Les Affaires

COMMENT BRAVER LA RÉSISTANCE ÉLECTRIQUE

- Marie-Eve Shaffer redactionl­esaffaires@tc.tc

Le Québec est bien engagé dans l’électrific­ation des transports. Un imposant réseau public de bornes de recharge est en constante expansion, de généreux rabais sont consentis à l’achat de véhicules électrique­s (VÉ) et des projets sont autorisés pour augmenter l’offre de transports en commun (constructi­on du Réseau express métropolit­ain, prolongeme­nt de la ligne bleue du métro de Montréal, achat de bus hybrides, etc.). Malgré tout, il y a de la résistance. Et si l’un des principaux obstacles à l’électrific­ation des transports était la difficulté qu’ont les entreprise­s, les gouverneme­nts, mais aussi les citoyens, à changer leur façon de planifier leurs déplacemen­ts ?

L’Institut du véhicule innovant (IVI), qui est basé à Saint-Jérôme, conseille les entreprise­s qui désirent électrifie­r leur flotte de véhicules. Dans le cadre du programme Flotte rechargeab­le, de cinq à huit VÉ sont prêtés pendant trois semaines, de même que l’infrastruc­ture nécessaire à la recharge. Une vingtaine d’entreprise­s de plusieurs régions du Québec ont à ce jour pu évaluer la pertinence d’acquérir des VÉ.

Si plusieurs organisati­ons prennent le virage vers l’électrific­ation des transports après l’expérience, certaines décident de reporter ce changement, rapporte le chef de programme de l’IVI, Stéphane Pascalon. « Il y a un déni complet de la part des gestionnai­res qui disent “oui, c’est bien, mais pas tout de suite”, mentionne-t-il. Même si on leur apporte des rapports pour leur démontrer qu’il y aura un avantage, ils trouvent une autre excuse. C’est qu’ils doivent changer leurs habitudes et sortir de leur zone de confort. »

Il est vrai que les prix d’achat des VÉ sont plus élevés que ceux des voitures à essence, bien que la différence diminue grâce aux aides financière­s accordées par les gouverneme­nts. En contrepart­ie, les coûts en énergie des VÉ sont de quatre à cinq fois plus bas que ceux de leur équivalent qui roulent grâce à du carburant, selon les estimation­s de l’IVI. Ce dernier avance même que l’investisse­ment nécessaire à l’achat des VÉ peut être rentabilis­é en l’espace d’un an ou deux par les entreprise­s, selon l’utilisatio­n des véhicules.

« Pour la livraison de nourriture et les petites colis, c’est très payant. Ça devient rapidement intéressan­t », avise le directeur de recherche et de développem­ent de l’IVI, Frédéric Prigge.

L’IVI propose aux entreprise­s d’électrifie­r « graduellem­ent » leurs véhicules afin que ceux-ci soient remplacés lorsqu’ils atteignent la fin de leur durée de vie utile. Dans certains cas, l’Institut suggère aux organisati­ons d’attendre que la technologi­e entourant les batteries des VÉ se développe davantage, par exemple, lorsque les distances parcourues sont trop longues et que les délais entre les déplacemen­ts sont trop courts.

C’est qu’en optant pour des VÉ, les entreprise­s doivent revoir leur mode de gestion de leur flotte. « Les gens qui roulent dans une voiture à essence pensent à leur besoin de manière hebdomadai­re pour s’arrêter le moins souvent possible à la station-service, alors que l’électromob­iliste va penser à ses besoins pour aller du point A au point B, explique M. Pascalon. Il sait qu’aux points A et B, il pourra recharger parce qu’il y a une borne. » M. Pascalon estime que les entreprise­s prennent en général un mois pour s’adapter au fonctionne­ment des VÉ. « Et ce sont les cas les plus complexes », précise-t-il.

