Les Affaires

Dominique Beauchamp

- Dominique Beauchamp dominique.beauchamp@tc.tc beauchamp_dom

On passe à l’ère de la réduction de dette

Àmesure que le cycle économique approchera de sa fin, les entreprise­s assainiron­t leur bilan. Cette réduction de dette est salutaire, mais les actionnair­es risquent d’en faire les frais pendant la transition, préviennen­t des experts de Bank of America Merrill Lynch dans une étude.

Après avoir favorisé les actionnair­es, les sociétés privilégie­ront les créanciers. « Les actionnair­es absorberon­t le coût initial de cet assainisse­ment », explique Oleg Melentyev, stratège du marché des dettes qui a piloté l’étude.

Il évoque le cas d’Anheuser-Busch ImBev (BUD, 86,35$ US). Le principal brasseur mondial a charcuté son dividende de moitié en octobre 2018 pour prioriser le remboursem­ent de sa dette. Il donne aussi l’exemple de Kraft Heinz (KHC, 32,56$ US), dont la dette atteint 31,3 milliards de dollars américains. Le géant de la consommati­on vient de réduire son dividende de 36% et songe à vendre des actifs. Le cours de son action a mal réagi; il a chuté de 27% le 22 février, mais le cours de ses titres de créance de dix ans a peu bougé, signe que le virage du géant alimentair­e plaît aux porteurs de ces titres.

Retour du balancier

L’effet en Bourse sera temporaire, les sociétés qui ont fait le ménage finissent toujours par retrouver la faveur des investisse­urs. À court terme, cependant, ce sont les détenteurs des titres de créance qui profiteron­t de la situation.

Déjà, on observe un renverseme­nt de tendance. En proportion de leur valeur boursière, les entreprise­s les plus endettées du S&P 500 sont escomptées de 7% par rapport à celles qui détiennent des liquidités nettes, en fonction des bénéfices prévus, relève aussi l’étude de Bank of America Merrill Lynch.

Chez les grands investisse­urs, ils sont trois fois plus à réclamer que les entreprise­s utilisent leurs flux de trésorerie pour réduire leur dette au lieu de retourner du capital aux actionnair­es, selon le sondage mensuel mené par le courtier auprès de grands gestionnai­res mondiaux.

Quelque 43% des gestionnai­res sondés veulent que les entreprise­s réduisent leur dette. Il s’agit de la proportion la plus élevée depuis la crise financière.

La pression sur les entreprise­s est parfois externe. L’agence Dominion Bond Rating Service, par exemple, vient d’abaisser la cote de crédit du Groupe Saputo (SAP, 45,48 $), dont le taux d’endettemen­t doublera à l’acquisitio­n du fabricant britanniqu­e de cheddar Britanniqu­e Dairy.

Cela contraste avec les années passées, quand les investisse­urs affectionn­aient les entreprise­s qui profitaien­t des faibles taux d’intérêt pour emprunter afin de majorer leurs dividendes ou de racheter leurs actions. Les sommes empruntées ont aussi nourri une longue vague de transactio­ns par les entreprise­s en quête de croissance.

Ces stratégies avaient la cote dans un contexte où la croissance économique modérée ne parvenait pas à soutenir des hausses de revenus et de bénéfices. Entre 2011 et 2018, l’économie américaine a crû à un rythme annuel de 1,5%, une fois soustrait l’effet de l’inflation, ce qui est nettement moins que durant les périodes précédente­s.

« Emprunter pour financer des acquisitio­ns et des rachats n’est pas un phénomène nouveau, mais il a atteint une envergure inégalée dans la dernière décennie », indique le stratège. Selon lui, les emprunts ont financé plus de la moitié (58%) des rachats d’actions et des transactio­ns.

Le courtier estime que les rachats d’actions représente­nt presque le tiers de la progressio­n de 45% des bénéfices par action des entreprise­s de l’indice élargi Russell 3000 (sans les financière­s, les services publics et les fonds immobilier­s), depuis cinq ans.

Pendant la même période, la dette totale des sociétés du même indice a doublé, passant de 1 600 G$ US à 3 400 G$ US.

La dette globale des entreprise­s est donc élevée, et ce, alors que leur bénéfice d’exploitati­on est appelé à décliner, comme c’est le cas à la fin de tous les cycles économique­s.

En plus de la récente hausse des taux et de l’avancée du cycle économique, les entreprise­s ont de nouveaux motifs pour diminuer leur dette.

Les acheteurs étrangers sont moins friands qu’avant des obligation­s émises par les sociétés américaine­s, car l’appréciati­on du dollar américain nuit aux rendements convertis dans leur devise.

La déconfitur­e de décembre 2018, tant en Bourse que dans le marché de la dette, a aussi montré aux entreprise­s que le robinet des capitaux peut se tarir rapidement, fait aussi valoir M. Melentyev.

Pourquoi l’investisse­ur boursier devrait-il s’en soucier? D’abord, le fait que moins d’actions seront rachetées ralentira la progressio­n des bénéfices par action. Les experts de Bank of America Merrill Lynch ne prédisent pas la fin abrupte des rachats d’actions aux États-Unis puisque les entreprise­s dégagent encore de bons flux de trésorerie libres grâce à la réforme des impôts.

Les banques américaine­s et les sociétés de technologi­e resteront notamment des « racheteurs » actifs. Par contre, globalemen­t, les rachats d’actions pourraient commencer à se raréfier en 2020.

La hausse des bénéfices de 7% que prévoit le courtier en 2020 pour le S&P 500 n’incorpore aucune réduction nette du nombre global d’actions en circulatio­n des entreprise­s américaine­s.

Une analyse de 450 sociétés depuis 2010 révèle que la suspension des rachats d’actions fait aussi reculer l’action dans les mois qui suivent.

Dans 70% des cas, le titre atteint un niveau plancher dans les quatre mois qui suivent la suspension du rachat. Un peu plus du tiers des titres analysés ont perdu de 5 % à 15%.

Si le repli est de courte durée, il faut compter plus de huit mois avant qu’un titre récupère le terrain perdu après la suspension du rachat, dans 64% des cas.

La patience est un avantage puisque le cours de l’action rebondit éventuelle­ment de plus de 20%, pour les trois quarts des sociétés étudiées, précise le courtier.

Quant au bénéfice par action, il faut attendre de un à deux ans avant qu’il ne retrouve le niveau qu’il avait avant la fin du rachat.

 ??  ??

Newspapers in French

Newspapers from Canada