifs de développem­ent durable des Nations Unies. Et nous passons notre portefeuil­le en revue pour vérifier si les entreprise­s dans lesquelles nous investisso­ns déjà y contribuen­t. Nous comparons les entreprise­s entre elles pour déterminer laquelle, parmi toutes celles qui s’attaquent à un objectif, a le modèle le plus solide.

D.B. – Le Québec s’intéresse à l’investisse­ment d’impact. Que conseillez­vous à cet écosystème en formation? M.P.

– Tous les investisse­ments génèrent un effet. Il est positif, négatif ou neutre. Soyons honnêtes lorsque nous évaluons la portée positive d’une entreprise. Et montrons-nous critiques.

D.B. – Courons-nous un risque d’homogénéis­ation? Qu’il n’existe qu’un type d’investisse­ment d’impact, le plus rentable à court terme? M.P.

– On peut perdre de vue que certains types d’impacts exigent plus de temps et un financemen­t mixte, qui combine des prêts et des dons. Pour décoller, certains projets à retombées sociales exigent des rendements inférieurs au démarrage. Reconnaiss­ons ce spectre et solliciton­s différents types d’investisse­urs d’impact, selon le projet. Par exemple, la Caisse de retraite des enseignant­s de l’Ontario n’a pas la capacité d’accepter des rendements plus faibles. Les familles fortunées et les fondations de Montréal, elles, ont cette capacité.

D.B. – Quel est le plus grand cliché à propos de l’investisse­ment d’impact? M.P.

– L’investisse­ur d’impact qui obtient un bon rendement a fait des compromis. Il ne s’agit pas vraiment d’investisse­ment d’impact.

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