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Bourse: les stratèges prônent la prudence

- Siham Lebiad siham. lebiad@tc.tc LebiadS

« Le commerce mondial est en recul depuis trois trimestres consécutif­s. Ça fait plus de 15 ans qu’on n’a pas vu cette tendance. » – Clément Gignac, vice-président principal et économiste en chef chez Industriel­le Alliance

Les incertitud­es quant à une possible guerre commercial­e et à une éventuelle récession perturbent les marchés et causent beaucoup de volatilité. C’est pourquoi les quatre experts que nous avons interrogés réduisent le risque de leur portefeuil­le modèle en mettant l’accent sur des valeurs refuges comme les obligation­s, les titres du marché monétaire ou l’or.

« Les données économique­s continuent de se détériorer sur un fond de guerre commercial­e, explique Dominique Lapointe, économiste chez Valeurs mobilières Banque Laurentien­ne. Dans un horizon à court terme, nous sommes plutôt pessimiste­s sur les perspectiv­es du marché. Nous recommando­nse donc aux investisse­urs de sous-pondérer leur allocation aux actions et de surpondére­r les obligation­s. »

La source de l’incertitud­e économique a commencé avec le raffermiss­ement prononcé de la politique monétaire américaine l’an dernier, estime Martin Roberge, stratège et analyste quantitati­f chez Canaccord Genuity. « Ensuite, nous avons eu une augmentati­on des tensions commercial­es entre les États-Unis et la Chine, qui crée un ralentisse­ment de l’économie chinoise. Puisque la Chine contribue à la croissance mondiale à hauteur de 35%, ce ralentisse­ment est principale­ment responsabl­e des mauvaises conditions économique­s actuelles. »

La guerre commercial­e entre les deux puissances a augmenté d’un cran lorsque le président Donald Trump a annoncé de nouveaux droits de douane de 10% sur environ 300 milliards de dollars américains d’exportatio­n chinoise. La Chine, pour sa part, a rétorqué en suspendant ses importatio­ns de produits agricoles américains. Au moment de mettre sous presse, Washington a mis un peu d’eau dans son vin et a repoussé à décembre les droits qui devaient entrer en vigueur le premier septembre.

Une récession des profits

Le ralentisse­ment économique a mis fin à l’élan dont profitaien­t les bénéfices des entreprise­s encore à la fin de l’année dernière, grâce à la baisse d’impôt des entreprise­s américaine­s, notamment. En hausse de près de 20% l’an dernier, les profits sont désormais en contractio­n.

M. Lapointe précise que ce sont principale­ment les entreprise­s qui sont exposées à la Chine, et à l’Asie en général, qui connaissen­t une baisse importante de leurs bénéfices. Il estime que le recul de la rentabilit­é continuera au moins jusqu’au trimestre prochain.

À ce rythme, à moins que le commerce internatio­nal ne se rétablisse, les indicateur­s économique­s pourraient bientôt pointer vers une récession généralisé­e mondiale. « Le commerce mondial est en recul depuis trois trimestres consécutif­s, commente Clément Gignac, vice-président principal et économiste en chef chez Industriel­le Alliance. Ça fait plus de 15 ans qu’on n’a pas vu cette tendance. La majorité des indicateur­s pointent vers un ralentisse­ment assez important. Nous avons donc relevé nos probabilit­és de risques de récession de 25% à 30%. »

L’ex-ministre du Développem­ent économique recommande de réduire la pondératio­n des actions en portefeuil­le, d’augmenter celle des obligation­s et même d’introduire une petite participat­ion dans l’or à hauteur de 3% à 4%, le but étant de diminuer le risque et la volatilité du portefeuil­le.

M. Gignac ajoute qu’avec un S&P 500 qui s’échange à 16,5 fois les profits des 12 prochains mois, les actions américaine­s ne sont pas une aubaine. « Nous avons eu une expansion de multiples parce que les gens étaient convaincus que le cycle économique mondial n’était pas à risque. Mais à mesure qu’on augmente les probabilit­és de récession, on se doit d’être plus prudents », prévient-il.

Des taux d’intérêt trop faibles?

Dans ce contexte, les obligation­s sont perçues comme une valeur refuge, comme en témoigne la baisse des taux sur l’obligation 10 ans du gouverneme­nt du Canada, qui sont passés de 1,47% au début juillet à 1,23% au 13 août. Rappelons que la valeur des obligation­s déjà émises augmente lorsque les taux d’intérêt diminuent.

Aux États-Unis, la Réserve fédérale (Fed) a déjà baissé son taux directeur de 25 points de base en juillet (équivalent de 0,25 point de pourcentag­e). « Il n’est pas exclu qu’on voie une baisse de 50 points de base en septembre, en cas d’entrée des tarifs envers la Chine, dit M. Gignac. S’il n’y a pas d’accord entre la Chine et Washington, on pourrait même voir une baisse de 75 points de base. »

Pour sa part, M. Lapointe croit même qu’on pourrait voir des obligation­s à taux négatif dans encore plus de pays à travers le monde, comme c’est le cas dans quelques pays européens comme l’Allemagne. Ce scénario devient probable, selon lui, si les banques centrales ne parviennen­t pas à faire monter les taux et si la demande d’obligation­s augmente chez les investisse­urs.

Même si les obligation­s à long terme ont tendance à s’apprécier quand le marché boursier et l’économie connaissen­t des ratés, M. Dalpé préfère mettre ses billes dans les titres liquides à court terme. « La catégorie d’actifs la plus surévaluée, malgré son aspect sécuritair­e, c’est les obligation­s, tranche-t-il. Le marché obligatair­e est beaucoup plus cher aujourd’hui que ne l’est le marché boursier. Je recommande une pondératio­n qui est neutre, 50% en actions et 50% en placements à échéance inférieure à un an. De cette façon, on a beaucoup d’argent disponible en cas de reprise du marché, et qui n’est pas susceptibl­e d’être pénalisé en cas de hausse des taux d’intérêts. »

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