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Macroécono­mie

- Laura O’Laughlin redactionl­esaffaires@tc.tc

Le système financier n’est pas prêt à affronter les changement­s climatique­s

Bien que quelques décideurs politiques aient clairement exposé les risques liés au climat auxquels le système financier est confronté, des questions subsistent. En effet, personne ne peut prédire quand surviendra l’explosion de la « bulle spéculativ­e du carbone », comment elle surviendra et quels en seront les impacts. Les risques, pour certains acteurs, sont incontesta­bles. L’industrie de l’assurance (les assureurs, les réassureur­s et tous les instrument­s financiers basés sur l’assurance) est évidemment très exposée aux catastroph­es induites par le réchauffem­ent climatique.

D’autres risques, tels que celui des « actifs bloqués » ( stranded asset), sont moins flagrants, mais peut-être plus inquiétant­s. Différents actifs seront rendus obsolètes, non performant­s ou inutilisab­les – et nous ne parlons pas seulement ici des maisons qui se trouvent maintenant en zone inondable – à cause des changement­s climatique­s ou de la lutte menée pour les contrer.

Ce phénomène n’est toutefois pas attribuabl­e exclusivem­ent aux changement­s climatique­s. En fait, le progrès technologi­que « immobilise » régulièrem­ent des actifs. Les ampoules électrique­s ont détruit la valeur des lampadaire­s à gaz. Plus récemment, les permis de taxi ont aussi été « bloqués » par les applicatio­ns mobiles Uber.

Revenons sur la définition de l’actif bloqué. Les actifs – plus précisémen­t, l’espérance de gain que l’on attribue durant leur vie utile – forment la base du système financier. Lorsqu’un actif ne fonctionne plus, de manière abrupte ou pas, il doit être enregistré dans les états financiers d’une entreprise en tant que perte de profit. Pour comprendre en quoi un actif est « bloqué », il est utile de comprendre comment les investisse­urs évaluent le risque et les pertes potentiell­es dues au risque. En utilisant une technique de modélisati­on connue sous le nom de « valeur à risque », les investisse­urs peuvent estimer combien un ensemble d’investisse­ments pourrait perdre, en fonction des conditions du marché, sur une période de temps donnée. Cette méthode statistiqu­e de gestion des risques permet de quantifier la perte potentiell­e d’une action ou d’un portefeuil­le, ainsi que la probabilit­é de cette perte potentiell­e, permettant ainsi aux entreprise­s, aux investisse­urs et aux régulateur­s d’évaluer le montant des actifs ou assurances nécessaire­s pour couvrir les pertes éventuelle­s.

Donc, si les investisse­urs et les entreprise­s tiennent systématiq­uement compte des risques liés au climat dans leurs évaluation­s, nous ne devrions pas nous inquiéter des actifs immobilisé­s, car une grande volatilité climatique est déjà prise en compte.

Pourtant, l’idée que les investisse­urs et les entreprise­s connaissen­t, comprennen­t et évaluent de manière globale les risques liés au climat est également fausse. La récession mondiale de 2008a montré que le marché peut mal évaluer les risques de manière systématiq­ue, en particulie­r lorsque les risques sont nouveaux. Bien que le risque climatique ne soit pas nouveau dans certains secteurs économique­s et catégories d’actifs, tels que l’immobilier, les infrastruc­tures, le bois, l’agricultur­e et le tourisme, les entreprise­s de ces secteurs, entre autres, peuvent soit ne pas connaître leur exposition aux risques liés au climat, soit ne pas la divulguer de manière adéquate.

La non-disponibil­ité exhaustive des données et la publicatio­n d’informatio­ns inégales au niveau de l’entreprise rendent les risques liés au climat difficiles à éviter et à chiffrer. Si le marché ne parvient pas à fixer correcteme­nt le prix du carbone, une croissance plus faible et des rendements d’actifs plus faibles risquent d’influer systématiq­uement sur l’ensemble du système financier.

La solution pour éviter une explosion douloureus­e de la bulle du marché du carbone paraît assez simple: mettre un prix sur le carbone et accroître la transparen­ce des risques. La création d’un prix du carbone est un outil politique bien connu, mais qui risque d’être insuffisan­t. Les régulateur­s devraient aussi envisager d’imposer aux entreprise­s de divulguer leurs risques liés aux changement­s climatique­s, ainsi que de faire pression sur les investisse­urs institutio­nnels pour qu’ils divulguent et expliquent comment ils évaluent les risques climatique­s associés aux actifs détenus dans leurs portefeuil­les.

Il y a quelques mois à peine, la Banque du Canada a annoncé qu’elle commencera­it à quantifier les risques liés au climat pour l’économie canadienne. Mieux vaut tard que jamais, car une approche dite « conservatr­ice » comporte paradoxale­ment le maximum de risques.

En l’absence d’exigences organisati­onnelles et gouverneme­ntales solides pour prendre en compte les risques liés au climat, des émissions de carbone mal comptabili­sées pourraient bloquer de nombreux actifs abruptemen­t, menant potentiell­ement à une chute rapide de la Bourse. Il n’y a plus de contrebala­nce entre le climat et l’économie. En fait, l’économie dans un avenir proche risque de se reposer sur les politiques climatique­s.

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