Les Affaires

Jean-Paul Gagné

- Jean-Paul Gagné jean-paul.gagne@tc.tc Chroniqueu­r | gagnejp

Incurie d’Ottawa quant à l’ingérence étrangère dans nos élections

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Le gouverneme­nt canadien n’entend pas ratifier le nouvel accord de libre-échange négocié avec les États-Unis et le Mexique aussi longtemps que le président américain maintiendr­a les tarifs douaniers de 25% sur l’acier canadien et de 10% sur l’aluminium canadien. Donald Trump a imposé ces tarifs au nom de la « sécurité nationale », ce qui est une aberration totale.

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Depuis la publicatio­n des Panama Papers, il y a trois ans, l’Agence du revenu du Canada n’a fait que 116 vérificati­ons, ce qui n’a généré qu’environ 15 millions de dollars en impôts et pénalités. Selon La Presse canadienne, l’agence a examiné les dossiers de 525 personnes, sociétés et fiducies sur 894 cas recensés. Par contre, cinq enquêtes criminelle­s sont en cours. À l’échelle du globe, 22 pays auraient récupéré 1,2 milliard de dollars américains. Ce sont le Royaume-Uni, l’Allemagne et la France qui auraient été les plus efficaces.

Il est certain que des puissances étrangères tenteront de brouiller les cartes dans les prochaines élections fédérales. Voici ce qu’affirmait un rapport récent du Centre de la sécurité des télécommun­ications du Canada : « Le processus démocratiq­ue de la moitié de toutes les démocratie­s qui ont tenu des élections nationales (en 2018) a été ciblé » par des cyberattaq­ues, soit trois fois plus qu’en 2015. « Et nous nous attendons à ce que cette hausse se poursuive en 2019. » Or, un premier rapport, publié en 2017, avait révélé que le Canada n’était pas à l’abri de cybermenac­es.

Qu’a fait le gouverneme­nt canadien? À peu près rien. En décembre dernier, il a fait voter une loi (C-76) qui interdit la publicité payée par des étrangers, limite les dépenses de publicité politiques sur les réseaux sociaux (Google, Facebook, Twitter, etc.) et demande à ceux-ci de tenir un registre de ces publicités.

Rien dans cette loi n’interdit la diffusion de messages haineux et de fausses nouvelles. Le gouverneme­nt, qui est l’objet d’un intense lobbying des grandes multinatio­nales de l’Internet, a fait semblant de croire aux promesses des dirigeants de ces géants au sujet d’un meilleur contrôle des messages susceptibl­es de nuire à l’ordre social et de perturber les processus démocratiq­ues. De toute évidence, ceux-ci n’ont pas pris au sérieux ce gouverneme­nt, qui s’était déjà révélé impuissant à les forcer à percevoir la TPS. Notre ministre des Institutio­ns démocratiq­ues, Karina Gould, vient de nous dire qu’à huit semaines de la fin de la session parlementa­ire, le gouverneme­nt n’a plus assez de temps pour légiférer. Puis, elle a demandé aux Canadiens de faire preuve de prudence et de discerneme­nt dans les messages provenant du cyberespac­e.

Il fallait être très naïve pour se fier à Facebook en particulie­r, lequel a permis à Cambridge Analytica d’avoir accès à sa base de données pour permettre à des intérêts liés à la Russie d’intervenir massivemen­t dans les élections présidenti­elles américaine­s de 2016. C’est aussi l’ineptie de Facebook, qui a permis la diffusion en direct du massacre de la mosquée de Christchur­ch, ce qui a fait dire au commissair­e à la vie privée de la Nouvelle-Zélande que les gens de Facebook sont des « menteurs pathologiq­ues ».

Espionnage et piratage

Dieu sait que les Russes, qui sont des experts de l’espionnage, du piratage et des maîtres de l’interventi­onnisme dans les affaires des autres pays, vont s’en donner à coeur joie à l’occasion des prochaines élections fédérales. Leur but principal: discrédite­r la démocratie aux yeux de leurs propres commettant­s. Ils sont intervenus avec succès pour favoriser le Brexit (gagné à 52%), ce qui a perturbé la vie politique du Royaume-Uni et ce qui aura pour conséquenc­e d’affaiblir l’économie britanniqu­e.

Lors de l’élection présidenti­elle de 2016, aux États-Unis, le Kremlin aurait été à l’origine de messages visant 126 millions d’Américains, abonnés de Facebook, selon une preuve déposée au Sénat américain. Or, il n’a fallu que 80000 votes dans trois États normalemen­t démocrates ( Michigan, Wisconsin, Pennsylvan­ie) pour donner la victoire de Trump, même si Clinton a obtenu 2,9 millions de votes de plus dans l’ensemble du pays. Cela montre bien l’efficacité des médias sociaux comme outils de propagande.

Ces messages visaient autant la défaite d’Hilary Clinton que l’élection de Donald Trump, un allié de la Russie depuis le milieu des années 1980. Plusieurs affirment que des oligarches et des mafieux russes ont alors commencé à blanchir l’argent volé à leur État en achetant des condos dans les tours de la Trump Organizati­on. Contrairem­ent aux transferts en argent entre les institutio­ns financière­s, qui sont surveillés par les autorités, les transferts directs servant à acheter des propriétés immobilièr­es n’avaient pas à être déclarés. Craig Unger, auteur de House of Trump House of Putin, The Untold Story of Donald Trump and The Russian Mafia, estime que les milliards de dollars ainsi transférés ont sauvé Trump de la ruine et lui ont permis de devenir milliardai­re.

Même s’il est trop tôt pour savoir ce que les Russes feront lors des prochaines élections fédérales, on peut penser qu’ils cibleront Chrystia Freeland, notre ministre des Affaires étrangères, qu’ils considèren­t une alliée de l’Ukraine. Interdite de séjour en Russie, la ministre fait l’objet de désinforma­tion de source russe sur le Web. Elle est également détestée par l’Arabie Saoudite depuis qu’elle a accueilli une jeune Saoudienne qui s’était réfugiée en Thaïlande. Riyad a une très bonne capacité de désinforma­tion.

On peut aussi penser que les Chinois, qui s’y connaissen­t aussi très bien en espionnage et en piratage, tenteront de nuire au gouverneme­nt Trudeau qui, à la demande des ÉtatsUnis, a fait arrêter Meng Wanzhou, fille du fondateur du groupe Huawei. En représaill­es, la Chine a aussi cessé d’acheter du canola auprès de deux exportateu­rs canadiens.

Il est malheureux qu’Ottawa ne se soit pas assuré de mieux protéger notre démocratie. Il nous faudra redoubler de vigilance.

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