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- Forum Olivier Schmouker olivier.schmouker@tc.tc Chroniqueu­r | C @OSchmouker

Voici le secret pour prédire l’avenir !

Qui d’entre nous ne souhaitera­it pas connaître le futur? A fortiori, quels sont les gens d’affaires qui n’aimeraient pas être en mesure d’anticiper les tendances émergentes, et pouvoir ainsi se mettre en avant de la parade? La réponse va de soi: tout le monde aimerait en être capable.

Si je vous disais maintenant que, vous comme moi, nous sommes vraiment aptes à prédire l’avenir ?

Je l’ai réalisé lorsque j’ai récemment dévoré le livre Penser global du penseur français Edgar Morin, au détour de la réflexion suivante: « Dans la conception hippocrati­que de la médecine, il y a l’idée que c’est le moment de la crise qui permet le diagnostic, ce moment où les symptômes apparaisse­nt assez évidents pour pouvoir dire si l’on a affaire à la grippe ou au choléra, écrit-il. Or, le bon médecin voit, lui, des signaux faibles avant même que les symptômes ne soient clairs. »

Et d’ajouter: « Il y a toute une connaissan­ce à développer à partir de l’étude des signaux faibles, qui sont des indicateur­s de vitalité et de créativité, ou bien de déclin et de mort. »

Les signaux faibles. Voilà l’outil qui nous manque pour deviner ce qui se profile à l’horizon avant tout le monde, me suis-je alors dit. Ni une ni deux, j’ai tenu à le vérifier. Et c’est ainsi que j’ai découvert qu’il était bel et bien possible de découvrir l’avenir en lisant correcteme­nt dans le présent, tout comme le font les bons médecins…

L’indice Starbucks

Edward Glaeser est professeur d’économie à l’Université Harvard, aux États-Unis. Avec deux de ses collègues, il a croisé les données du recensemen­t avec celles de Yelp, une applicatio­n qui permet aux consommate­urs de partager entre eux leurs commentair­es à propos des commerces locaux. Leur idée: établir un moyen fiable de mesurer la «boboïsatio­n» d’un quartier, et donc d’anticiper son enrichisse­ment prochain en matière de revenus, d’éducation et de culture. Ils ont effectué ce travail de moine dans plusieurs grands centres urbains américains, dont New York, à partir de données des années 2010, et ont découvert que l’ouverture de certains magasins était suivie par une hausse conséquent­e du prix des logements. Par exemple, chaque fois qu’un coiffeur ouvre dans un quartier, les prix de l’immobilier sont boostés d’en moyenne 1,04%. Idem pour les épiceries (+0,92%), les fleuristes (+0,71%) et les bars à vins (+0,67%).

« À noter un détail fort intéressan­t: l’ouverture d’un Starbucks correspond à une hausse des prix de l’immobilier d’en moyenne 0,54%. D’où la pertinence de considérer tout nouveau Starbucks comme le signe clair de la «boboïsatio­n» d’un secteur géographiq­ue donné », notent les chercheurs de Harvard dans leur étude. Bien entendu, ce n’est pas le nouveau Starbucks lui-même qui est à l’origine de la hausse des prix de l’immobilier. Il n’en est, en vérité, que le signal faible, celui qu’il convient de considérer pour anticiper la prochaine tendance haussière.

Prédire la hausse du bitcoin

Fascinant, n’est-ce pas ? Poursuivon­s à l’aide d’un autre exemple, celui du bitcoin… Tout le monde pense que les cryptomonn­aies sont d’une volatilité extrême, à tel point qu’elles sont totalement imprévisib­les. Hum… vraiment ?

Feng Mai, un professeur de systèmes d’informatio­n à l’Institut de technologi­e Stevens, à Hoboken, aux États-Unis, et quatre autres chercheurs ont regardé ce qui se passait sur les médias sociaux juste avant que le bitcoin ne connaisse une subite fluctuatio­n de valeur. C’est comme ça qu’ils ont vu que: chaque fois qu’il y avait une prépondéra­nce de publicatio­ns haussières sur le forum Bitcointal­k.org, s’ensuivait une hausse de la valeur du bitcoin. (En revanche, l’inverse n’était – curieuseme­nt – pas vrai.) la corrélatio­n était plus élevée auprès d’une partie précise des participan­ts au forum, à savoir la « majorité silencieus­e » (les 95% qui publient globalemen­t moins de 40% des publicatio­ns).

Qu’est-ce à dire, au juste? C’est simple: il est possible de prédire la hausse du bitcoin – mais pas la baisse –, rien qu’en considéran­t ce que disent ceux qui participen­t occasionne­llement aux forums de discussion spécialisé­s dans les cryptomonn­aies. Si les gens évoquent de plus en plus l’idée d’acheter, alors il convient d’acheter. Par voie de conséquenc­e, mieux vaut ne pas se fier à ce que disent les plus « vocaux » de ces mêmes forums, c’est-à-dire ceux qui se présentent souvent comme des experts et tiennent à en convaincre tout le monde en multiplian­t les publicatio­ns aussi péremptoir­es que creuses.

« La vague de fond qui naît sur les forums et les médias sociaux est par conséquent un signal faible d’une redoutable efficacité pour prédire la tendance haussière du bitcoin. Reste, toutefois, non seulement à savoir l’identifier, mais aussi à l’analyser avec justesse », est-il noté dans l’étude.

Bref, les signaux faibles sont tout autour de nous, désireux d’être vus et saisis. Mais, aveuglés que nous sommes par les signaux forts et trop évidents, nous ne nous en apercevons même pas. À tort, de toute évidence. À nous, donc, d’apprendre à les déceler, de faire l’effort de regarder la réalité autrement et ainsi de devenir les « médecins » du futur de notre domaine de prédilecti­on. Car, c’est bien connu, l’avenir appartient aux défricheur­s...

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