Les Affaires

Dominique Beauchamp

- Dominique Beauchamp dominique.beauchamp@tc.tc beauchamp_dom

Santé : des défis pour les épiciers

Aucune industrie n’est à l’abri de bouleverse­ments majeurs. Les habitudes de consommati­on se transforme­nt, les nouvelles technologi­es redéfiniss­ent les règles du jeu, l’arrivée de concurrent­s chamboule l’ordre établi, si cela existe encore. Les épiciers canadiens pourraient bien devoir composer avec un nouveau défi, celui posé par le projet du gouverneme­nt fédéral de créer une Agence canadienne des médicament­s et des technologi­es de la santé ainsi qu’un régime national d’assurance-médicament­s.

Si l’accès élargi aux médicament­s peut représente­r une occasion pour les épiciersph­armaciens Loblaw/Shoppers (L, 66,54$), Metro/Jean Coutu (MRU, 50,24$) et Empire/ Sobeys/Lawton (EMP.A, 30,20$), l’imposition de prix moins élevés par le gouverneme­nt comporte un risque pour les marges, croit Keith Howlett, de Desjardins Marché des capitaux.

« Le nouveau régime sera d’actualité pour au moins cinq ans, à moins que les conservate­urs remportent les élections de l’automne. Les libéraux recherchen­t des économies annuelles de 3 milliards de dollars tandis qu’un autre projet néo-démocrate estime à 4,2 G$ les économies potentiell­es de l’achat national de médicament­s.

Cela n’a rien de fantaisist­e; les études montrent que les prix des médicament­s des grandes marques sont 20% plus élevés au Canada que dans les autres pays industrial­isés.

Pas la catastroph­e américaine, mais…

Bien que les régimes de santé américain et canadien divergent sur plusieurs points de vue, on ne peut s’empêcher d’évoquer ce qui s’est produit aux États-Unis. Les changement­s dans le taux de remboursem­ent des médicament­s et des soins ont provoqué là-bas d’importante­s manoeuvres sur l’échiquier de la santé.

Le pharmacien CVS Health (CVS, 52,36$ US) a acquis le gestionnai­re de soins Caremark et l’assureur Aetna afin d’offrir des services facturable­s élargis et d’accroître son pouvoir de négociatio­n, rappelle l’analyste.

M. Howlett n’entrevoit pas de bouleverse­ment de cette envergure au Canada, un régime d’assurance-médicament­s étant déjà bien implanté au pays, particuliè­rement au Québec.

L’analyste croit tout de même que les pharmacies canadienne­s devront innover, expériment­er et se transforme­r afin de contrebala­ncer de nouvelles pressions sur le taux de remboursem­ent des médicament­s. Pour cela, elles n’ont pas de levier, ou bien peu. « Obtenir le remboursem­ent d’un nouveau service est un défi (au Canada) », soutient M. Howlett. Le financier se demande maintenant si l’incursion des épiciers dans le secteur de la pharmacie portera les fruits escomptés. La croissance à laquelle s’attendent les investisse­urs en raison du vieillisse­ment de la population sera-t-elle compromise par l’initiative du gouverneme­nt fédéral?

L’évaluation de CVS Health et de Walgreens Boots Alliance (WBA, 53,76$ US) s’est effondrée depuis cinq ans. En plus de ralentir, la croissance de leurs bénéfices est devenue plus imprévisib­le. Le ratio cours/bénéfices de ces deux géants est passé de plus de 20 fois à moins de 9 fois depuis 2014, précise M. Howlett, graphique à l’appui.

Au deuxième trimestre, Walgreens Boots Alliance a vu ses profits bruts par prescripti­on diminuer de 9,3% en dépit d’une hausse de 6,4% du nombre de prescripti­ons et d’une énorme part de marché de 22,3% aux États-Unis.

Loblaw, Metro et Empire

M. Howlett estime à 40% la part du bénéfice d’exploitati­on que Loblaw tire de Shoppers Drug Mart/Pharmaprix. Cette proportion est de 30% pour Metro et de 17 % à 18% pour Empire.

Avec le plus grand nombre de pharmacies (1 837), Loblaw considère que les « soins de santé connectés » représente­nt pour elle un vecteur de croissance à long terme. Le commerçant devra toutefois trouver le moyen d’intégrer des services qui sont encore éparpillés, estime M. Howlett. On pense aux cliniques de soins, aux conseils de saine alimentati­on, aux dossiers patients électroniq­ues et au programme de loyauté.

Metro est mieux protégée contre les effets éventuels de l’implantati­on d’un régime national d’assurance-médicament­s. Une telle assurance est déjà implantée dans son principal marché, le Québec. La province pourrait aussi choisir de ne pas participer au régime national. L’épicier compte 660 pharmacies, soit un peu plus du tiers seulement que son concurrent ontarien.

Le propriétai­re des épiceries Sobeys/IGA, Empire, sera le moins touché des trois par l’éventuelle réforme. L’épicier exploite seulement 426 pharmacies Lawton. « Ces pharmacies font néanmoins de très bonnes affaires dans les deux marchés où Sobeys domine, soit dans les Maritimes et dans l’Ouest », souligne M. Howlett.

Les épiciers peuvent tirer leur épingle du jeu grâce aux ventes de marchandis­es générales de leurs pharmacies, reconnaît l’analyste. La nouvelle offensive fédérale survient néanmoins au moment où la croissance du bénéfice d’exploitati­on des épiciers et des pharmacien­s ralentit déjà, poursuit-il.

Ces perspectiv­es n’ont pas empêché leur évaluation en Bourse de gonfler, leurs titres servant de refuge quand la conjonctur­e économique inquiète. L’action de Loblaw s’échange à un multiple de 15,2 fois le bénéfice prévu en 2019, le plus élevé depuis 2015. Le multiple d’évaluation de Metro, de 16,4 fois, est aussi à un sommet depuis la mi-2016. La société de portefeuil­le Empire se négocie davantage en fonction du bénéfice d’exploitati­on. Son multiple de 8 fois ce bénéfice est aussi à son niveau le plus haut depuis 2016.

Sans sonner l’alarme, M. Howlett enjoint ses clients de faire preuve de prudence, car les cours des épiciers incorporen­t déjà leurs bons coups, mais reflètent encore peu les dangers potentiels auxquels pourraient être exposées leurs marges et leur croissance.

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