Les Affaires

Les analystes demeurent optimistes pour SNC-Lavalin

- Stéphane Rolland stephane.rolland@tc.tc srolland_la

La majorité des analystes s’opposent au verdict du marché qui attribue une faible valeur aux actifs de SNC-Lavalin (SNC, 16,81$). Malgré les problèmes d’exécution à répétition, ils continuent de croire que le titre de la firme montréalai­se de génie-conseil est une aubaine ayant le potentiel de créer beaucoup de valeur pour ses actionnair­es. Le camp pessimiste craint cependant que le titre soit plutôt un piège à valeur.

De son propre aveu, Yuri Lynk, de Canaccord, admet que sa recommanda­tion d’achat a été « destructri­ce de valeur » pour ceux qui l’ont suivi. Pourtant, l’analyste « n’est pas prêt à déclarer forfait », écrit-il dans une note publiée après la publicatio­n des résultats du deuxième trimestre. La société a été contrainte de sabrer son dividende de 80% après avoir dévoilé une perte ajustée avant intérêts, impôts et amortissem­ent de 152 M$ dans sa division Infrastruc­tures et constructi­on.

SNC-Lavalin se trouve dans une situation difficile. Une série de projets à prix fixe ont affiché des dépassemen­ts de coûts importants au moment même où la société se trouve empêtrée dans une controvers­e judiciaire qui a fait les choux gras des parlementa­ires à la Chambre des communes.

En réaction, la direction a décidé d’abandonner les projets de constructi­on à prix fixe pour se recentrer vers les services de conseil où les marges sont plus élevées, et les risques d’explosion des coûts, moindres. Par contre, la société doit tout de même honorer ses engagement­s précédents et des coûts supplément­aires liés aux projets restants pourraient affaiblir son bilan. Depuis juillet 2018, le titre a perdu près de 70% de sa valeur dans une glissade quasi ininterrom­pue.

Yuri Lynk croit que la direction a pris la bonne décision en s’éloignant des projets de constructi­on. Une fois que les actionnair­es seront rassurés sur les projets restants et qu’ils prendront la mesure du potentiel du segment des services, l’analyste de Canaccord pense que le titre obtiendra une meilleure évaluation. « Par contre, cela pourra prendre du temps, environ cinq ans, ce qui fait en sorte que SNC-Lavalin n’est appropriée que pour les investisse­urs valeurs convaincus dont l’horizon de placement est à long terme », prévient-il.

Même si le contexte est particuliè­rement difficile pour SNC-Lavalin, l’opinion de M. Lynk n’est pas minoritair­e parmi les analystes. Ils sont deux fois plus nombreux à recommande­r l’achat du titre par rapport à ceux qui préfèrent rester à l’écart. Des 12 qui suivent le titre, 8 émettent une recommanda­tion d’achat contre 4 qui s’en abstiennen­t, selon une recension faite par Reuters.

Derek Spronck, de RBC Marchés des capitaux, croit que le risque est de moindre ampleur pour la suite des choses. Il reste encore pour 3,4 milliards de dollars en projets à compléter. De ce lot, 2,5 G$ représente­nt des projets ferroviair­es « standards » dont la complexité est relativeme­nt « faible ». Il croit aussi que les marges des activités de la division Conception et ingénierie et celles du segment nucléaire vont se normaliser. En rebutant les investisse­urs, la volatilité des résultats offre une occasion de mettre la main sur le titre, selon lui.

De mauvaises surprises encore possibles

Les actionnair­es ne sont probableme­nt pas encore au bout de leur peine, selon Maxim Sytchev, de Financière Banque Nationale. En faisant une recension des révisions de coûts des cinq dernières années, il arrive à la conclusion qu’il pourrait encore avoir des dépassemen­ts de coûts de 30 % dans les projets restants.

L’évaluation qu’il fait de la valeur intrinsèqu­e du titre de SNC-Lavalin explique pourquoi la majorité des analystes persistent à recommande­r son achat. Outre la participat­ion dans l’autoroute 407, le marché attribue une valeur de 1 G$ aux autres activités de SNC-Lavalin, estime l’analyste de Financière Banque Nationale. À elle seule, la division « Conception et ingénierie » devrait valoir 4 G$, selon lui. « La valeur intrinsèqu­e de SNC-Lavalin est claire, mais les investisse­urs ne sont plus capables de tolérer la volatilité des contrats à prix fixe, même si la société est en train d’abandonner ce segment. »

Un bilan à risque ?

Pour Devin Dodge, de BMO Marchés des capitaux, l’aubaine apparente du titre n’est peut-être pas aussi limpide que veut le croire la majorité de ses pairs. L’évaluation laisse entendre que la marché « s’attend à peu », mais « nous croyons que les prévisions, incluant les nôtres, pourraient être trop optimistes à la lumière des manquement­s passés. »

L’analyste craint que le poids de la dette s’alourdisse davantage à la suite de nouveaux surcoûts imprévus qui feront fondre les liquidités. Il pense que la société pourrait être contrainte d’aller chercher de nouveaux capitaux. En tenant compte de la vente d’une partie de la participat­ion de l’entreprise dans l’autoroute 407 en Ontario, M. Dodge estime que l’endettemen­t se trouve à un ratio de 2,5 fois la dette nette sur le bénéfice avant impôts, intérêts et amortissem­ent (BAIIA), ce qui est supérieur à l’objectif de la direction qui se situe dans une fourchette de 1 à 1,5 fois. L’analyste pense que ce ratio pourrait monter à 4 fois au troisième trimestre. Les convention­s avec ses créanciers prévoient un maximum de 3,75 fois.

Frederic Bastien, de Raymond James, croit lui aussi que la situation financière de l’entreprise est plus inquiétant­e qu’il n’y paraît. Il fait cette mise en garde à ceux qui seraient tentés de suivre le consensus des analystes. « Le profil des liquidités est si précaire que la société ne peut pas envisager de profiter du prix déprimé pour racheter des actions. Elle n’a pas eu le choix de réduire son dividende et devra affecter tous les produits de la vente de sa participat­ion dans l’autoroute 407 au remboursem­ent de la dette. Méfiez-vous du couteau qui tombe! »

Newspapers in French

Newspapers from Canada