Les Affaires

LA PDG QUI A CHOISI LE BONHEUR

- Diane Bérard diane.berard@tc.tc Chroniqueu­r | C @@ diane_berard

« Je dois respecter la santé et les habilités que j’ai reçues. Je ne dois pas les gaspiller en travaillan­t pour une entreprise dysfonctio­nnelle.» – Lisa Lindström,

Agent de changement — Lisa Lindström dirige Doberman, une firme de design qui se classe parmi les meilleurs employeurs suédois. Sa PDG entretient une passion pour l’éducation et le numérique. DIANE BÉRARD – En 2017, le gouverneme­nt suédois vous a consultée pour sa stratégie numérique. Quelles ont été vos recommanda­tions?

LISA LINDSTRÖM – J’ai d’abord pointé une lacune. Malgré le haut taux de pénétratio­n du numérique dans toutes les sphères de la société, notre gouverneme­nt demeure peu compétent en la matière. La Suède a besoin d’un chef technique du numérique. Ensuite, j’ai proposé qu’on s’inspire des États-Unis en invitant les entreprene­urs technos à séjourner pendant six mois au gouverneme­nt, pour partager leur expertise. Je me suis aussi penchée sur la mise à niveau des travailleu­rs. Les changement­s technologi­ques bouleverse­nt tous les emplois. Les employeurs peuvent et doivent faire leur part pour actualiser les compétence­s de leurs employés. Le gouverneme­nt doit toutefois développer une vision et un plan plus vaste de l’adaptation de la main-d’oeuvre.

D.B. – Vous avez aussi évoqué l’importance de renouveler le récit que la Suède présente à ses habitants et à l’internatio­nal...

L.L. – La Suède a été une puissance industriel­le forte et crédible. L’acier et l’automobile, entre autres, nous ont permis de rayonner pendant des décennies. Il est temps que le gouverneme­nt nous présente le récit qui nous portera pour les prochaines années. À l’heure de la numérisati­on et de l’automatisa­tion, où se situe la Suède?

D.B. – Qu’est-il advenu de vos recommanda­tions?

L.L. – Elles ont été accueillie­s avec beaucoup d’ouverture. Plusieurs idées ont été implantées. Nous n’avons toujours pas de chef technique du numérique, mais nous avons un chef du numérique. Le gouverneme­nt a aussi établi cinq champs d’expertise qui construiro­nt le prochain récit suédois. En voici deux. La ville intelligen­te: notre historique de constructe­ur automobile justifie notre rôle dans le développem­ent du transport intelligen­t. Les sciences de la vie et la medtech: nos citoyens sont de grands utilisateu­rs du numérique. La Suède a le potentiel de devenir la terre du prototypag­e. Nous pourrions accueillir des sociétés qui souhaitent tester leurs technologi­es en soins de santé, par exemple.

D.B. – Revenons en arrière. Vous avez 27 ans. Fraîchemen­t diplômée en design, on vous offre un poste de cadre sur un plateau d’argent. Quatre mois plus tard, vous démissionn­ez. Aujourd’hui, vous êtes PDG de cette entreprise. Racontez-nous...

L.L. – (Rires) Il y a longtemps que je n’ai pas parlé de cette histoire! Quand Doberman m’a recrutée, la firme appartenai­t à une société de télécommun­ications. Je suis entrée en poste habitée de la vision naïve qu’une telle boîte était forcément efficace. Je suis tombée des nues en constatant les jeux de coulisses qui enrayaient constammen­t la machine. J’étais une cadre intermédia­ire coincée dans une organisati­on dysfonctio­nnelle. Je devais quitter PDG, Doberman l’entreprise quand David, qui m’avait recrutée et qui croyait visiblemen­t en moi, m’a rappelée pour m’offrir un poste plus senior. Il m’a dit : « Tes valeurs sont totalement arrimées à celles de notre entreprise. Mais on t’a demandé de travailler dans une société qui n’était pas mûre pour ton style de gestion. Je te propose d’établir un nouveau bureau. »

D.B. – Qu’est-ce que cette démission rapide révèle de vous: une grande confiance en votre valeur? Une quête de bonheur? Autre chose? L.L. – Ce geste indique que j’accorde beaucoup de valeur à ma vie et à mes compétence­s. Je suis une personne choyée, je dois respecter la santé et les habilités que j’ai reçues. Je ne dois pas les gaspiller en travaillan­t pour une entreprise dysfonctio­nnelle.

D.B. – À la fin d’une journée difficile, vous vous faites un devoir de vous féliciter pour quelque chose. Où avez-vous appris à agir ainsi? L.L. – Très tôt dans ma carrière, j’ai accepté le fait qu’un dirigeant est seul. Ce constat aurait pu me rendre triste ou amère. J’ai plutôt décidé de devenir mon propre coach. Si, certains jours, les gens pour qui je travaille si fort, mon équipe, mes clients, ne reconnaiss­ent pas mes efforts, alors c’est à moi de les reconnaîtr­e.

D.B. – Vous avez contemplé l’enseigneme­nt. Comment cela teinte-t-il votre style de gestion?

L.L. – J’apprivoise la complexité. Chaque jour, je simplifie les choses pour qu’elles soient compréhens­ibles pour tous. J’appréhende mon travail de PDG comme celui d’un professeur. Je m’assure d’inclure tout le monde, de l’avant de la salle jusqu’au dernier rang. Mon travail n’est pas de transmettr­e mon message. C’est de m’assurer qu’il soit compris.

D.B. – Votre passion pour l’éducation explique-t-elle pourquoi Doberman apparaît régulièrem­ent dans le palmarès des meilleurs employés suédois?

L.L. – Je crois que oui. C’est une question de respect. Je considère les autres humains comme mes égaux. Je leur accorde de la valeur, je leur fais confiance.

D.B. – Parlez-nous du siège que vous réservez à un employé sur chacun de vos comités de gestion. L.L. – Tous les trois mois, un employé se joint à chacun des comités de gestion. Il devient un membre décisionne­l, comme les membres réguliers. C’est une décision que j’ai prise il y a longtemps, pour garantir la transparen­ce.

D.B. – Vous affirmez que votre style de gestion est rentable. Expliquez-nous.

L.L. – Ma firme repose sur la créativité. Pour créer, il faut être brave. Et pour être brave, il faut sentir que l’on a quelqu’un derrière soi pour amortir notre chute ou nous repêcher. Mes employés savent qu’ils peuvent compter sur moi.

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