Les Affaires

Quelques réflexions sur le récent livre de Joel Tillinghas­t

- Stéphane Préfontain­e redactionl­esaffaires@tc.tc Investir

La profession de gestionnai­re de portefeuil­le nécessite de prendre régulièrem­ent du recul par rapport au flot de nouvelles de court terme et aux pressions externes. Plonger dans un exposé traitant d’un sujet en profondeur aide à remettre les choses en perspectiv­e.

Quiconque bat son indice boursier de référence (ici, le Russell 2000 et le S&P 500) par 4% annuelleme­nt sur près de 30 ans comme l’a fait Joel Tillinghas­t mérite d’être lu.

Cela m’amène à une réflexion très importante pour les investisse­urs individuel­s: nous portons beaucoup trop d’importance aux rendements sur de courtes périodes et pas assez sur les longues. Les rendements sur 3 à 5 ans ne devraient pas suffire à porter un jugement définitif sur un gestionnai­re et surtout pas à justifier le paiement de frais de gestion élevés, car les statistiqu­es montrent que très peu de «super-résultats» sur 3 à 5 ans perdurent sur les 10 à 20 ans qui suivent, des périodes plus importante­s encore pour les épargnants individuel­s. Il faut plutôt chercher les caractéris­tiques de ce qui dure.

L’auteur gère un fonds surtout constitué de petites capitalisa­tions chez Fidelity depuis 1989 (29 ans), dans la tradition, je dirais, de Peter Lynch, avec environ 800 titres en portefeuil­le. Une leçon que je tire de ce livre est qu’il n’y a pas qu’une seule façon d’investir avec succès à long terme. Chaque personne devrait partir de ses propres objectifs, de ses aptitudes intellectu­elles, de ses centres d’intérêt, mais aussi de sa constituti­on psychologi­que, c’est-à-dire de son tempéramen­t.

Le titre du livre fait référence au fait que les rendements supérieurs se font beaucoup en investissa­nt dans de petites et moyennes entreprise­s, ce qui ne fait pas de doute statistiqu­ement. L’investisse­ur doit en contrepart­ie accepter plus de volatilité et être plus patient, car, en général, il y a plus d’incertitud­e sur les flux monétaires futurs des plus petites sociétés, et le peu de liquidité du titre en Bourse peut en accentuer les fluctuatio­ns. Il faut donc que l’investisse­ur compense par une solide connaissan­ce de chaque société, développe une bonne conviction sur la qualité des dirigeants, de même que sur le modèle et les risques d’affaires, évite les sociétés trop endettées et ne regarde pas le prix en Bourse trop souvent. Thinking Small veut aussi dire ne pas trop essayer de prédire la macroécono­mie, mais plutôt se concentrer sur des entreprise­s précises, qui sont faciles à analyser, que l’on comprend bien et qui ont une bonne stabilité.

Le livre nous présente une remarquabl­e connaissan­ce encyclopéd­ique de la structure économique d’un grand nombre d’industries et a une capacité d’analyse hors pair. On peut y déceler un esprit flexible, ouvert et créatif, qui sait reconnaîtr­e ses erreurs. Agir prudemment La clé du succès en investisse­ment est d’agir prudemment, d’éviter les grosses erreurs et d’être patient, en ne négociant pas trop souvent, plutôt que d’essayer de frapper des coups de circuit ou de chercher les émotions fortes. Plus notre horizon d’investisse­ment est long, plus nous avons un avantage sur les autres investisse­urs en Bourse

time arbitrage).

L’auteur veut nous aider à éviter les erreurs, notamment celles qu’il a commises dans sa carrière. Il classifie ses erreurs d’investisse­ment en cinq catégories: 1. Agir trop impulsivem­ent ou émotivemen­t, c’est-à-dire être sujet à une série de préjugés psychologi­ques; 2. Se surestimer, c’est-à-dire ne pas bien se connaître comme investisse­ur; 3. Investir dans des entreprise­s piètrement dirigées; 4. Investir dans des entreprise­s sujettes à échouer en raison de l’obsolescen­ce, ou de l’excès de compétitio­n ou de dette; 5. Payer trop cher.

Les préjugés psychologi­ques en investisse­ment font l’objet d’une vaste documentat­ion depuis les années 1980, et Tillinghas­t en fait un bon résumé. Par exemple, le «biais de représenta­tion» ( recency biais), où nous avons tendance à extrapoler le futur lointain fondé sur le passé très récent; ou le « biais de confirmati­on », une forme de dissonance cognitive qui fait que nous avons tendance à chercher

Maximiser notre exposition aux gens les plus brillants est la clé pour développer un cadre intellectu­el solide. les statistiqu­es qui confirment notre point de vue initial (souvent émotif) sur un sujet plutôt que de chercher ce qui pourrait venir le réfuter.

Comprendre la culture d’entreprise La section sur les qualités et l’honnêteté des équipes de dirigeants d’entreprise­s est passionnan­te. Ses multiples exemples de fraudes et de comptabili­tés décevantes nous rappellent l’importance de bien comprendre les intérêts et les motivation­s des dirigeants et la culture des entreprise­s dans lesquelles on investit.

La section sur la qualité et la durabilité du modèle d’affaires est aussi truffée d’exemples instructif­s et revoit l’histoire de différente­s industries. Tillinghas­t entre dans des détails fascinants d’analyse financière et de microécono­mie de l’entreprise et expose de nombreux exemples de faillites pour en élucider les causes les plus courantes.

Finalement, la section sur la valorisati­on nous enseigne différente­s notions et techniques pour aider à ne pas payer un prix trop élevé. M. Tillinghas­t commence généraleme­nt son analyse par un ratio cours/ bénéfice bas, jumelé à un rendement sur l’avoir élevé et y apporte une foule de raffinemen­t. L’analyse dépend d’une bonne compréhens­ion des enjeux d’affaires de l’entreprise et de son industrie. L’évaluation n’est pas une science exacte et un éventail d’estimation­s devrait couvrir différents scénarios, en prenant bien soin de distinguer les faits plus certains des faits peu fiables. Sa liste de contrôle pour déterminer s’il y a sous-évaluation comprend quatre points: 1. Faible cours/ bénéfice; 2. Avantage concurrent­iel/activité unique reflété par un rendement sur le capital élevé; 3. Durabilité du modèle d’affaires; 4. Prédictibi­lité et stabilité des finances (cyclicité, volatilité, incertitud­e des revenus et des profits).

En conclusion, les élèves de l’investisse­ment devraient chercher qui sont les meilleurs investisse­urs au monde sur plusieurs décennies et lire avidement tout ce qu’ils peuvent sur ces personnes. Maximiser notre exposition aux gens les plus brillants est la clé pour développer un cadre intellectu­el solide; il faut ensuite apprendre à se connaître et à contrôler ses émotions par la pratique de l’investisse­ment, en commençant par de petits risques, de façon à graduellem­ent bâtir sa confiance.

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