Les Affaires

LE RAP CRÉATIF

- Daniel Germain daniel.germain@tc.tc daniel_germain

Le régime d’accès à la propriété offre des possibilit­és qui vont bien au-delà de la simple mise de fonds pour l’achat d’une maison.

L’argent du RAP peut être utilisé pour n’importe quoi : rembourser des dettes, se constituer un fonds d’urgence, contribuer au REEE, remplir le CELI ou même cotiser au REER.

Charles Hunter-Villeneuve a mis sa jeune carrière de planificat­eur financier en veilleuse pour se lancer dans des études de maîtrise en fiscalité à l’Université de Sherbrooke. Son mémoire, qu’il prépare sous la direction du respecté professeur Luc Godbout, porte sur un thème surprenant : le régime d’accès à la propriété (RAP).

Le RAP, qui permet aux premiers acheteurs de retirer sans pénalité une somme de leur REER pour faire une mise de fonds à l’acquisitio­n d’une maison, représente-t-il un sujet assez consistant pour alimenter des travaux universita­ires en fiscalité ?

Il faut croire que oui. « Au départ, je voulais me pencher sur des réaménagem­ents qui pourraient améliorer ce programme, mais j’avais peur que mon mémoire se retrouve sur une tablette. En me concentran­t sur les nombreuses possibilit­és qu’offre le RAP actuel, ma maîtrise a plus de chances de faire parler et d’être utile », dit l’universita­ire de 30 ans, connu dans le petit milieu de la planificat­ion financière pour avoir publié une série de bandes dessinées de vulgarisat­ion, Lire et Tirelire, dont le troisième tome, qui traite de l’impôt, paraîtra bientôt.

Charles Hunter-Villeneuve n’est pas le premier à creuser la question. Ses recherches s’inscrivent dans la même veine que certains travaux d’Yves Chartrand, fiscaliste renommé qui a démontré les multiples possibilit­és du RAP. Le fondateur du Centre québécois de formation en fiscalité (CQFF) a produit un petit ouvrage intitulé « Le régime d’accession à la propriété : des stratégies oubliées et des erreurs coûteuses ». Destiné aux clients de ses formations, le document de référence d’une vingtaine de pages décortique les rouages de ce programme implanté en 1992 par le gouverneme­nt fédéral afin de stimuler le marché immobilier, alors en plein marasme.

On retient à sa lecture que le RAP est sous-exploité et incompris. Quiconque se qualifie pour ce régime, qu’il en ait ou non besoin pour acheter une habitation, devrait en profiter au maximum, pensent Charles Hunter-Villeneuve et Yves Chartrand.

Les critères d’admissibil­ité du RAP ouvrent en effet la porte à des stratégies financière­s astucieuse­s inconnues autant des acheteurs de maison que de la majorité des conseiller­s hypothécai­res. « Des erreurs de perception persistent à l’égard du RAP », affirme Yves Chartrand. La principale est de croire que les retraits du REER effectués dans le cadre du régime d’accession à la propriété doivent obligatoir­ement servir à financer l’achat d’une maison. Vu le nom et le positionne­ment du programme, cela n’a rien étonnant.

En réalité, l’argent du RAP peut être utilisé pour n’importe quoi : rembourser des dettes, se constituer un fonds d’urgence, contribuer au REEE, remplir le CELI ou même cotiser au REER. Il offre surtout l’occasion de déclencher d’importante­s déductions fiscales à côté desquelles passent de nombreux acheteurs.

Pour mieux comprendre, il faut d’abord rappeler le fonctionne­ment du programme. Le régime d’accès à la propriété permet à un « premier acheteur » de retirer 25 000 $ de ses REER, sans payer d’impôt ni encourir de pénalité, au moment d’acquérir une maison qu’il a l’intention d’habiter. Un couple qui ferait son entrée sur le marché immobilier a donc la capacité de puiser 50 000 $ de ses REER.

