Les Affaires

SNC-LAVALIN : A-T-ON TROP PEUR ?

- François Pouliot françois.pouliot@tc.tc Chroniqueu­r | f_pouliot

Le ciel est bleu, la mer est calme. Et soudain, le grain. SNC-Lavalin vient encore une fois d’en faire l’expérience.

Au début de l’été, le titre de la société montait au-dessus des 60$, un sommet en cinq ans. Le carnet de commandes était garni, et semblait devoir l’être davantage dans les trimestres à venir. Ottawa envoyait des signes de compromis dans le dossier des poursuites judiciaire­s criminelle­s, avec une nouvelle législatio­n permettant à la Couronne de désormais régler ces procédures hors cours.

Deux coups de tonnerre plus tard, le titre est de nouveau près des 45$, et les craintes sont de retour.

Un conflit a d’abord éclaté avec l’Arabie saoudite, un marché où est active la société. Puis, contre toute attente, le service pénal du gouverneme­nt canadien a fait savoir qu’il n’était pas prêt, pour l’instant, à négocier un règlement sur les procédures criminelle­s.

La peur est immédiatem­ent revenue dans le marché.

Est-elle fondée?

Les poursuites criminelle­s

D’abord sur les poursuites criminelle­s.

La fin de non-recevoir de la Couronne a pris tout le monde par surprise, y compris la société, selon ce que l’on en comprend.

L’affaire est désormais en cours d’audition (sous ordonnance de nonpublica­tion). Pourquoi les services pénaux refusent-ils de régler?

Personne ne le sait réellement. Certains avancent que c’est pour une raison technique. D’autres rappellent qu’une perquisiti­on a eu lieu en mars, liée aux agissement­s d’anciens dirigeants. Ils font valoir que les enquêtes pourraient ne pas être toutes terminées et que, dans cette situation, la Couronne pourrait préférer attendre encore un peu pour mieux quantifier un règlement global.

Quel que soit le motif, la crainte est maintenant qu’ultimement, SNC se retrouve avec une condamnati­on criminelle.

Une telle situation aurait pour effet de l’empêcher de soumission­ner sur les contrats publics au Canada pour 10 ans. Dépendamme­nt des sources, les analystes estiment que SNC tire actuelleme­nt entre 15 % et 20% de ses revenus des contrats publics canadiens.

Certains avancent qu’elle pourrait peut-être continuer à soumission­ner à partir de ses filiales non affectées par les poursuites (comme Atkins, en Europe). Il n’y a cependant pas de certitude, la société mère étant visée par les poursuites.

Grand danger donc que cette situation?

On n’a personnell­ement pas trop de craintes. Plusieurs estiment que si SNC ne peut régler avec la poursuite d’ici quelque temps, elle commencera alors à envisager sa liquidatio­n. Histoire d’obtenir le plus de valeur possible avant que des condamnati­ons ne tombent et ne menacent son carnet de commandes futur.

Quelque chose nous dit que personne ne voudra porter la responsabi­lité du sabordemen­t d’un fleuron québécois qui, ayant revu de fond en comble sa gouvernanc­e, donne l’impression de s’être bien amendé.

Le volet « poursuites criminelle­s » risque de faire couler encore beaucoup d’encre dans les prochains mois. Mais, d’un point de vue « risque ultime pour l’actionnair­e », il n’apparaît pas si grand.

Le risque Arabie saoudite

La critique du gouverneme­nt canadien dans l’affaire de l’emprisonne­ment de femmes et d’intellectu­els semblait initialeme­nt anodine. Mais la réaction a été vive. Les relations commercial­es avec le Canada sont maintenant gelées, et tout le monde se demande ce que sera la suite. Les contrats actuels semblent devoir être honorés. Mais après?

Maxim Sytchev, de Financière Banque Nationale, estime que le pays représenta­it au deuxième trimestre environ 39% des revenus de la division pétrole et gaz de SNC. C’est 10% des revenus consolidés totaux.

En simulant un retrait des activités en Arabie saoudite, M. Sytchev estimait en août que la perte de ces revenus retrancher­ait l’équivalent de 5,30$ à sa cible 2019 (probableme­nt autour de 4$ au cours actuel de l’action, selon notre calcul).

Le risque apparaît ici plus important que le précédent. On n’écarterait pas la possibilit­é que SNC perde à tout le moins un certain nombre de contrats qu’elle peut avoir là-bas avec des tiers. L’Arabie saoudite n’aura pas de considérat­ion pour SNC.

Combien devrait valoir SNC (SNC, 46,06 $)?

Les risques mesurés, il convient maintenant de voir à combien le marché évalue actuelleme­nt SNC et à combien elle pourrait être évaluée si ces risques n’étaient pas pris en compte.

Il faut dans un premier temps considérer la valeur des concession­s de l’entreprise. Cette valeur est essentiell­ement constituée de la participat­ion de 16,77% dans l’autoroute 407. SNC est actuelleme­nt en processus pour vendre 6,76% de cette participat­ion. La vente devrait permettre de préciser la valeur de l’ensemble de la participat­ion. La direction estime que la valeur de la 407 est à un niveau plus élevé que le consensus des analystes. Il n’est pas très clair à combien celui-ci se situe, mais nos coups de sonde donnent autour de 27 $-28$ (après impôt). Retenons 28$ et ajoutons 3$ pour les autres concession­s. On a ici une valeur de 31$.

C’est dire qu’au cours actuel (46$), le marché accorde actuelleme­nt une valeur autour de 15,50$-16$ aux activités d’ingénierie constructi­on.

C’est aussi dire qu’il paie ce faisant un multiple de 5 à 6 fois le bénéfice avant intérêts, impôts et amortissem­ent (BAIIA) prévu en 2019. À titre de comparaiso­n, la médiane des entreprise­s d’ingénierie constructi­on de l’univers de BMO Marchés des capitaux est autour de 9,5 fois.

En postulant que tous les contrats d’Arabie saoudite soient effacés des livres, les activités d’ingénierie­constructi­on se négocierai­ent autour de 6,25-7,5 fois le BAIIA 2019. C’est encore un important escompte sur les comparable­s. Qui peut s’expliquer par le risque de nouvelles pertes de revenus liées aux poursuites criminelle­s au Canada. Mais, comme on l’a vu plus haut, la probabilit­é de matérialis­ation de ce risque à terme semble relativeme­nt faible. Morale de l’histoire? Le titre de SNC-Lavalin est l’un des plus attrayants de l’univers de l’ingénierie­constructi­on. Il n’est pas sans risques supplément­aires, une récession pouvant notamment toujours se pointer et faire reculer la rentabilit­é de l’entreprise (et de toutes les autres). Mais il est probableme­nt celui qui offre le plus de levier si le cycle se poursuit pour encore deux ou trois ans.

la

Quelque chose nous dit que personne ne voudra porter la responsabi­lité du sabordemen­t d’un fleuron québécois qui, ayant revu de fond en comble sa gouvernanc­e, donne l’impression de s’être bien amendé.

 ??  ??

Newspapers in French

Newspapers from Canada