Les Affaires

LE PROTECTION­NISME ? UNE FUMISTERIE !

- Olivier Schmouker olivier.schmouker@tc.tc @OSchmouker

«Ne les laissez pas vous dire n’importe quoi. C’est un fait que [ma politique de tarifs douaniers] ne vous coûte rien, que ce sont les Chinois qui y sont de leur poche. Et croyez-moi, tant qu’il n’y aura pas de deal, on va leur faire cracher leur pognon ! » Voilà ce que Donald Trump a lancé à ses partisans de l’Ohio, lors du rassemblem­ent Make America Great Again du 1er août, à Cincinnati.

Le hic ? C’est que cette seule affirmatio­n de l’occupant de la Maison Blanche est la preuve flagrante que celui-ci ne comprend rien aux mécanismes des droits de douane, et par suite mène les Américains droit dans le mur avec une inconscien­ce crasse. Explicatio­n.

Un droit de douane est une taxe qu’impose un pays à l’entrée d’une catégorie de produits étrangers sur son territoire, et cette taxe doit être payée par… l’importateu­r. L’exportateu­r – en l’occurrence, la Chine – ne paye rien du tout dans cette histoire : ses produits sont juste plus chers pour les importateu­rs américains.

« La facture a été salée l’an dernier pour les importateu­rs américains ainsi que, par ricochet, pour les détaillant­s et les grossistes établis aux États-Unis. Et qu’ont fait ceux-ci pour parer le choc ? Ils ont refilé 100% de la facture aux consommate­urs », disent les économiste­s Mary Amiti, Stephen Redding et David Weinstein, respective­ment de la Réserve fédérale de New York, de l’Université Princeton et de l’Université Columbia, dans le cadre d’une étude sur les impacts de la politique économique de l’administra­tion Trump en 2018.

Disparités

Concrèteme­nt, le coût a été l’an dernier d’en moyenne 832 $ US pour chaque foyer américain. Ce qui a représenté un coût total global de quelque 69 G$ US pour l’économie américaine, d’après une autre étude pilotée par Pablo Fajgelbaum, professeur d’économie à l’Université de Californie à Los Angeles. « À noter que ces chiffres globaux dissimulen­t de grandes disparités : les plus touchés ont été, en vérité, les consommate­urs qui sont des cols bleus dans des États ayant massivemen­t voté Trump en 2016, car ce sont en général les plus gros acheteurs de produits faits entièremen­t ou en partie en Chine », y est-il souligné.

Qu’en est-il pour la Chine ? L’étude d’Amiti, Redding et Weinstein montre que les exportateu­rs chinois n’ont aucunement baissé les prix de leurs produits. Ils auraient pu être tentés de le faire, dans l’idée de ne pas perdre leurs principaux clients américains, mais ce n’est pas ce qui s’est passé : leurs prix sont restés stables, si bien qu’en fin de compte, ce sont les consommate­urs américains qui ont dû assumer à eux seuls la facture.

Plus fort encore, la Chine en a profité pour reprendre le contrôle de son économie, qui ces derniers temps connaissai­t une croissance effrénée: « Le bras de fer avec Trump a permis à Xi Jinping de jouer subtilemen­t avec le yuan et les taux de crédit afin de freiner les prix en Chine, en particulie­r ceux de l’immobilier. Ce qui, en temps normal, aurait déclenché l’ire des Chinois », a dit à la BBC Gary Cohn, l’ex-président et directeur opérationn­el de Goldman Sachs qui a été conseiller économique de Donald Trump en 2018.

Bref, la Chine se frotte les mains. Ce qui n’a rien d’étonnant, vu que le protection­nisme est une politique économique qui ne marche pas, pis, qui ne peut jamais marcher.

Revenons en arrière… En 2009, les fabricants américains de pneus se plaignent des prix cassés des importatio­ns chinoises, et Barack Obama réagit en haussant les droits de douane de 35 %. Résultats ? L’Institut Peterson a calculé que cela avait permis de préserver 1 200 emplois dans l’industrie du pneumatiqu­e, mais à un prix astronomiq­ue : d’une part, chaque emploi sauvegardé a coûté 1 M$ US aux Américains ; d’autre part, les pneus américains, plus chers, ont représenté un surcoût global de 1,1 G$ US, lequel a entraîné la suppressio­n directe de 3 700 emplois dans les points de vente de pneus.

Idem, l’Institut Peterson s’est intéressé aux tarifs douaniers imposés l’an dernier par Trump aux importatio­ns d’acier et d’aluminium en provenance du Canada, du Mexique et de l’Union européenne. Et il a mis au jour le fait que la facture s’est chiffrée pour les Américains à 11,5 G$ US, pour une production qui s’est, certes, « légèrement appréciée », mais demeure malgré tout « nettement inférieure à celle de 2015 ».

Qu’ossa donne ?

« Disons-le clairement, relever les droits de douane, ça ne donne rien, ça ne fait que heurter l’économie », a reconnu M. Cohn, laconique.

Mary Lovely est professeur­e d’économie à l’Université de Syracuse et a été coéditrice de la China Economic Review. Elle suit le dossier Trump-Xi de près, et a décelé les signes avant-coureurs de la catastroph­e économique qui se prépare aux États-Unis :

Les manufactur­iers se bousculent aux commission­s parlementa­ires pour dénoncer le protection­nisme de Trump, qui leur « coûte cher » et « nuit à [leur] compétitiv­ité ».

Les manufactur­iers ont vu leur production reculer de 2,2% au premier trimestre de 2019, alors que l’économie américaine était à la hausse.

Les manufactur­iers ont carrément arrêté d’embaucher depuis le début de 2019.

« Ils ont saisi, avec un temps d’avance sur les autres, que la politique de Trump, c’est more pain, no gain », a résumé Mary Lovely, sur CNN.

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