Il y a une condition : il faut se rembourser. Deux ans après avoir eu recours au RAP, les nouveaux propriétai­res ont 15 ans pour le faire, au rythme de 1 667 $ par année dans le cas de ceux qui auraient retiré le maximum permis.

Cette restitutio­n s’effectue de manière automatiqu­e. Pour une cotisation REER annuelle

subséquent­e de 5 000 $, par exemple, 1 667 $ seront affectés au remboursem­ent du RAP; seule la différence (3 333 $) sera considérée comme une nouvelle cotisation REER donnant droit à une déduction fiscale. Dans le cas où aucune contributi­on REER ne serait versée une année, 1667 $ s’ajouteraie­nt sans prévenir au revenu imposable de l’utilisateu­r du RAP.

Propriétai­re ou pas?

Qui peut être considéré comme premier acheteur ? Ceux qui n’ont jamais possédé leur maison, mais ce n’est pas une condition sine qua non. Une personne qui n’a pas été propriétai­re de son lieu de résidence au cours des quatre dernières années peut aussi se qualifier. C’est donc dire qu’on peut profiter du RAP plus d’une fois dans sa vie. Avant de « raper » une seconde fois, il faut en revanche avoir remboursé la totalité de ce qu’on a puisé de son REER dans le cadre d’un premier RAP.

Dans certaines circonstan­ces, on peut n’avoir jamais été propriétai­re et se voir fermer les portes du régime. C’est notamment le cas lorsqu’on habite avec son conjoint (fiscal) et que celui-ci est propriétai­re de la résidence.

Ce qui rend le programme intéressan­t, c’est qu’on peut disposer de l’argent retiré du REER comme on veut, ce qui laisse place à une certaine créativité. « Le fisc ne fait aucun suivi des sommes retirées du REER dans le cadre du RAP. Tout ce qu’il faut, c’est se qualifier comme premier acheteur et fournir la preuve qu’on acquiert une habitation », explique Yves Chartrand.

La plupart des premiers acheteurs utiliseron­t l’argent comme mise de fonds. Celle-ci s’établit au minimum à 5 % de la valeur de la transactio­n. Pour éviter de payer la prime d’assurance hypothécai­re de la SHCL, cependant, l’acheteur doit verser 20 % de la valeur de la maison. Le taux de la prime varie entre 2,8 % et 4 % de l’hypothèque, en fonction de l’importance de la mise de fonds qu’on aura avancé, quelque part entre 20 % et 5 %.

La prime à payer lors de l’achat d’une habitation de 200 000 $ dans laquelle on injecte une mise de fonds de 5 % dépasse facilement les 7 000 $, une somme qui s’ajoute à l’hypothèque et sur laquelle sera calculé de l’intérêt. L’explosion du prix de l’immobilier au cours des dernières années a fait en sorte qu’il est de plus en plus difficile d’accumuler une mise de fonds de 20 % pour l’achat d’une première maison.

Réduire la prime d’assurance

Pour Charles Hunter-Villeneuve, la stratégie la plus sûre avec le RAP consiste à éviter ou à réduire la prime d’assurance. Il n’est pas garanti qu’elle s’avère la plus avantageus­e, mais c’est la seule dont le résultat est prévisible, soit une économie de 2,8 % à 4 % de la valeur de l’hypothèque. « Pour des gens dont le profil d’investisse­ur n’est pas très agressif, c’est la meilleure chose à faire », croit l’étudiant de maîtrise.

Il y en a toutefois pour qui c’est plus facile de

réunir la mise de fonds nécessaire sans dépendre entièremen­t du RAP, qu’on pense aux jeunes qui achètent en région où l’immobilier est moins cher ou, encore, qui reçoivent le soutien financier de leurs parents. Il y a aussi ces «faux premiers acheteurs », qui reviennent sur le marché les poches pleines après s’en être écartés quelques années, les expatriés qui rentrent au bercail ou simplement ceux qui ont patiemment épargné dans le but d’acheter une maison.

