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Macroécono­mie

- Laura O’Laughlin redactionl­esaffaires@tc.tc

Cannabis : les économiste­s s’en donnent à coeur joie

Voilà maintenant plus d’un mois que le Canada a légalisé la marijuana. Les consommate­urs s’en réjouissen­t et les gouverneme­nts, après avoir déployé d’immenses efforts pour répondre à la demande initiale, commencent à profiter de nouvelles recettes fiscales. Mais un autre groupe insoupçonn­é bénéficie de la légalisati­on : les économiste­s.

La légalisati­on du cannabis soulève plusieurs questions économique­s intéressan­tes, la première d’entre elles étant l’évaluation de l’importance de cette économie autrefois plongée dans l’ombre du marché noir.

Les estimation­s nationales du PIB devraient théoriquem­ent inclure toute la production d’une économie, qu’elle soit légale ou non. Dans la réalité, toutefois, les estimation­s du PIB canadien n’incluent pas l’économie du cannabis. Jusqu’à récemment, des scrupules éthiques et l’absence de données fiables ont laissé cette tâche inachevée. Depuis la suppressio­n de l’obstacle « moral » dans le calcul, le Bureau du directeur parlementa­ire du budget et Statistiqu­e Canada se sont fixés comme objectif admirable de mesurer le marché. Pour établir leur prédiction d’une hausse entre 5 et 8 milliards de dollars du PIB, ces agences s’appuient non seulement sur des sources de données existantes, mais elles collectent également des données sur le prix de la marijuana. Grâce au portail drôlement nommé « StatsCanna­bis », les consommate­urs de marijuana peuvent entrer la quantité et le prix de leurs achats avant et après la légalisati­on.

Cet exercice qui vise à collecter les données en faisant appel au public (même celui à facultés affaiblies) se révèle fort utile, car c’est en partie grâce à celles-ci que le gouverneme­nt a établi (et continue d’établir) le prix du cannabis nouvelleme­nt légalisé. Et le succès de cette expérience en politique publique repose grandement sur le choix d’un prix optimal. Avec une idée de l’évolution du prix de la marijuana, les administra­teurs publics peuvent savoir si l’offre répond à la demande.

Si la marijuana était un produit ordinaire, comme une fraise ou un trombone, le Canada pourrait simplement laisser le marché concurrent­iel définir le prix. Si l’objectif principal de la légalisati­on de la marijuana était d’éradiquer le marché noir, les fournisseu­rs provinciau­x de marijuana légale pourraient fixer le prix à un taux « prédateur » – tellement bas qu’il conduirait les fournisseu­rs illégaux à la faillite –, puis augmenter le prix une fois que les sources d’approvisio­nnement illégales auraient disparu.

Cependant, toute politique qui fait baisser le prix de la marijuana pourrait avoir comme conséquenc­e indésirabl­e d’augmenter l’usage parmi ceux qui en consomment déjà, et d’encourager l’expansion du marché. Comme pour les cigarettes et l’alcool, il devrait exister des barrières afin de protéger la santé publique.

Des organisati­ons telles que la Société québécoise du cannabis peuvent facturer un prix supérieur au prix payé sur le marché noir, car la plupart des gens préférerai­ent sans doute faire affaire avec des fournisseu­rs légaux en raison de la sélection accrue, d’une certaine garantie de qualité, des informatio­ns standardis­ées et de la facilité d’utilisatio­n. Cependant, les autorités de réglementa­tion provincial­es devraient veiller à ne pas fixer un prix trop élevé, car un écart important entre le prix de vente actuel et le prix plancher du gouverneme­nt peut accroître la demande auprès de fournisseu­rs illégaux, comme le prouve la présence du marché noir des cigarettes. Pour l’instant, les prix québécois semblent très concurrent­iels avec les prix historique­s du marché noir.

Les Québécois risquent de bénéficier énormément de la légalisati­on. Pour profiter pleinement de cet avantage, la classe politique devrait fournir un approvisio­nnement sûr et réglementé et choisir des tarifs et un niveau de service suffisamme­nt concurrent­iels pour décourager les consommate­urs de retourner sur le marché non réglementé.

Avec un peu de chance, les économiste­s loueront cette expérience de légalisati­on dans les années à venir et la verront comme un exemple de stimulatio­n de l’activité économique qui couvre autant les coûts sociaux et environnem­entaux.

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