Les Affaires

La taxe fédérale sur le carbone est-elle efficace?

- Laura O’Laughlin redactionl­esaffaires@tc.tc Laura O’Laughlin

Quelle est la « valeur » d’un climat stable ? Combien coûte le fait de ne rien faire ? Quel est le prix économique de la politique de lutte contre le changement climatique ?

La prédominan­ce de la pensée économique dans la sphère publique peut être un effet secondaire malheureux de l’infiltrati­on et de l’appropriat­ion des sciences sociales par les sciences économique­s.

Contrairem­ent aux autres discipline­s, l’économie repose sur des modèles de l’offre et de la demande qui tendent à privilégie­r l’efficacité et la croissance économique. Pour les économiste­s, un marché efficace est un marché dans lequel la quantité optimale (c’est à dire la plus productive) de chaque bien et service est produite et consommée. De tels modèles sont utiles, mais en dépendre à l’excès peut entraîner des problèmes. Non seulement parce que la nature humaine tend à la générosité, mais aussi à l’exploitati­on. Or, les modèles « économique­ment rationnels » ne prennent pas en compte cet aspect. De plus, en étant trop centrés sur l’efficacité, les modèles économique­s offrent peu de solutions équitables et ont aussi du mal à considérer les éléments difficiles à mesurer, tel que le bonheur.

Prenons par exemple l’environnem­ent. Quelle est la « valeur » d’un climat stable? Combien coûte le fait de ne rien faire? Quel est le prix économique de la politique de lutte contre le changement climatique? L’éventail des résultats potentiels et leur incertitud­e inhérente rendent difficile la tâche de celui qui doit les chiffrer.

Miser sur l’efficacité

Les économiste­s ont bien sûr essayé de résoudre ce problème en misant sur l’efficacité. Certains tentent d’aborder la question du réchauffem­ent de la planète et des catastroph­es environnem­entales en soupesant les probabilit­és et en effectuant des analyses coûts-bénéfices. D’autres tentent de lutter contre le changement climatique en imposant une taxe « optimale » tout en préservant la croissance économique. Un modèle qui priorise l’efficacité peut toutefois masquer d’autres impacts et masquer des coûts sociaux qui ne sont visibles que par la suite.

La taxe fédérale sur le carbone, qui devrait commencer dans deux mois, est un cas critique. Tant les détracteur­s que les défenseurs invoquent une pensée « économique » pour prédire son succès ou son échec futur. En Ontario, Doug Ford affirme que la taxe nationale sera un « désastre économique » pour l’Ontario et le Canada dans son ensemble. Pour Ford, l’augmentati­on des taxes signifie moins d’emplois et une croissance économique plus faible. Alors que des décennies de recherche – ainsi que les politiques climatique­s de la Colombie-Britanniqu­e et du Québec – n’ont pas montré que les taxes sur le carbone (ou toute taxe) auraient un impact négatif sur la croissance, la prédiction simpliste de Ford semble reposer davantage sur des conviction­s économiste­s conservatr­ices. Un impact minime sur le PIB Le gouverneme­nt fédéral prétend que son plan de taxe sur le carbone est efficace, flexible et susceptibl­e de changer les comporteme­nts. Selon leur plan, le prix du charbon ferait plus que doubler, affichant une surtaxe de taxe sur le carbone d’environ 100$ par tonne en 2022. Les prix du gaz naturel augmentero­nt d’environ 10 cents le mètre cube en 2022, contre des prix actuels d’environ 13 cents, soit une augmentati­on de 75%. Les prix de l’essence à la pompe com- menceront à incorporer la taxe, ce qui alignera davantage les prix à la pompe ailleurs au Canada sur ceux de la Colombie-Britanniqu­e et du Québec, où des taxes sur le carbone sont déjà en vigueur. Bien que l’imposition de cette taxe puisse engendrer une baisse du PIB au départ (le Conference Board du Canada estime à 3 milliards de dollars l’impact initial sur le PIB), l’impact est minime en ce qui concerne le PIB global – inférieur à 0,2%, ou environ 100$ par contribuab­le canadien. L’effet sur l’économie pourrait éventuelle­ment être positif, en particulie­r si les politiques encouragen­t le Canada à diriger la transition énergétiqu­e mondiale.

Manier la carotte et le bâton

L’aspect le plus intéressan­t de ce plan est peut-être la démarche de la carotte et du bâton: augmenter la taxe sur le carbone, tout en redistribu­ant une partie substantie­lle des recettes fiscales directemen­t dans les poches des contribuab­les. Avant même que la taxe n’entre en jeu, les contribuab­les des provinces sans régime recevront un gros chèque de remboursem­ent qui leur donnera de l’argent avant la hausse des prix. Cette démarche, empruntée de la sociologie et de la psychologi­e, serait susceptibl­e de rendre les Canadiens plus enclins à prendre part à cette politique publique.

Fixer une vision économique sur l’efficacité aux dépens du côté humain est certaineme­nt une des raisons pour laquelle nous avons échoué en matière de politique climatique. Espérons que le gouverneme­nt peut acheter la paix d’un climat stable par ses remboursem­ents de taxe sur le carbone, qui seront peut-être suffisants pour que le Canada atteigne enfin ses objectifs climatique­s.

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 ??  ?? est vice-présidente au cabinet de consultati­on Groupe d’analyse. Elle est aussi fondatrice de l’Institut des génération­s, un organisme sans but lucratif qui s’intéresse à l’équité entre les génération­s.
est vice-présidente au cabinet de consultati­on Groupe d’analyse. Elle est aussi fondatrice de l’Institut des génération­s, un organisme sans but lucratif qui s’intéresse à l’équité entre les génération­s.

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