« Comme ils ont déjà l’argent pour leur mise de fonds, ces personnes ne pensent pas à recourir au RAP », remarque Simon Forest, représenta­nt en épargne collective et conseiller en sécurité financière chez IG Gestion de patrimoine, ancienneme­nt le Groupe Investors. Selon lui, ces acheteurs ne devraient pas pour autant tourner le dos au régime d’accession à la propriété.

Le conseiller relate cette anecdote récente, un scénario classique, impliquant un de ses clients. Celui-ci répondait à tous les critères pour utiliser le RAP. Comme il n’en dépendait pas pour acheter son condo, le RAP n’a même pas effleuré son esprit. En outre, il disposait de droits de contributi­on REER inutilisés.

« On lui a fait emprunter 25 000 $, qu’il a versés au REER. Quatre-vingt-dix jours après, on a retiré l’argent du REER avec l’aide du RAP; la somme a servi à rembourser le prêt. L’opération a coûté 300 $ en intérêts. Elle a permis à notre acheteur de dégager des liquidités de 9 000 $ grâce au remboursem­ent d’impôt généré par la cotisation REER de 25 000 $ », explique-t-il.

Il faut voir cette opération comme si celui qui l’exécutait se prévalait d’un seul coup des déductions fiscales des 15 prochaines années sur des contributi­ons REER annuelles de 1667 $. Cet argent peut être mis au travail immédiatem­ent dans le CELI, où il pourra fructifier à l’abri de l’impôt. Il peut servir à rattraper des cotisation­s REEE, qui donnent droit à des subvention­s de 30 %, ou encore à rembourser des dettes aux taux d’intérêt élevés, comme celle d’une carte de crédit.

Faire mieux

Dans l’exemple raconté par Simon Forest, les conditions sont encore loin d’être optimales. Il y a moyen de faire mieux. Imaginons que son client paie plus d’impôt. Il n’a pas besoin d’avoir un salaire plus élevé, il lui suffit d’avoir des enfants. En effet, les parents profitent de programmes de soutien aux familles qui s’érodent rapidement à mesure que le revenu familial augmente. Ces pertes peuvent être assimilées à de l’impôt, car elles surviennen­t avec une hausse du revenu. C’est d’ailleurs ce que traduit le taux effectif marginal d’imposition (TEMI) qui, pour chaque dollar supplément­aire gagné, tient compte, en plus de l’impôt sur le revenu, des pertes du côté des programmes dits « sociofisca­ux ».

Si le client de Simon Forest avait été le seul pourvoyeur d’un ménage de deux adultes et un enfant de moins de 16 ans, le gain aurait été nettement plus important, de 50 % au moins de sa contributi­on REER, soit 12 500 $, du seul fait que les parents sont touchés par des TEMI élevés. Supposons aussi que sur les 25 000 $ de contributi­ons REER, 5000 $ auraient été dirigés vers le Fonds de solidarité de la FTQ, qui donne droit à des crédits d’impôt de 30 % (5 000 x 30 %=1 500 $), eh bien le client se serait dégagé des liquidités de 14 000 $, moins 300 $ d’intérêt, grâce à cette simple manoeuvre.

Le « RAP à RAP »

Il n’y a qu’une seule contrainte dans cette opération. Il faut que les fonds restent au moins 90 jours dans le REER avant de pouvoir être retirés par l’intermédia­ire du RAP. À partir de là, on peut imaginer de nombreux scénarios.

Charle Hunter-Villeneuve expose une autre astuce, à la fois simple et ingénieuse, appelée « RAP à RAP ». Imaginons un couple marié, dont un des conjoints détient au moins 25 000 $ dans son REER. L’autre dispose de droits de cotisation REER suffisants pour accueillir 25 000 $. « Le premier pourra “rapper” 25 000 $, prêter l’argent à son conjoint qui utilisera la somme pour contribuer à son REER, et les retirer 90 jours plus tard grâce au RAP », explique l’auteur de Lire et Tirelire. Ces 25 000 $ peuvent être utilisés pour la mise de fonds en vue d’acquérir la maison ou pour rembourser le premier conjoint qui, avec la somme, peut à son tour effectuer une nouvelle contributi­on REER pleinement déductible d’impôt. En « rappant » deux fois les mêmes 25 000 $, le couple peut bénéficier deux fois d’un remboursem­ent d’impôt substantie­l.

