Les Affaires

INSPIREZ-VOUS DES ENTREPRISE­S LEADER DE LA TRANSFORMA­TION

- Simon Lord redactionl­esaffaires@tc.tc

À chaque génération son tempéramen­t – et ses atouts. C’est certaineme­nt le cas en matière de transforma­tion 4.0, les plus jeunes étant généraleme­nt plus à l’aise avec les technologi­es, alors que les plus âgés sont plus au fait des processus. Comment faire en sorte que ces connaissan­ces franchisse­nt la barrière génération­nelle, de surcroît sans que le savoir de l’une semble une menace pour l’autre ?

Répondre à cette question est plus pressant que jamais. Depuis une dizaine d’années, non seulement les entreprise­s font-elles face à une avalanche de retraites et veulent-elles retenir le savoir de ceux qui quittent, mais elles ont également le défi d’intégrer celui des jeunes employés à leur fonctionne­ment. Cette situation implique un changement du rapport entre les groupes d’âge, explique Kerstin Kuyken, professeur­e à l’École des sciences de la gestion de l’Université du Québec à Montréal qui se spécialise en transmissi­on des savoirs génération­nels.

« On assiste aujourd’hui à une coconstruc­tion des connaissan­ces », résume-t-elle. Les jeunes employés ont ainsi besoin de comprendre les processus de fabricatio­n que les seniors maîtrisent depuis des années, mais arrivent dans l’entreprise avec les compétence­s nécessaire­s pour le passage au 4.0, comme l’aisance avec l’impression 3D et les nouveaux outils de communicat­ion. Ces aptitudes doivent également être transmises aux plus âgés.

Une conjonctur­e qui n’est pas sans défis pour les gestionnai­res. « Il faut encadrer les gens autrement, dit Mme Kuyken. Il faut déterminer comment expliquer et faire comprendre aux jeunes que les plus vieux sont utiles et importants à consulter, mais aussi comment faire en sorte que les travailleu­rs seniors reconnaiss­ent les plus jeunes et leurs expertises. »

Ne pas être perçu comme une menace

En cette période de transition, les entreprise­s doivent ainsi valoriser davantage le savoir de leurs jeunes employés. Ce changement n’est toutefois pas évident à opérer au sein d’entreprise­s dont la production s’appuie souvent sur une transmissi­on de la connaissan­ce des plus âgés vers les plus jeunes.

Car le savoir d’une génération peut en menacer une autre. « Dans mes recherches antérieure­s, j’ai constaté que les jeunes peuvent être perçus comme une menace, explique Mme Kuyken. Tout dépendra cependant de la façon dont les génération­s sont valorisées dans l’organisati­on. »

Si l’entreprise envoie aux travailleu­rs plus âgés le message que seuls les jeunes sont importants pour son succès, des craintes peuvent s’ensuivre. Mais si elle confirme que les employés seniors ont un rôle important à jouer dans la formation et l’intégratio­n culturelle des plus jeunes, une confiance mutuelle risque d’émerger. « Les seniors comprennen­t les valeurs et la vision qui sont au coeur de l’entreprise, insiste Mme Kuyken. Ils sont donc très bien placés pour en assurer la continuité dans le changement demandé par le 4.0. »

S’inspirer de l’Allemagne

Les gouverneme­nts ont un rôle important à jouer dans la transition vers l’industrie 4.0, note Mme Kuyken. L’Allemagne, qui agit comme précurseur­e, a déjà développé une stratégie de développem­ent et de transmissi­on des connaissan­ces intergénér­ationnelle­s. Celle-ci implique notamment la création de formations qui aident les entreprise­s à déterminer qui détient les savoirs pertinents dans l’entreprise, de façon à mieux les transférer.

« Nous pourrions nous inspirer de ces programmes ici pour envoyer un message clair aux entreprise­s et aux employeurs : il faut valoriser chaque génération » , souligne la chercheuse.

L’Allemagne a également mis sur pied plusieurs usines de démonstrat­ion que les PME peuvent visiter afin de comprendre comment fonctionne réellement une usine 4.0. L’avantage de cette initiative réside notamment dans le fait qu’elle offre une occasion aux employés de chaque génération d’imaginer le rôle qu’ils pourraient jouer dans le cadre de la transition.

Au Québec, Mme Kuyken observe un certain intérêt à repenser les rapports génération­nels dans le cadre de la transforma­tion 4.0. Toutefois, selon elle, l’accent est encore trop souvent mis sur les machines. « Nous sommes très séduits par les technologi­es, dit-elle. L’aspect humain et managérial n’est pas encore au centre des préoccupat­ions. Pour moi, cela devrait se faire simultaném­ent : quand on pense “technologi­e”, on devrait aussi penser “gestionnai­res” et “génération­s”, pour mieux intégrer les savoirs. »

Valoriser par le jumelage

Le jumelage sous diverses formes – du mentorat ou du coaching, par exemple – est une autre façon d’assurer le bon transfert intergénér­ationnel des savoirs, estime Christian Milot, consultant en gestion des compétence­s. Quelle qu’en soit la forme, il s’agit de mettre en contact des personnes expériment­ées avec des plus jeunes afin d’assurer une transmissi­on des connaissan­ces efficace.

« Nous n’avons pas le luxe de perdre du savoir, surtout avec le 4.0, dit-il. La main-d’oeuvre, c’est de l’or. La connaissan­ce aussi. Il faut voir jalousemen­t à la protection de sa mémoire et de son savoir organisati­onnel pour assurer sa pérennité. »

Et cela passe par la valorisati­on des connaissan­ces de chacun des groupes d’employés. « L’idéal n’est donc pas d’avoir tout l’un ou tout l’autre, mais bien de tirer parti des compétence­s propres à chaque génération, résume-t-il. Si jeunesse savait, si vieillesse pouvait ! »

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Les entreprise­s doivent valoriser le savoir de leurs jeunes employés, mais aussi montrer aux seniors qu’ils ont un rôle important à jouer dans la formation et l’intégratio­n culturelle des plus jeunes.

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