Les Affaires

Stéphane Rolland

- Stéphane Rolland stephane.rolland@tc.tc srolland_la

La société mère de Google a un « beau problème »

Il y a un nouveau « roi du cash » à Wall Street. Alphabet (GOOG, 1 167,26 $ US) est désormais la société dont les coffres sont les mieux garnis, à 117G$ US, détrônant ainsi Apple (AAPL, 201,74 $ US) à 102G$ US. Il ne faut pas voir dans ce changement une victoire pour la société mère de Google et une défaite pour le fabricant du iPhone. Au contraire, Apple s’est donné l’objectif de réduire son encaisse inutilisée (qui était à un sommet de 163 G$ US à la fin de 2017) afin de retourner de l’argent aux actionnair­es sous forme de dividendes et de rachats d’actions. En plus de l’attention accrue qu’elle porte aux services, le retour d’argent aux actionnair­es fait partie de sa stratégie pour créer de la valeur à un moment où les ventes de iPhone semblent arriver à maturité.

Chez Alphabet, il y a un plus grand laisser-aller par rapport à ses réserves qui ne cessent de gonfler. À 117 G$ US, l’encaisse a augmenté de près de 20 G$ US depuis la fin de 2017. À moins d’un revirement de fortune pour l’entreprise qui détient également YouTube, Gmail et le système d’exploitati­on Android, les coffres continuero­nt de se remplir. En moyenne, les analystes prévoient que les flux de trésorerie libre s’établiront à 28,7 G$ US en 2019, puis à 36,7 G$ US en 2020 et à 43 G$ US en 2021, selon une recension de Reuters.

Tout cet argent qui dort commence à agacer certains actionnair­es qui se demandent si un tel coussin est vraiment nécessaire au succès à long terme de l’entreprise. Avoir trop d’argent pour savoir quoi en faire reste « un beau problème ». Parions qu’Alain Bellemare, le PDG de

Bombardier, ne se ferait pas prier pour échanger ses soucis avec ceux de Larry Page, PDG d’Alphabet. Ceci étant dit, le rôle des dirigeants d’une société est de viser la meilleure utilisatio­n possible du capital qu’elle a à sa dispositio­n. Bien qu’il y ait pire, il y a sûrement mieux à faire que de laisser croître ad vitam aeternam le compte en banque d’une entreprise.

Pour le moment, Alphabet garde le cap sur ses priorités financière­s, soit d’investir afin de « générer de la croissance à long terme ». Viennent ensuite les acquisitio­ns et les investisse­ments. Les rachats d’actions suivent en troisième, a énuméré la chef des finances, Ruth Porat, après la publicatio­n des résultats du deuxième trimestre à la fin juillet.

Jusqu’à maintenant, les efforts consentis à la troisième priorité n’ont pas été suffisants pour changer quoi que ce soit pour les actionnair­es. Depuis qu’elle a commencé à racheter de ses actions, il y a quatre ans, l’entreprise de Mountain View, en Californie, n’y a accordé qu’en moyenne 1,7G$ US par trimestre. Durant cette même période, la société a émis plus de titres pour son programme d’achat d’actions destiné aux employés, annulant tout impact sur le nombre d’actions en circulatio­n et par ricochet, sur le bénéfice par action, selon un calcul du Financial Times.

Des projets dignes d’investisse­ments?

Peu importe la société, on doit toujours se demander si les dépenses en capital procureron­t un bon rendement de l’investisse­ment ou s’il vaut mieux laisser les actionnair­es disposer à leur guise des liquidités dont l’entreprise n’a pas besoin. À cet égard, la majorité des analystes s’entendent pour dire que certains projets ont peu de chance de réussir, mais qu’Alphabet pourrait bien frapper un coup de circuit dans le lot. « Même si la plupart de ces projets ne génèrent pas encore de revenus, le potentiel haussier est intéressan­t, s’il remporte un succès », juge Ali Mogharabi, de Morningsta­r.

La division de véhicules autonomes Waymo est le pari qui suscite le plus d’enthousias­me, selon les notes d’analystes que nous avons consultés. Si Waymo est un succès, M. Mogharabi pense qu’Alphabet pourrait percer un marché de plusieurs dizaines de milliards de dollars américains. La valeur de Waymo pourrait varier entre 50 G$ US et 250 G$ US, selon les différente­s estimation­s que nous avons consultées. Alphabet a une capitalisa­tion boursière de près de 813 G$ US.

Reste à voir aussi ce que donneront les efforts en vue de gagner des parts de marché dans l’infonuagiq­ue. Doug Anmuth, de J.P Morgan, souligne qu’il s’agit de l’endroit où Alphabet fait le plus d’embauche et qu’elle pourrait y tripler sa force de vente d’ici quelques années. Au deuxième trimestre, la direction anticipait un revenu annualisé de 8 G$ US, un chiffre qui a doublé en un an et demi. L’infonuagiq­ue est désormais la troisième source de revenus de l’entreprise derrière la publicité et les appareils mobiles. Google affronte tout de même de redoutable­s concurrent­s en Amazon et Microsoft.

La deuxième priorité (les acquisitio­ns) rend plus circonspec­t. Les inquiétude­s sur la position concurrent­ielle des géants technos surgissent régulièrem­ent dans le débat public. Les gouverneme­nts seront probableme­nt plus sévères lorsque viendra le temps d’approuver une acquisitio­n majeure.

La chance de faire les deux

Avec 85% de ses revenus provenant de la publicité, Alphabet fait probableme­nt la bonne chose en cherchant à se diversifie­r. Au rythme où l’encaisse s’accumule, elle a tout le loisir de mâcher de la gomme et de marcher en même temps. Près de 25 G$ US en dépenses d’investisse­ment en 2018 n’ont pas empêché la société de mettre encore plusieurs milliards de côté.

La direction a déjà consenti un effort supplément­aire en annonçant en juillet une nouvelle autorisati­on pour racheter jusqu’à 25 G$ US en actions, ce qui porterait à 37,5 G$ US les rachats possibles. À 21,8 fois les prévisions de bénéfices de 2018, le titre n’a pas l’évaluation étirée d’Amazon ou Netflix qui écarterait la pertinence de racheter des actions.

Aussi, il serait peut-être temps de transgress­er ce tabou du monde de la techno selon lequel verser un dividende est une démonstrat­ion de maturité. Dans le cas d’Alphabet, verser un dividende ne l’empêcherai­t sûrement pas d’investir dans l’innovation.

La montagne de liquidités d’Alphabet a tout de même son attrait, même si elle prend la poussière pour l’instant. À un moment où les prédiction­s de fin du cycle haussier abondent, la capacité d’acheter des actions au cours déprimé pourrait être bienvenue. Même si la plupart des actionnair­es ne tiennent pas rigueur à Alphabet de procrastin­er sur son « beau problème », ils seront sûrement heureux lorsqu’elle aura décidé d’y trouver une solution.

Bien qu’il y ait pire, il y a sûrement mieux à faire que de laisser croître ad vitam aeternam le compte en banque d’une entreprise.

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