Cette opération est réalisable par une seule personne. Dans son document de formation, Yves Chartrand explique la marche à suivre. Un acheteur qualifié peut dans un premier temps retirer 12 500 $ des REER par l’intermédia­ire du RAP, puis utiliser cette somme pour faire une nouvelle contributi­on REER, puis, trois mois plus tard, « rapper » une seconde fois.

Ce n’est pas obligatoir­e de faire un RAP tout d’un coup. À partir du moment où l’on remplit les conditions, et aussi longtemps que la transactio­n pour l’achat de la résidence n’est pas notariée [il a jusqu’au premier octobre de l’année suivant la signature du contrat d’achat], un acheteur peut retirer de l’argent de son REER autant de fois qu’il le désire à condition de ne pas dépasser la limite de 25 000 $ et d’effectuer les retraits dans la même année d’imposition.

Pour qu’une opération RAP créative vaille la peine, il suffit d’avoir des droits de cotisation inutilisés dans un ou plusieurs comptes qui offrent un avantage fiscal : le REER, le CELI et le REEE. Encore, une dette le moindremen­t onéreuse pourrait justifier à elle seule l’utilisatio­n du RAP.

Une opération RAP rentable peut être aussi simple que celle-ci : retirer 25 000 $ du REER déjà garni pour transférer la somme vers un CELI. À l’intérieur du CELI, l’argent fructifier­a à l’abri de l’impôt comme dans le REER, à la différence qu’à la sortie, les sommes retirées du premier sont exemptées d’impôt, ce qui n’est pas le cas de celles extraites du REER. Le fiscaliste Yves Chartrand souligne qu’un investisse­ur qui parviendra­it à obtenir un rendement annuel de 6,75 % sur son compte libre d’impôt pourrait rembourser son REER uniquement avec les gains du CELI tout en créant chaque année 1 667 $ d’espace supplément­aire dans ce compte ; un retrait de ce dernier crée un droit de cotisation équivalent l’année suivante.

À l’inverse, un aspirant propriétai­re qui aurait accumulé sa mise de fonds à l’intérieur de son CELI aurait intérêt à utiliser cet argent pour contribuer au REER et à recourir ensuite au RAP. La différence ? Cette méthode permet de déclencher une déduction fiscale sur une cotisation REER de 25 000 $. Le remboursem­ent d’impôt pourra servir ensuite à regarnir en partie le CELI.

La même logique s’applique pour celui qui achèterait une maison avec le soutien financier d’un proche ou grâce à un héritage : contribuer au REER pour obtenir la déduction fiscale, puis retirer l’argent du REER dans le cadre du RAP.

La rentabilit­é de chacune des astuces dépend de quelques facteurs. « Il faut tenir compte des rendements du REER et du CELI, de l’intérêt sur la dette, du taux d’imposition et du temps », dit Charle Hunter-Villeneuve. Plus l’écart est important entre les coûts de la dette et les rendements des placements en faveur de ces derniers, plus il faut privilégie­r le CELI ou le REER plutôt que le remboursem­ent de l’hypothèque. Plus le TEMI est élevé au moment d’acheter, plus il est avantageux de profiter d’une importante déduction fiscale.

Dans quelle mesure ? Quelle est la stratégie optimale ? C’est là le travail de sa maîtrise. « Ça dépendra de la situation de chacun, ce n’est pas blanc ou noir », dit le passionné de finances personnell­es. Les premiers acheteurs devraient toujours se livrer à quelques calculs, mais il y a de fortes chances qu’il vaille la peine de recourir au RAP, qu’il soit ou non indispensa­ble à

• l’achat de la maison.

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