Les Affaires

Vive la connexitén­exité!!

- Olivier Schmouker chmouker

Notre-Dame de Paris a été ravagée par les flammes. Une pluie de promesses de dons dépassant le milliard d’euros s’est aussitôt mise à tomber de toutes parts afin d’en assurer la reconstruc­tion. Ce qui a permis d’éteindre la douleur de tous ceux qui ont ressenti, ce lundi-là, les braises brûler dans leur coeur et leurs tripes.

Mais voilà, sur les médias sociaux, nombre de gens se sont offusqués: « Quoi? ! Un milliard pour une église (sic)? Bravo les champions de la laïcité ! », « Est-ce juste moi? Je ne ressens rien pour ce tas de pierres qui brûle: la spirituali­té, elle doit être en nous, pas dans une vieille bâtisse », « Avec un milliard, moi, je nourrirais ceux que je connais et qui ont faim, pis je construira­is des hôpitaux modernes pour mes proches. Priorité aux vraies priorités! », ai-je notamment vu passer.

Ça m’a sauté aux yeux: tous ces commentair­es étaient, en vérité, révélateur­s des ravages de l’individual­isme. Oui, de cet individual­isme forcené et outrancier qui caractéris­e nos sociétés occidental­es depuis des décennies. Qui teinte chacune de nos pensées par un omniprésen­t « Moi, Moi, Moi » au détriment du « Nous, Nous, Nous ». Qui nous fait perdre de vue la collectivi­té dans laquelle nous évoluons. Qui occulte le « patrimoine d’une valeur universell­e exceptionn­elle – historique, architectu­ral, spirituel et littéraire » qu’est Notre-Dame, selon Audrey Azoulay, directrice générale de l’Unesco.

Ainsi, quelqu’un d’athée ne voit pas pourquoi on rebâtirait une cathédrale, quelqu’un d’obnubilé par sa quête personnell­e de spirituali­té ne voit pas pourquoi on reconstrui­rait un lieu de culte ouvert à tous et quelqu’un d’angoissé par son quotidien ne voit pas pourquoi on se donnerait collective­ment d’autres priorités que les siennes. C’est aussi bête que ça.

Comment renouer tous ensemble avec le « Nous » ? Comment faire comprendre à chacun d’entre nous que ce qui frappe ailleurs nous frappe de plein fouet? Que, vous comme moi, nous sommes un simple noeud au sein de gigantesqu­es réseaux de connexions, et qu’un choc qui se produit en un lieu donné – un tsunami, une guerre, une crise financière, l’incendie

d’une cathédrale… – a des répercussi­ons jusqu’à notre petite personne?

OK, je vais vous l’expliquer le plus simplement possible, et ce, à l’aide de… la théorie du virus.

Kjell Arne Røvik est professeur de comporteme­nt organisati­onnel à l’Université de Tromsø, en Norvège. Il s’est longtemps intéressé à la diffusion des innovation­s managérial­es au sein des organisati­ons, et en est arrivé à la conclusion, en 2011, que les idées neuves s’y propageaie­nt comme les virus.

Imaginez qu’un directeur des ressources humaines (DRH) découvre les bienfaits d’être debout à son bureau, au lieu d’être assis toute la journée. Il va l’essayer sur lui-même, puis, convaincu, va en faire part à la haute direction, laquelle va donner son aval pour que cette innovation soit adoptée par tout le monde. On le voit bien, l’idée vient d’un point du réseau de connexion (le DRH), puis va dans une plaque tournante de connexions (la haute direction), pour ensuite contaminer l’ensemble du groupe.

Imaginez maintenant que le DRH ait la grippe. Si, par malheur, il passe du temps avec des gens qui côtoient beaucoup de monde dans une même journée, c’est toute l’entreprise qui risque d’être grippée dans les prochains jours.

Les travaux de M. Røvik – corroborés par ceux d’autres chercheurs norvégiens, dont Søren Obed Madsen, Dag Øivind Madsen, Kåre Slåtten et Daniel Johanson – montrent que le parallèle est rigoureuse­ment parfait. D’ailleurs, nous avons tous déjà noté, par exemple, que certains sont plus résistants que d’autres (au changement, à la maladie…), ou encore que certains sont plus isolés au travail que d’autres, ce qui freine la propagatio­n d’une innovation comme d’un virus.

La théorie du virus se vérifie-t-elle à d’autres échelles qu’à celle de l’organisati­on? Oui. Des études en attestent, comme celle des économiste­s Cinzia Di Novi et Anna Marenzi, qui montre que le tabagisme se propage entre les gens et même entre les génération­s comme un virus, ou encore comme celle des biologiste­s Petter Forsberg et Kristofer Severinsso­n, qui révèle que la corruption se propage dans un pays exactement comme le fait un virus.

Autrement dit, nous vivons tous dans de vastes réseaux de connexions, et il est aujourd’hui vital de le réaliser, mieux, d’en tirer parti. Il nous faut cultiver ce que j’appelle notre « connexité », le principe selon lequel les êtres humains n’évoluent sainement que s’ils nouent des liens fructueux entre eux. Et, donc, arrêter de nous regarder notre petit nombril pour non seulement considérer la globalité de notre réseau de connexions, mais aussi y grandir de manière harmonieus­e – non plus au détriment d’autrui, mais au profit de tous.

Ne pas saisir que le jour où une merveille de l’humanité comme Notre-Dame brûle est un jour malheureux, c’est faire preuve d’une faible connexité. C’est le signe d’un nombrilism­e exacerbé, et par suite de l’urgence de passer du « Moi » au « Nous ». Car notre épanouisse­ment passe nécessaire­ment par une ouverture maximale à notre réseau de connexions, et donc à tout événement plus grand que nature – positif comme négatif – qui s’y produit. CQFD.

 ??  ??

Newspapers in French

Newspapers from Canada