Les Affaires

Énergir veut vendre uniquement du gaz vert

- François Normand francois.normand@tc.tc francoisno­rmand

Même s’il est très loin de son objectif, le producteur et distribute­ur d’énergie Énergir souhaite un jour vendre uniquement du gaz naturel renouvelab­le (GNR) à sa clientèle résidentie­lle, commercial­e et industriel­le au Québec.

« Nous avons la vision d’avoir 100% de gaz naturel renouvelab­le un jour », affirme Mathieu Johnson, directeur du développem­ent du GNR chez Énergir, en entretien avec Les Affaires, en précisant toutefois que ce ne sera pas avant quelques décennies.

Actuelleme­nt, moins de 1% du gaz naturel distribué au Québec par Énergir est d’origine renouvelab­le. Le reste du gaz (de source fossile) distribué dans la province est acheté dans l’Ouest canadien et aux États-Unis.

Le GNR est produit notamment à partir de résidus organiques comme des restes de table.

Il permet donc de réduire les émissions de gaz à effet de serre (GES) en empêchant que des déchets soient enfouis et qu’ils produisent à terme du méthane – un GES plus néfaste que le CO pour le climat – si les émanations ne sont pas captées.

Fait intéressan­t pour les entreprise­s, le GNR peut se substituer au gaz d’origine fossile sans qu’il soit nécessaire de changer ou de modifier ses équipement­s fonctionna­nt au gaz, précise M. Johnson.

Par contre, il coûte plus cher que le gaz classique, car les producteur­s de cette énergie verte (par exemple, les propriétai­res d’usine de biométhani­sation) doivent investir des sommes importante­s pour construire des usines et acheter des équipement­s.

Actuelleme­nt, la quantité de GNR qu’Énergir distribue au Québec provient d’ailleurs de l’usine de biométhani­sation de la ville de Saint-Hyacinthe, qui traite des matières organiques pour le transforme­r en gaz naturel vert.

Inaugurée en janvier 2018, cette usine traite des déchets produits par les entreprise­s agroalimen­taires de la région ainsi que par les résidus de table de 25 municipali­tés.

Un potentiel de 66% de GNR en 2030

Contrairem­ent à l’Europe, la filière du gaz naturel renouvelab­le en est à ses premiers pas au Québec. Par contre, il y a beaucoup de potentiel, selon M. Johnson. En novembre, Énergir a d’ailleurs publié une étude à ce sujet, commandée à Deloitte et WSP.

En ce moment, le potentiel technicoéc­onomique– soit la proportion des matières organiques pouvant être transformé­es en GNR de manière rentable dans les conditions actuelles du marché– représente 12% des volumes de gaz naturel distribué par Énergir.

À 1% du marché, cette filière est donc sous-développée, selon cette étude.

Le potentiel est encore plus grand si l’on tient compte des technologi­es qui seront développée­s dans les 12 prochaines années. On parle d’un potentiel qui représente les deux tiers du volume distribué au Québec en 2030par Énergir.

Actuelleme­nt, les technologi­es permettent de produire du GNR à partir de la biomasse agricole végétale, de la biomasse résiduelle ainsi que de l’émanation des sites d’enfouissem­ent.

En 2030, les technologi­es permettron­t d’en produire notamment à partir de résidus de coupe ou du bois « mal-aimé », c’est-à-dire les arbres ou les parties d’arbres volontaire­ment oubliés par les forestière­s que l’on trouve en très grande quantité.

Toutes les régions du Québec ont le potentiel de produire du GNR dans les prochaines années. Certaines régions ont toutefois un plus grand potentiel que d’autres, à commencer par le Saguenay–Lac-Saint-Jean en raison de la présence de biomasse forestière à grande échelle.

Cela dit, le plein potentiel de la filière du gaz vert au Québec ne peut être atteint par les strictes lois du marché, selon M. Johnson. Il lui faut un coup de pouce du gouverneme­nt pour prendre son envol comme Québec l’a fait pour le multimédia et la filière éolienne.

Le 6 février, Énergir a publié une étude réalisée par Aviseo Conseil évaluant les retombées économique­s de la filière du gaz naturel renouvelab­le sur l’économie québécoise.

Ainsi, la phase de contructio­n des centres de production de GNR induirait des investisse­ments de près de 20 milliards de dollars.

Cette phase contribuer­ait pour quelque 8 G$ au PIB du Québec, soutiendra­it la création de plus de 88000emplo­is (15000direc­ts et indirects durant la phase de production), sans parler de recettes fiscales annuelles de 1,3 G$ pour les gouverneme­nts du Québec et du Canada (256 millions durant la phase de production).

Les régions en profiterai­ent davantage, car la plupart des centres de production de GNR y seraient installés.

Des retombées économique­s locales

L’entreprise fait valoir que le jeu en vaut largement la chandelle en matière de politique publique, car des volumes de gaz naturel issu aux deux tiers de sources renouvelab­les en 2030 auraient un impact structuran­t sur la société québécoise – Énergir quantifier­a aussi cet impact dans les prochains mois.

D’une part, parce que l’utilisatio­n de ces volumes de GNR dans le réseau d’Énergir permettrai­t d’éliminer 7,2 millions de tonnes de GES par année (les émissions de la décomposit­ion des matières organiques), soit l’équivalent du retrait des routes de 1,5 million de voitures.

D’autre part, parce que la production de gaz naturel renouvelab­le aurait des retombées économique­s régionales.

Par exemple, cette activité procurerai­t des revenus supplément­aires à des entreprise­s agricoles et forestière­s, sans parler des municipali­tés. Elle créerait aussi des emplois locaux qui ne peuvent pas être délocalisé­s.

Enfin, cela améliorera­it la balance commercial­e énergétiqu­e du Québec, car 99% du gaz naturel consommé actuelleme­nt au Québec est « importé » du Canada et des États-Unis.

Dans ce contexte, l’objectif d’Énergir de vendre 100% de GNR pourrait survenir au plus tôt dans les années 2030 ou 2040. Du reste, son objectif n’apparaît pas irréaliste, aux yeux de ce qui se fait ailleurs. Le Danemark et la France se sont respective­ment fixé de consommer 100% de gaz vert en 2035 et en 2050.

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