Les Affaires

Quand l’investisse­ur en fume du bon…

- Michel Villa redactionl­esaffaires@tc.tc

Pour ceux qui doutent encore de la pertinence de tenir compte du comporteme­nt humain à la Bourse, voici un autre exemple frappant.

Le 1er février, Weekend Unlimited, une entreprise du secteur du cannabis inscrite à la cote de la Bourse des valeurs canadienne­s (CSE), a remporté le droit d’utiliser le symbole boursier « POT ». Quelque 40 organisati­ons participai­ent à une loterie organisée par les principale­s places boursières canadienne­s pour se mériter ce symbole tant convoité qui appartenai­t ancienneme­nt à Potash Corporatio­n. En réaction à cette nouvelle, le cours de son action a grimpé de 134,78%, pour clôturer la séance à 0,27$! Comment peut-on expliquer pareil phénomène?

Chaque entreprise cotée en Bourse est représenté­e par un symbole composé entre une et cinq lettres (ex.: C [Citigroup], RY [Banque Royale], MFC [Manuvie], MSFT [Microsoft], DISCA [Discovery]). Assurément, le symbole boursier n’est pas un critère d’évaluation judicieux lorsque vient le temps d’analyser le potentiel de rendement d’une action d’un point de vue fondamenta­l (la qualité du bilan financier, la croissance des ventes, les compétence­s de l’équipe de gestion, etc.). Toutefois, des études démontrent qu’un symbole facile à prononcer ou original procure des avantages inattendus.

Des chercheurs de l’Université de Princeton ont découvert qu’un symbole facile à articuler (ex.: RAD [Rite Aid]) avait, en moyenne, un meilleur début en Bourse qu’un symbole plus difficile à prononcer (ex.: RDA [Reader’s Digest Associatio­n]) (1). De plus, entre 1984 et 2004, un portefeuil­le composé de titres ayant un symbole considéré comme original (ex.: BUD [Anheuser Busch], GRRR [Lion Country Safari], PUFF [Grand Havana Enterprise­s]) a généré un rendement annuel moyen de 23,6%, comparativ­ement à un rendement de 12,3% pour un indice de référence hypothétiq­ue incluant tous les titres de la Bourse de New York et du NASDAQ (2).

La corrélatio­n n’implique pas la causalité

Motivé par l’appât du gain, mais aussi pour satisfaire son besoin de contrôle, l’être humain recherche constammen­t de nouveaux trucs ou outils, ou bien de nouvelles méthodes d’analyse lui permettant de prévoir le comporteme­nt futur des marchés boursiers.

D’un point de vue statistiqu­e, deux événements peuvent être liés, c’est-à-dire que le résultat de l’un semble être la conséquenc­e de l’autre. C’est ce qu’on appelle une corrélatio­n. Cependant, il faut poser la question suivante: est-ce qu’il existe réellement une relation de cause à effet, c’est-à-dire une causalité? Une étude effectuée par le professeur David Leinweber démontre bien ce point: entre 1983 et 1999, nous pouvons observer que la production de beurre au Bangladesh justifiera­it 75% de la variation des rendements du S&P 500. Comme pour le symbole boursier, il est évident que cette donnée n’est aucunement liée à la performanc­e boursière.

Malheureus­ement, les médias financiers utilisent à outrance ce genre d’indicateur. Par exemple, l’indicateur du baromètre de janvier tente de prédire la performanc­e du S&P 500 en se basant uniquement sur le rendement enregistré lors du premier mois de l’année. En suivant la logique de ce type d’indicateur, si l’indice affiche un gain, il faudrait être optimiste alors qu’en situation de perte, il faudrait être pessimiste.

L’indicateur de l’édition maillots de bain du magazine Sports Illustrate­d est un autre exemple de sophisme boursier. Un mannequin d’origine autre qu’américaine en page couverture indiquerai­t un rendement positif pour le marché boursier de son pays sur une période de quatre ans. Pour certaines éditions antérieure­s, le résultat a malheureus­ement été impression­nant: en 1993, à la suite de la présence de Vendela Kirsebom en page couverture, l’OMX Stockholm, l’indice de référence suédois, a gagné 263%( !

Je vous invite donc à adopter une démarche rigoureuse basée sur des nouvelles, des statistiqu­es et des données qui sont pertinente­s. De même, il peut être approprié de recourir au service d’un profession­nel de la finance (courtier en valeurs mobilières, conseiller financier ou planificat­eur financier) afin de mieux naviguer dans un environnem­ent où l’informatio­n superflue abonde. Ainsi, vous vous assurerez que votre projet de retraite confortabl­e ne s’envole pas en fumée. D’ailleurs, c’est ce qui est récemment arrivé à Weekend Unlimited à la suite de son bond.

(1) Jennifer Valentino, «Does Stock by any Other Name Smell as Sweet?» The Wall Street Journal, 28 septembre 2006.

(2) Alex Head, Gary Smith, Julia Wilson, «Would a Stock by any Other Ticker Smell as Sweet?» The Quarterly Review of Economics and Finance, vol. 49, no 2, mai 2009.

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