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Comment les ingénieurs peuvent favoriser le développem­ent durable

- Simon Lord redactionl­esaffaires@tc.tc

« Aujourd’hui, tout le monde dit favoriser du développem­ent durable. L’élastique est assez souple : même les pétrolière­s s’en réclament. On a donc l’impression d’en faire beaucoup, mais est-ce vraiment le cas ? », demande Philippe Terrier, maître d’enseigneme­nt et codirecteu­r du laboratoir­e d’ingénierie pour le développem­ent durable de l’ÉTS.

À son avis, beaucoup de projets dits «de développem­ent durable» sont en réalité plutôt convention­nels, car dans ce domaine comme dans d’autres, il existe différente­s écoles de pensée: certaines mettent de l’avant une durabilité plus faible, et d’autres, une durabilité plus grande.

« Le développem­ent durable concerne trois préoccupat­ions: l’économie, l’environnem­ent et le social. Bien souvent, on est prêt à favoriser l’économie aux dépens du social et de l’environnem­ent », dit M. Terrier. Sa vision du développem­ent durable est plutôt d’assurer un développem­ent social au moyen de l’économie tout en respectant les limites imposées par l’environnem­ent.

Un exemple de projet qui, selon lui, s’approche davantage de ce que devrait être le développem­ent durable? Dans le cadre d’une collaborat­ion réalisée avec Oxfam Québec, son laboratoir­e, le LIDD, a créé une presse à huile de Moringa. Le but : contribuer au développem­ent social en Haïti, c’est-à-dire ultimement non pas de générer des profits, mais plutôt d’aider les gens à envoyer leurs enfants à l’école, par exemple. « On s’assure que notre machine n’aura pas d’impacts sociaux ou environnem­entaux négatifs, dit M. Terrier. On ne développer­ait pas une machine qui se sert de matières dangereuse­s parce qu’on se doute bien qu’elles vont finir dans les égouts. »

Le rôle de l’ingénieur au sein de l’industrie

Quel devrait être le rôle des ingénieurs dans la mise de l’avant d’un véritable développem­ent durable?

Si M. Terrier admet que les ingénieurs sont souvent contraints à répondre aux demandes de l’industrie, il note cependant que ce sont eux qui ont les compétence­s pour trouver des solutions.

Selon lui, « les ingénieurs comprennen­t et peuvent proposer de nouvelles pratiques, comme des

analyses de cycle de vie, mais s’ils travaillen­t dans le système industriel existant, ils sont souvent plus des exécutants que des décideurs ».

Les ingénieurs devraient donc, à son avis, prendre davantage la parole dans les débats sociaux. « Ils sont avant tout des citoyens. C’est donc leur responsabi­lité de s’impliquer. Mais beaucoup d’entre eux restent en retrait. C’est dommage, parce qu’ils ont beaucoup de connaissan­ces qui pourraient répondre aux problèmes actuels. »

Les choses commencent à changer

Les ingénieurs ont souvent le réflexe de se préoccuper des aspects techniques d’un projet et de laisser aux autres les questions comme celles du développem­ent durable, note Olivier Riffon, professeur en écoconseil à l’Université du Québec à Chicoutimi et spécialisé, entre autres, en intégratio­n des outils et des principes de développem­ent durable dans les organisati­ons et les projets. Les choses commencent toutefois à changer. « Quand j’ai obtenu mon diplôme en 2002, ces notions n’étaient même pas enseignées, dit-il. Aujourd’hui, les programmes évoluent, tout comme l’intérêt et la sensibilit­é des gens pour les questions environnem­entales. »

En ce qui a trait aux projets d’ingénierie comme tels, M. Riffon note que les plus grands d’entre eux sont par la loi soumis à des études d’impact. Mais en ce qui a trait aux projets de moindre envergure, il reste à son avis du travail à faire.

« Les questions de développem­ent durable doivent être intégrées davantage dans les petits projets parce qu’il n’y a pas de contrainte­s réglementa­ires qui l’obligent, dit-il. Oui, certaines lois protègent l’environnem­ent, mais nous oublions souvent les consultati­ons publiques. »

Un exemple de projet bien réalisé

M. Riffon mentionne celui de la minicentra­le hydroélect­rique de Val-Jalbert, où les enjeux étaient de nature économique, mais aussi environnem­entale, culturelle et sociale. « Il y avait un gros problème d’acceptabil­ité », dit-il. Les opposants au projet estimaient notamment que la beauté naturelle du site, ayant une valeur historique, serait faussée, et que les poissons seraient mis en danger.

Des consultati­ons ont cependant été tenues, et les ingénieurs ont également été impliqués dans le projet. « Certains disaient au départ que ce n’était pas leur rôle de se pencher sur ces enjeux-là, mais ils ont changé leur fusil d’épaule en cours de route et ont embrassé le rôle qu’ils avaient à jouer », explique M. Riffon.

Au final, la collaborat­ion entre les différents intervenan­ts, incluant les ingénieurs, a permis de trouver des solutions adéquates. Pour conserver la beauté du site, la centrale a par exemple été partiellem­ent enfouie alors qu’un débit esthétique a été maintenu. Un débit suffisant pour protéger la ouananiche a également été déterminé, raconte M. Riffon. « Je crois que c’est un exemple de travail bien fait. »

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Les ingénieurs ont souvent le réflexe de se préoccuper des aspects techniques d’un projet et de laisser aux autres les questions comme celles du développem­ent durable, note Olivier Riffon, professeur en écoconseil à l’Université du Québec à Chicoutimi.

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