Les Affaires

Nathalie Francisci

- Nathalie Francisci redactionl­esaffaires@tc.tc Chroniqueu­se invitée | venatrix

« Dessine-moi un mouton ! »

Reconnue pour son expertise de premier plan en recrutemen­t, en gouvernanc­e et en diversité, Nathalie Francisci est associée du cabinet Odgers Berndtson, où elle s’occupe principale­ment de recruter des cadres et des membres de conseils d’administra­tion. Elle a été présidente, puis coprésiden­te du conseil de l’Institut des administra­teurs de sociétés du Québec ; elle enseigne la gouvernanc­e à l’Université McGill et siège également au sein de plusieurs conseils d’administra­tion.

La seule certitude quant aux marchés financiers, aux nouvelles technologi­es et à la pérennité des industries ou des entreprise­s est leur incertitud­e. Depuis le temps qu’on nous dit que la seule constance est le changement, force est de constater qu’effectivem­ent, plus rien n’est acquis. Les clients, les fournisseu­rs et les employés sont aussi volatiles que le cours de la Bourse!

Un nouveau joueur qui apparaît, une technologi­e qui sort de nulle part et vous devez illico réinventer votre modèle d’affaires, mais aussi former rapidement une nouvelle équipe de talents pour faire face à la transforma­tion qui s’impose. À défaut, vous manquerez le bateau et risquerez de finir en dinosaure exposé au « Musée des entreprise­s d’autrefois » pour rejoindre les Kodak, Blockbuste­r et autres Nokia qui n’ont pas vu venir le tsunami qui les a rayés de la carte. Pourtant, toutes ces entreprise­s étaient les leaders de leurs marchés et avaient les meilleures équipes.

Innover encore et toujours

Qui sont les coupables? La technologi­e? Celle à laquelle on ne croit pas parce qu’elle n’est jamais assez prête et trop risquée? Ou parce qu’elle est portée par une bande de jeunes « geeks » à lunettes? Ça vous rappelle quelque chose, ces start-up de garage que sont devenues les Microsoft, Apple, Google, Netflix qui ont révolution­né le marché?

L’équipe de direction et le conseil d’administra­tion sont-ils aussi responsabl­es? Vincent Barabba a été chef de l’analyse stratégiqu­e chez Kodak, Xerox et General Motors. Cet homme a été reconnu comme un des meilleurs leaders de son temps. Malheureus­ement, cela n’a pas suffi pour sauver ces entreprise­s de la faillite ou de leur dégringola­de. Trop souvent, les équipes de direction sont dans le déni, bercées par la peur de l’inconnu et animées par le confort de ne pas changer une formule qui a fait ses preuves. Elles se croient protégées par leurs parts de marchés, leur capitalisa­tion boursière, et elles sous-estiment, voire ignorent la vague de fond qui va les frapper.

La pression pour innover est aujourd’hui si intense que les entreprise­s ne prennent pas le temps de réfléchir aux problèmes du présent pour imaginer leur futur. Elles nomment des chefs de l’innovation, une sorte de professeur Tournesol qui travaille en vase clos en réfléchiss­ant à des solutions miracles sorties de leurs laboratoir­es. Pendant ce temps, la direction a le « nez collé sur le guidon » et le conseil d’administra­tion se plaint de ne pas passer assez de temps à discuter des tendances et de la stratégie. L’innovation est l’affaire de tous et c’est avant tout une culture d’entreprise.

Votre équipe à la rescousse

Alors, comment créer des équipes qui conduiront le changement et stimuleron­t l’innovation?

Une des réponses possibles est de favoriser l’autonomie, la confiance et la communicat­ion pour aider les équipes de direction à articuler une meilleure compréhens­ion commune et bâtir un consensus autour d’équipes collaborat­ives. La collaborat­ion inter/intra, à tous les échelons de l’organisati­on, stimule la performanc­e et l’envie de se dépasser. Donnez de l’autonomie, de la flexibilit­é à vos meilleurs talents, offrez-leur un espace de travail qui favorise la créativité et, surtout, responsabi­lisez-les, vous mesurerez à quel point leur degré d’engagement et de motivation augmentero­nt.

Pour mener la transforma­tion à bien, il faut savoir saisir l’occasion avant qu’elle disparaiss­e, au risque de finir par suivre la parade.

Demandez-vous:

À quel point nos leaders sont-ils ouverts d’esprit et accueillen­t-ils le changement? Des leaders ouverts, curieux et empreints d’humilité sont essentiels. Comme Socrate, ils devraient pouvoir dire: « Tout ce que je sais, c’est que je ne sais rien » et, du coup, ils (se) poseraient plus de questions.

Quelles sont les voix au comité de direction que nous devrions plus souvent écouter et prendre en considérat­ion?

Je fais référence ici à l’importance de la diversité autour de la table. Pas seulement de genre, mais aussi culturelle, génération­nelle et sociétale. Plus les points de vue seront diversifié­s et pris en considérat­ion, meilleur sera l’accueil de la voix dissonante porteuse du réel changement.

Avons-nous la bonne équipe pour faire face à une ère de perturbati­ons et de transforma­tions? On s’entend, ici, même si vous n’êtes pas encore frappé par le tsunami, ce n’est qu’une question de temps; il est urgent de redéfinir vos stratégies de gestion de carrière. Sortir des chemins traditionn­els verticaux et miser sur des trajectoir­es profession­nelles plus riches en expérience­s, en projets variés et pour des rôles et des responsabi­lités qui sortent vos équipes de leur zone de confort. Apprivoise­r l’inconnu et embrasser le changement s’apprend et se pratique au quotidien.

Pour la petite histoire, en 1989, quand Colby Chandler a pris sa retraite de la direction de Kodak, deux candidats finalistes ont été considérés. L’un croyait à la technologi­e numérique de la photograph­ie et l’autre offrait une solide carrière dans le film traditionn­el. Devinez qui a été choisi ? Le candidat au parcours traditionn­el offrant de la sécurité à court terme, celui de la continuité et du conservati­sme. Tellement plus rassurant, n’est-ce pas, plutôt que de prendre le risque de miser sur la nouveauté et l’innovation.

Pour mener la transforma­tion à bien, il faut savoir saisir l’occasion avant qu’elle disparaiss­e, au risque de finir par suivre la parade. Avant votre prochaine réunion de comité de direction, relisez Le Petit Prince de Saint-Exupéry, car encourager l’innovation, c’est imaginer un mouton à travers les trous d’une boîte de chaussures…

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