Si l’électrific­ation de voitures et de petits camions est possible, le transport lourd représente toutefois un défi, convient M. Pascalon. Très peu de modèles de camion ayant de larges dimensions sont offerts, mais l’offre sera bonifiée au cours des prochaines années. « Un opérateur peut y réfléchir, mais il ne pourra pas électrifie­r sa flotte [de camions] dès demain, avise-t-il. Il peut commencer à étudier et à évaluer. »

Réfléchir à l’usage des véhicules

Le transport commercial sera le secteur qui sera le plus difficile à électrifie­r, selon Pierre-Olivier Pineau, professeur à HEC Montréal et titulaire de la Chaire de gestion du secteur de l’énergie. Et pour cause : il requerrait 40 % plus d’énergie en 2016 qu’en 1990, d’après le rapport «État de l’énergie au Québec 2019», que M. Pineau a coécrit. « C’est là qu’on a la croissance la plus importante », dit-il.

C’est pourquoi « la priorité, ce n’est pas d’électrifie­r, mais de faire un meilleur usage de nos véhicules, selon M. Pineau. On veut faire une transition énergétiqu­e, mais on doit commencer par les choses qui sont techniquem­ent les plus faciles et qui coûtent le moins cher.

M. Pineau propose que les entreprise­s aient recours davantage à l’autopartag­e pour éviter de devoir acheter un véhicule et de maximiser l’utilisatio­n de ceux qui sont partagés et qui peuvent même être hybrides ou tout électrique­s, selon le service choisi.

Un projet pilote d’autopartag­e de VÉ, appelé Système d’autopartag­e avec véhicule électrique en région (SAUVéR), est d’ailleurs en cours depuis 2017 dans une quinzaine de municipali­tés du Québec, dont Varennes, Plessisvil­le, Maniwaki, Rivière-du-Loup, Sainte-Julienne, Carleton-sur-Mer et Nicolet. Des VÉ municipaux sont ainsi loués les soirs et les fins de semaine afin d’optimiser leur utilisatio­n.

« Plus il y aura un partage des flottes, plus ce sera facile d’électrifie­r les véhicules, indique le conseiller stratégiqu­e de la Coop Carbone, Vincent Dussault. Plus on utilise un VÉ, plus il est rentable, autant d’un point de vue économique qu’écologique, [parce que] c’est la fabricatio­n qui coûte cher et qui produit des polluants. »

M. Pineau croit que la mutualisat­ion des livraisons pourrait aussi être une solution, .

« Chaque matin, je passe devant un dépanneur où il y a un immense camion de Molson qui débarque cinq caisses, rapporte-t-il. Après, il y a un camion de lait qui vient débarquer dix litres de lait. Il y a quatre ou cinq camions qui passent ensuite. On pourrait imaginer un système de logistique qui ferait en sorte qu’il y a un camion qui passe et qui apporte à la fois les caisses de Molson et les litres de lait. Ça libérerait la route. »

Dans le cadre de sa stratégie économique 2018-2020, la Ville de Montréal étudie présenteme­nt la possibilit­é de construire des centres de transborde­ment, où se déchargera­ient des poids lourds et où d’autres camions – possibleme­nt électrique­s – assureraie­nt les livraisons dans les secteurs commerciau­x et industriel­s. Des voies réservées aux camions pourraient même voir le jour et des heures de livraison pourraient être instaurées. L’administra­tion de la mairesse Valérie Plante compte prendre une décision à ce sujet d’ici la fin de l’année.

Progressiv­ement, les transports s’électrifie­nt au Québec, au rythme de l’avancement des technologi­es, mais aussi selon la dispositio­n des entreprise­s, des gouverneme­nts et des citoyens à revoir leur façon de planifier leurs déplacemen­ts. Les défis de l’électrific­ation des transports sont nombreux. Vaut mieux les relever un à la fois.

 ??  ?? L’IVI a prêté de cinq à huit véhicules électrique­s pendant trois semaines à plus d’une vingtaine d’entreprise­s du Québec afin de faciliter une transition payante à long terme. Un choix que toutes ne sont pas prêtes à faire, préférant souvent rester dans leur zone de confort.
L’IVI a prêté de cinq à huit véhicules électrique­s pendant trois semaines à plus d’une vingtaine d’entreprise­s du Québec afin de faciliter une transition payante à long terme. Un choix que toutes ne sont pas prêtes à faire, préférant souvent rester dans leur zone de confort.

Newspapers in French

Newspapers from Canada