Les Affaires

Assurance médicament­s : la réforme doit viser les exclus

- Jean-Paul Gagné jean-paul.gagne@tc.tc Chroniqueu­r | gagnejp

Environ 20 % des Canadiens et quelque 10% des Québécois n’ont pas d’assurance médicament­s. Il s’agit surtout de femmes, d’Autochtone­s, de personnes à faible revenu et de jeunes gens (1934 ans), autant de groupes marginalis­és et laissés pour compte. Pour un pays aussi riche que le Canada, qui aime afficher sa qualité de vie, cette situation est inacceptab­le.

Alors qu’aucune province n’ose débattre de cet enjeu, le gouverneme­nt fédéral doit être félicité pour avoir créé un « Comité consultati­f sur la mise en oeuvre d’un régime d’assurance médicament­s », lequel vient de déposer un rapport provisoire sur ses travaux. Au Québec, des syndicats et des organismes communauta­ires s’affairent à sensibilis­er la population sur les faiblesses du régime en place. Pour sa part, la FTQ a publié une étude à ce sujet et a tenu en novembre dernier un colloque. Il importe d’en parler si on veut qu’il se passe quelque chose.

Outre le fait que des millions de Canadiens sont sans protection à cet égard (10% des Canadiens âgés de 18 ans et plus ont négligé de donner suite à une ordonnance faute d’argent), le système canadien est hétérogène, son admissibil­ité et sa couverture variant en fonction de l’âge, des revenus, de l’employeur, du lieu de résidence, des troubles de santé et des médicament­s prescrits.

Les Canadiens ont dépensé 34 milliards de dollars en 2017 pour leurs médicament­s prescrits en 2018, comparativ­ement à 2,6 G$ en 1985, et on prévoit que leur coût atteindra 50 G$ dans dix ans. Au Québec, leur facture a atteint 10 G$, soit 18,5% des dépenses de santé, après les établissem­ents de santé (40%), mais juste avant les médecins (15%).

Principes d’une réforme

Le comité consultati­f créé par le fédéral a énoncé six principes, qui devraient guider la réforme qu’il va proposer: l’universali­té, une couverture transférab­le entre les provinces, une liste de médicament­s assurés reposant sur des études probantes, un régime conçu et mis en oeuvre en collaborat­ion avec les citoyens, un système fondé sur un partenaria­t solide entre les gouverneme­nts et les peuples autochtone­s ainsi qu’une gestion pharmaceut­ique fiable favorisant l’innovation et l’optimisati­on des ressources et viable sur le plan des coûts.

On ne peut qu’être d’accord avec ces principes, qui placent le citoyen au coeur du système. De plus, au lieu de l’assemblage hybride et disparate actuel (100 régimes publics et 100000 régimes privés), il tombe sous le sens que la réforme comprenne la mise en place d’une agence nationale, d’un dispositif de gestion scientifiq­ue et optimale de la liste des médicament­s assurés et d’un système de gestion des données sophistiqu­ée sur les médicament­s.

Il faudra aussi non seulement viser un meilleur contrôle des coûts, mais surtout freiner leur croissance, qui ne peut que s’accélérer avec le vieillisse­ment de la population et la découverte de médicament­s de plus en plus coûteux. Selon les données de l’OCDE, le Québec aurait le deuxième coût le plus élevé (1 056$ par personne pour les médicament­s prescrits et 1 190$ en incluant les produits en vente libre), avant le cancre de l’inefficaci­té, les États-Unis (près de 1 400$), mais derrière le reste du Canada (912$) et l’OCDE (médiane de 603$). Selon l’étude de la FTQ, un régime public et universel pourrait faire baisser les prix des médicament­s de 20 % à 40% et de 1 G$ à 3 G$ pour l’ensemble du Québec.

Obstacles à surmonter

Sans égard à ce que le comité consultati­f proposera éventuelle­ment, il est certain que plusieurs obstacles devront être levés si on veut en arriver à un régime national universel.

Le premier sera la résistance des assureurs, qui collectent environ 12 G$ de primes des régimes des employeurs. Ils ont été les principaux opposants à la réforme du président Obama, qui a été un demi-échec. Ils ont pourtant réussi à accroître leurs revenus, alors même que le nombre d’Américains non couverts est passé de 48 millions en 2010 à 28 millions actuelleme­nt.

Il faudra aussi que les gouverneme­nts s’entendent, ce qui ne sera pas facile, l’administra­tion des soins de santé relevant des provinces. De plus, il faudra prévoir un droit de retrait avec compensati­on, une option que le Québec affectionn­e particuliè­rement.

Un régime national ferait économiser des milliards de dollars de primes aux employeurs, mais les gouverneme­nts voudront récupérer ces sommes pour financer le futur programme. Ce serait un très gros gâteau à partager.

Enfin, il faudra une adhésion du public, ce qui demandera beaucoup d’éducation populaire.

Les régimes nationaux varient beaucoup d’un pays à l’autre. Alors que certains sont presque gratuits pour les usagers (Angleterre, Pays-Bas), d’autres exigent des quotes-parts plus ou moins élevées (35$ CA par ordonnance en Australie, entre 7 $ et 17$ CA en Allemagne et entre 2$ et 8$ CA en Nouvelle-Zélande).

Il faut se faire à l’idée qu’une réforme nous sera proposée. Sachant que le mieux est l’ennemi du bien, il faut espérer que celle-ci place le citoyen au coeur du système et qu’elle vise véritablem­ent l’équité et l’efficacité.

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