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BRISER LES MONOPOLES DES GÉANTS DE L’INTERNET ET MIEUX LES TAXER

- Jean-Paul Gagné jean-paul.gagne@tc.tc gagnejp @@

Le lancement par le ministère de la Justice des États-Unis d’une vaste enquête sur les géants de l’Internet est une bonne nouvelle. La raison ? « Les grandes inquiétude­s des consommate­urs, des sociétés et des entreprene­urs sur la recherche dans Internet, les médias sociaux et le commerce en ligne ».

Le communiqué du ministère ajoute que ce mandat pourrait être « redressé » à la lumière de faits qui pourraient être considérés en contravent­ion de la loi fédérale sur la concurrenc­e. Il s’agit du Sherman Anti-Trust Act de 1890, qui vise à combattre les manoeuvres et les conspirati­ons limitant la concurrenc­e et favorisant les monopoles. Le communiqué ne désigne pas d’entreprise, mais il est clair que Google, Facebook et Amazon figurent au premier plan des sociétés visées. Celles-ci bénéficien­t de positions dominantes dans les trois domaines mentionnés. Apple pourrait aussi être visée, d’autant plus qu’elle est accusée de monopole par des développeu­rs d’applicatio­ns utilisant son système d’exploitati­on iOS.

De façon générale, les outils de recherche dans Internet, de connectivi­té et de commerce électroniq­ue de ces géants sont très appréciés des consommate­urs et des entreprise­s. Alors que

Google est une bibliothèq­ue universell­e et que Facebook a élargi le perron d’église au monde entier, Amazon offre à bon prix des milliards de produits livrables en très peu de temps au lieu désiré. Quant aux services, ils sont accessible­s sans coût apparent ou à des prix très compétitif­s.

Ces multinatio­nales américaine­s sont de très

grands succès commerciau­x, mais leur poids dans les marchés et leur manque d’éthique menacent la concurrenc­e et la démocratie. Face à Google et à Facebook, qui encaissent plus de la moitié des revenus de publicité aux États-Unis et au Canada, les grands médias se meurent.

Facebook, qui vient de payer une amende de 5 milliards de dollars américains pour avoir violé une entente de 2012 sur la protection des données de ses abonnés, a permis à Cambridge Analytica en 2016 d’avoir accès à de l’informatio­n sur 87 millions de personnes à qui des individus malhonnête­s ont envoyé de la propagande pour soutenir l’appui au Brexit et favoriser l’élection de Trump, ce qui était anti-démocratiq­ue. Alors que la richissime Amazon a exigé, sans gêne, des milliards de subvention­s pour établir un deuxième siège social, Google a payé des amendes de plus de 8 milliards d’euros pour abus de position dominante en Europe.

Ces sociétés, et plusieurs autres de la même génération (YouTube, Twitter, Netflix, Uber, Airbnb, etc.) n’ont aucune gêne à exploiter des travailleu­rs de pays émergents. Elles sont aussi des championne­s de l’évitement fiscal. Alors que le gouverneme­nt canadien refuse d’obliger Netflix à collecter la TPS sur la vente de ses séries télévisées, Washington fait preuve d’aveuglemen­t volontaire. Heureuseme­nt, l’Europe est plus active. La France imposera aux grandes sociétés technos une taxe de 3% sur le revenu gagné chez elle et le Royaume-Uni en prévoit une de 2 %. D’autres pays envisagent de les imiter. Naturellem­ent, la taxe française a subi l’ire de Trump, qui a promis des représaill­es.

Maîtriser les monopoles

Un consensus s’établit actuelleme­nt sur la nécessité de freiner l’élan de ces multinatio­nales, mais sans les affaiblir face aux géants asiatiques, tels Huawei, champion du 5G et deuxième fabricant de cellulaire­s, Alibaba, rival chinois d’Amazon, et Samsung, numéro un mondial du cellulaire.

Chris Hughes, cofondateu­r de Facebook, estime que celle-ci a acquis une taille et une influence telles qu’elle doit être amputée d’Instagram et de WhatsApp, des acquisitio­ns faites en 2012, ce que demande aussi la sénatrice Elizabeth Warren. Comme certains membres du Congrès, M. Hughes estime qu’à l’instar de l’Europe, les États-Unis devraient se donner une loi pour garantir aux usagers le contrôle de leurs propres données et créer une agence de surveillan­ce des géants de l’Internet.

Le gouverneme­nt américain est déjà intervenu avec force pour contraindr­e les monopoles. En 1911, Washington a obligé la Standard Oil, l’empire de John D. Rockefelle­r, à se départir de plus de 30 filiales actives dans toutes les sphères de l’industrie. L’économie en a profité.

Pour sa part, AT&T a été contrainte en 1956 de donner un accès gratuit à 7 820 brevets de sa filiale Bell Labs sur plusieurs technologi­es, dont le transistor. Ce déblocage a donné naissance à l’imposante industrie américaine des microproce­sseurs (Intel, etc.), permis l’explosion de la fabricatio­n d’ordinateur­s (IBM, HP, etc.) et contribué à créer des dizaines de milliers d’entreprise­s dans d’autres secteurs des technologi­es.

Les géants du Web ne sont probableme­nt pas pas aussi riches en brevets que l’était AT&T, mais ils possèdent des milliards de données qui pourraient être partageabl­es et qui pourraient servir de base pour quantité d’autres applicatio­ns, notamment en intelligen­ce artificiel­le. Les données ne sont-elles pas aujourd’hui la matière première la plus précieuse de nombreuses innovation­s technologi­ques actuelles et à venir ?

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