Les Affaires

TITRE EN DÉCLIN : QUAND VENDRE, QUAND PATIENTER

- Pierre-Olivier Langevin redactionl­esaffaires@tc.tc Pierre-Olivier Langevin est CFA, gestionnai­re de portefeuil­le et associé chez Medici.

C’est la fin du mois et comme tout bon investisse­ur, vous consultez votre plus récent relevé de placements. À votre grand désarroi, l’entreprise ABC figure toujours à votre relevé, elle qui a perdu la moitié de sa valeur au cours des derniers mois. Votre gestionnai­re « s’entête » à la conserver en portefeuil­le malgré vos questionne­ments. « Si c’était moi qui décidais, ça ferait longtemps que je l’aurais larguée », vous dites-vous. Cette situation vous apparaît familière? Normal! Tous les gestionnai­res, même les meilleurs, détiendron­t tôt ou tard des entreprise­s qui tombent en défaveur du public.

Si plusieurs grands investisse­urs louangent les vertus de la patience, comment déterminer la meilleure décision à prendre lorsqu’un titre connaît un passage trouble ?

L’exemple de GDI

À la mi-2015, il y a environ quatre ans, nous avons pris une participat­ion initiale dans le titre de GDI Services aux immeubles à un peu plus de 18$. GDI est un spécialist­e des services d’entretien d’immeubles actif sur les marchés canadien et américain. Ce fleuron québécois venait d’effectuer un retour en Bourse après avoir fermé son capital durant quelques années pour piloter une incursion aux États-Unis.

Au cours de la première vie en Bourse de GDI, nous avions été impression­nés par la capacité des dirigeants à réaliser l’acquisitio­n d’entreprise­s à un multiple d’évaluation très raisonnabl­e. Comme l’industrie dans laquelle se spécialise GDI est très fragmentée, nous savions que la société allait pouvoir générer pendant encore plusieurs années une bonne croissance par acquisitio­ns. Nous gardions également en tête qu’elle pouvait réduire rapidement ses coûts lorsque le contexte l’exige, étant donné que la majorité de ses dépenses proviennen­t de la masse salariale de ses préposés à l’entretien.

C’était pour l’essentiel les raisons pour lesquelles nous avions investi dans l’entreprise à la suite d’une analyse détaillée.

Peu après nos premiers achats du titre, celui-ci a chuté de façon marquée, aux alentours de 11 $ par action en raison d’une baisse de la croissance interne. Cette baisse résultait notamment du taux élevé d’inoccupati­on des immeubles dans l’Ouest canadien.

Rappelons que la chute du cours du baril de pétrole avait plongé l’Alberta en récession en 2015. Malgré de moins bons résultats à court terme, rien n’avait vraiment changé pour GDI. L’Ouest canadien n’allait pas perpétuell­ement demeurer en récession. La croissance interne allait tôt ou tard revenir à la normale, et dans l’intervalle, les dirigeants pouvaient aisément réduire leurs coûts de main-d’oeuvre. Une rencontre de notre équipe d’analyse avec les dirigeants de GDI au cours de cette période moins faste nous avait convaincus que son potentiel de réaliser des acquisitio­ns judicieuse­s demeurait grand en dépit de ces résultats passagers plus faibles. Ce contexte nous a ainsi permis d’améliorer notre participat­ion à un meilleur prix.

La perspectiv­e du client

Si, à ce moment, l’histoire nous semblait évidente et logique, c’était moins le cas pour ceux qui nous ont confié la gestion de leurs avoirs.

GDI est une entreprise de petite capitalisa­tion plutôt méconnue du public même si son siège social est situé à Montréal. Les entreprise­s d’entretien ménager font rarement les manchettes des médias. Son faible volume de négociatio­ns en Bourse ne contribue pas à accroître sa visibilité. Ajoutons à cela une perte sur papier de près de 50% dans un marché haussier et tous les ingrédient­s étaient réunis pour en faire, chez nos clients, le titre « souffre-douleur » du moment. Durant cette période, la majorité de nos clients (que nous rencontron­s annuelleme­nt) étaient exaspérés et doutaient de la qualité d’un investisse­ment dans cette société.

Depuis ce temps, les ventes et les bénéfices d’exploitati­on de GDI ont crû de respective­ment de 51% et de 69%. Le titre se négocie maintenant à près de 25$, plus de deux fois le prix auquel il se négociait à son creux du début de 2016. Le temps aura fini par nous donner raison.

Les leçons à retenir

Il y a plusieurs leçons à retenir de l’histoire de GDI depuis son retour en Bourse.

D’abord, surveiller de près les développem­ents économique­s d’une entreprise détenue en portefeuil­le est une condition préalable à une prise de décision adéquate. Chaque placement doit être traité au cas par cas lorsqu’un recul boursier important survient. La clé de l’énigme n’est pas de faire preuve d’une patience permanente comme certains dictons boursiers le suggèrent, mais plutôt de détecter les situations où il est requis de l’être ou non.

Il est tout à fait compréhens­ible que les clients d’un gestionnai­re de portefeuil­le manifesten­t des signes d’impatience lorsqu’un titre présente un rendement négatif ou fait du surplace pendant quelques années. Un épargnant qui analyse ses relevés a souvent pour unique point d’observatio­n la baisse du cours boursier. Il est de commune mesure, dans une telle situation, de conclure que l’entreprise n’est pas bonne et doit être vendue. Un des rôles clés du gestionnai­re est de remplacer les impression­s de ses clients par des faits notables. Même si GDI devait à l’époque surmonter certains obstacles, son recul en Bourse ne remettait pas en question un de ses principaux atouts économique­s, soit sa capacité de réaliser des acquisitio­ns à des prix attrayants.

Cela dit, un bon gestionnai­re de portefeuil­le doit toujours garder un regard critique sur la nature d’un changement défavorabl­e qui affecte une entreprise. Est-il de nature permanente ou temporaire? Si la société compose avec un problème qui semble passager, la patience s’impose. Si, à l’inverse, le problème est important et apparaît permanent, il vaut mieux tourner la page rapidement.

Enfin, un gestionnai­re qui souhaite atténuer les craintes de ses clients se doit de communique­r clairement les raisons sur lesquelles reposent ses décisions. La prochaine fois qu’un titre n’évolue pas à la hauteur de vos attentes, assurez-vous d’obtenir des explicatio­ns de votre gestionnai­re quant à la nature des enjeux. Il n’y a pas meilleure façon d’évaluer la qualité des efforts qu’un gestionnai­re met à l’analyse d’entreprise­s exemplaire­s.

Divulgatio­n: les clients et les associés de Medici détiennent des actions de GDI Services aux immeubles.

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