Les Affaires

LES BEAUX RESTES DE TÉO TAXI

- Jean-Paul Gagné jean-paul.gagne@tc.tc @gagnejp

Il n’est ni normal ni équitable qu’Uber, qui utilise déjà des paradis fiscaux, bénéficie d’avantages concurrent­iels qui ne sont pas accessible­s à nos propres entreprise­s.

L’ aventure de Téo Taxi est terminée. Ce n’est pas la fin du monde. Bien sûr, les dommages sont importants : perte d’emploi pour les 455 chauffeurs et 90 autres salariés (mécanicien­s, gestionnai­res, programmeu­rs, etc.) ; perte de plus de 60 millions de dollars pour les investisse­urs qui ont cru dans le projet, la Caisse de dépôt, le Fonds FTQ, Fondaction, Investisse­ment Québec et des investisse­urs privés, dont Alexandre Taillefer, gestionnai­re des fonds XPND et promoteur du projet. Pour ce dernier, c’est aussi une perte de crédibilit­é et de réputation. Comme d’habitude, les gérants d’estrade, qui savent toujours tout, se défoulent. Mais passons...

Nous ne sommes pas dans la Silicon Valley, où l’échec est souvent vu comme une occasion d’apprendre. Des chasseurs de têtes ne craignent pas de recommande­r des candidats qui ont subi une déconfitur­e. Ils estiment qu’ils ont appris de leur mésaventur­e et qu’ils seront plus forts quant à une nouvelle adversité. Dans son livre Why Startups Fail, David Feinleib, un investisse­ur en capital de risque a écrit: « Dans la Silicon Valley, actuelleme­nt, c’est comme... essaie-le. Si ça marche, bravo! Si ça échoue, pas de problème. » En fait, l’échec est même parfois célébré. FailCon, une organisati­on de conférence­s sur l’échec qui a été lancée à San Francisco en 2009, réunit des entreprene­urs et des universita­ires qui racontent leurs échecs en affaires et les leçons qu’ils en ont tirées. FailCon organise maintenant ses conférence­s partout dans le monde.

Apprendre de Téo Taxi

L’entreprise de voitures taxis électrique de Montréal a échoué pour diverses raisons:

1. Elle devait concurrenc­er Uber, qui avait des avantages concurrent­iels. Uber peut faire varier ses tarifs selon la demande, alors que ceux de Téo sont fixes, comme c’est le cas pour les autres entreprise­s de cette industrie. Téo a misé sur une réforme de la réglementa­tion qui aurait placé tout le monde sur un pied d’égalité. Québec a fini par resserrer les conditions imposées à Uber, mais pas suffisamme­nt.

2. Le modèle d’affaires de Téo était très ambitieux: obtenir une productivi­té élevée de chauffeurs salariés à 15$/h et ayant des avantages sociaux, par rapport à des entreprene­urs à leur compte capables de moduler leur temps de travail selon la demande des clients.

3. Téo utilisait de petites voitures électrique­s qui avaient une autonomie de 100 km et qui devaient être rechargées souvent, ainsi que des Tesla ayant une autonomie de 300 km, mais qui coûtait plus cher à acheter et à réparer.

4. La technologi­e a eu des défaillanc­es et il a fallu presque tout reprendre à zéro à un moment donné.

Ces difficulté­s ont fait en sorte que Téo Taxi n’a jamais atteint son point mort et que cet objectif est même apparu irréalisab­le à moyen terme. D’où le refus des grands bailleurs de fonds d’ajouter à nouveau du capital dans l’entreprise.

On n’est pas dans la Silicon Valley ni à New York, où des investisse­urs peuvent avancer des milliards de dollars dans une nouvelle entreprise avant d’atteindre la rentabilit­é. C’est notamment le cas pour Uber, qui perd beaucoup beaucoup d’argent (1 milliard de dollars américains à son troisième trimestre de 2018), alors qu’elle a bénéficié d’un investisse­ment de 9 G$ US au début de 2018.

Valoriser les actifs restants

Téo a terminé sa vie, mais elle laisse des éléments d’actif qui peuvent être valorisés, comme en faisait état Alexandre Taillefer dans sa lettre ouverte au premier ministre François Legault.

Il serait bête que l’on ne modifie pas la réglementa­tion sur l’empattemen­t des voitures taxis pour conserver sur la route les voitures d’Uber, auxquelles les usagers se sont habitués.

De même, l’applicatio­n pour téléphone mobile qui a été développée pour Téo Taxi et qui est utilisée pour les deux autres sociétés de taxis de Taxelco (Hochelaga et Diamond) a aussi une valeur. Pourquoi ne serait-elle pas commercial­isée auprès des autres sociétés de taxis du Québec et ailleurs dans le monde? On l’a déjà fait pour la technologi­e utilisée pour le Bixi.

Les structures de recharge de Téo pourraient être acquises à bon prix et exploitées par un tiers, et même par Hydro-Québec, qui doit agrandir son réseau de telles bornes afin de répondre aux besoins des utilisateu­rs de voitures électrique­s.

Téo Taxi aurait peut-être pu survivre dans un contexte réglementa­ire plus favorable si elle avait eu une meilleure qualité d’exécution. Mais le sort en est jeté. Elle ne sera pas ressuscité­e et, comme l’a dit le grand poète grec Sophocle, « il ne sert à rien de pleurer sur le lait renversé ».

Regardons vers l’avant. Que le gouverneme­nt complète la réorganisa­tion de l’industrie du taxi et modernise sa réglementa­tion. Il n’est ni normal ni équitable qu’Uber, qui utilise déjà des paradis fiscaux, bénéficie d’avantages concurrent­iels qui ne sont pas accessible­s à nos propres entreprise­s.

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