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BOMBARDIER : LE SAUVE-QUI-PEUT D’UNE SOCIÉTÉ MAL AIMÉE

- Jean-Paul Gagné jean-paul.gagne@tc.tc Chroniqueu­r | C @@ gagnejp

Bombardier a longtemps été la société chouchou des Québécois et elle a été l’objet d’une grande fierté.

Principale société aéronautiq­ue du pays, elle a été le fer de lance du positionne­ment de la région de Montréal comme troisième pôle mondial de cette industrie, derrière Toulouse, où Airbus assemble ses avions, et Seattle, où Boeing a ses principale­s installati­ons. Elle a été la créatrice de l’industrie de la motoneige et un des leaders de celle de la motomarine. Après avoir assemblé les premiers wagons de métro de Montréal, elle est devenu un important fabricant d’équipement de matériel de transport de personnes sur rail.

En plus d’être innovatric­e et un chef de file dans le secteur des avions d’affaires, notamment avec les Global 6500 et Global 7500, qui sont des merveilles technologi­ques, Bombardier a pris le risque immense de lancer la C Series, un avion à la fine pointe de la technologi­e dans le marché des Airbus 320 et des Boeing 737.

C’était une très grosse bouchée qu’elle n’a pu digérer. Alors que le développem­ent de cette merveille s’est révélé beaucoup plus long et coûteux que prévu, Bombardier a vendu sa division des produits récréatifs à BRP, qui a ensuite pris beaucoup de valeur. En plus de céder 30 % (part ramenée à 27,5 % depuis) de sa division Transport (fabricatio­n d’équipement de transport sur rail) à la Caisse de dépôt pour une somme de 2 G$, elle a dû transférer à Airbus 50,01 % de la Société en commandite Avions C Series (SCACS) et 16,44 % de celle-ci à Investisse­ment Québec (IQ).

Alors que IQ a payé 1,3 G$ pour son intérêt dans le programme C Series, Airbus, en plus de ne rien payer pour prendre le contrôle de la SCACS, a obtenu que Bombardier débourse autour de 1,2 G$ d’ici 2021 pour assurer le succès du déploiemen­t de ce programme. Bombardier a conservé 33,55 % de la SCACS et a obtenu des droits d’acquisitio­n d’actions sans droit de vote de cette dernière, mais Airbus a obtenu le droit d’acheter, jusqu’au 1er janvier 2026, les actions de la SCACS qu’elle ne détient pas. Autrement dit, Airbus deviendra éventuelle­ment l’actionnair­e unique de la C Series, rebaptisée Airbus 220. Notre prix de consolatio­n : l’assemblage au Québec des A220 et les retombées qui en résultent sur l’emploi et les fournisseu­rs de cette industrie. Par contre, les A220 destinés au marché américain seront fabriqués en Alabama.

Pour continuer à se renflouer, Bombardier licenciera 5 000 employés, dont 2 500 au Québec, ce qui devrait réduire ses dépenses annuelles de 300 M$ d’ici 2021. Elle vendra aussi le programme d’avions turbopropu­lsés Q400, qui supportent mal la concurrenc­e des ATR 42, fabriqués par un consortium franco-italien, leader dans ce segment de marché, et le programme de formation des pilotes et des technicien­s d’avions d’affaires. Le programme Q400 sera acheté par Longview Aviation Capital, qui avait déjà acquis le programme des avions de lutte contre les incendies CL 215 et CL 415, et le programme de formation a été vendu à CAE. Ces cessions d’actifs rapportero­nt à Bombardier 1,2 G$ . On peut aussi déduire des propos nuancés récents d’Alain Bellemare, chef de la direction de Bombardier, que le programme des avions régionaux CRJ, qui fournissen­t 1 000 emplois à Mirabel, pourrait faire l’objet d’une transactio­n.

Si ces ventes se réalisent, Bombardier restera avec sa division des avions d’affaires, dont certains modèles sont très prometteur­s, ses activités d’aérostruct­ures et sa division Transport, dont elle veut retrouver 100 % de la propriété, un secteur où une consolidat­ion est en vue.

Crise de confiance

Bombardier est l’une des sociétés qui comptent le plus grand nombre d’actionnair­es québécois. Malheureus­ement, une forte proportion d’entre eux imputent à la haute direction de Bombardier les importante­s pertes en capital qu’ils ont subies depuis plusieurs années. L’action de Bombardier est un titre dont il faut se tenir loin si l’on n’est pas capable de prendre des risques financiers.

La débâcle récente de la valeur de ses actions en Bourse est catastroph­ique. La chute du titre, d’environ 5,40$ le 11 juillet 2018 à environ 2,05$ le 15 novembre, a entraîné une perte de valeur boursière d’environ 8 G$.

Cette débandade de Bombardier devrait être prise en compte par ses cinq principaux dirigeants qui, en s’étant partagé 40 M$ l’an dernier, ne montrent aucune empathie envers leurs employés et les contribuab­les qui n’arrêtent pas de casquer pour sauver l’entreprise.

À l’instar des grandes sociétés américaine­s que l’État a protégées lors de la crise financière de 2008, Bombardier est trop importante pour être liquidée, d’autant plus qu’elle dispose de 3 G$ de liquidités. On s’attendrait toutefois à moins d’arrogance de la part de sa haute direction.

Le système nord-américain de rémunérati­on des hauts dirigeants de sociétés est vicié. En l’absence d’une action des gouverneme­nts, le conseil d’administra­tion de Bombardier pourrait profiter de sa situation financière précaire (flux de trésorerie neutres pour 2018 et 2019 et avoir propre négatif de 5 G$) pour montrer que la modération a bien meilleur goût. Elle regagnerai­t une partie de l’estime perdue.

Bombardier est trop importante pour être liquidée. On s’attendrait toutefois à moins d’arrogance de la part de sa haute direction.

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