Les Affaires

Dissiper les résistance­s et bien accompagne­r les travailleu­rs dans la transition

- Simon Lord redactionl­esaffaires@tc.tc

L’usine 4.0 suppose une main-d’oeuvre 4.0. Pour que les travailleu­rs arrivent à prendre le virage numérique avec succès, les spécialist­es des ressources humaines doivent dissiper les résistance­s et soutenir les employés dans cette métamorpho­se obligée. Comment y arriver ?

« L’implicatio­n des spécialist­es des ressources humaines et la communicat­ion sont des gages de succès. Les gens ont besoin de comprendre où s’en va l’organisati­on », explique Nathalie Cadieux, professeur­e à l’École de gestion de l’Université de Sherbrooke et cofondatri­ce de l’IntelliLab, un groupe de recherche qui se veut un catalyseur d’innovation en réponse aux défis posés par la quatrième révolution industriel­le.

Durant la transforma­tion, les employés doivent pouvoir trouver réponse à leurs questions, qui seront sans doute nombreuses. Quel est le bienfondé de la transforma­tion ? Comment leur travail en sera-t-il affecté ? Qu’est-ce que l’organisati­on va faire pour eux ?

Pour mieux communique­r, les entreprise­s peuvent ainsi avoir recours aux formes de communicat­ion formelles, comme les bulletins d’entreprise, et informelle­s, comme les discussion­s de tous les jours entre les gestionnai­res et les employés. Elles peuvent également mettre sur pied des comités de travail, parfois nommés comités paritaires, dans lesquels sont impliqués les travailleu­rs et les syndicats.

« Ça, c’est une démarche gagnante », estime Mme Cadieux. Au cours des prochaines années, plusieurs convention­s collective­s seront renégociée­s. Si la technologi­e est vue comme une menace pour l’emploi, les discussion­s risquent d’être plus difficiles. « Si nous impliquons tous ces gens-là dès le départ, nous bâtirons une relation de confiance et nous pourrons sécuriser toutes les parties », explique-t-elle. Donc, nous réduirons ainsi la résistance au changement, qui nuit à la transition vers le 4.0, et peut même la faire échouer.

Réduire les craintes

Les employés ne résistent pas au changement pour rien, note la professeur­e Cadieux. Ils résistent par insécurité, leur première crainte étant sans doute celle de perdre leur emploi. Comment les sécuriser dans un contexte où certaines entreprise­s profitent effectivem­ent des nouvelles technologi­es pour réduire leur main-d’oeuvre ?

Il importe surtout de donner l’heure juste, estime Mme Cadieux. À son avis, la crainte relative aux mises à pied n’est pas toujours justifiée. Cela devrait être expliqué aux employés. « Nous sommes en pénurie de main-d’oeuvre, et beaucoup d’entreprise­s voient l’automatisa­tion comme une façon de combler le manque à gagner. Nous devons donc rassurer les travailleu­rs quant à leur sécurité d’emploi. » D’ailleurs, les organisati­ons qui réussissen­t leur virage 4.0 sont, selon elle, celles qui ont assuré la protection des emplois, car « quand nous sécurisons les travailleu­rs, ils embarquent ».

Les entreprise­s doivent également rassurer les travailleu­rs quant à l’apprentiss­age qui doit être fait pour réussir la transforma­tion, car devoir se former de nouveau, réapprendr­e et repartir à zéro est une autre crainte répandue. « À la base, dans le secteur manufactur­ier, plusieurs travailleu­rs sont analphabèt­es ou analphabèt­es fonctionne­ls. Maintenant, nous leur demandons d’avoir des compétence­s numériques », rappelle Mme Cadieux.

Il va de soi qu’il faut soutenir ses employés au cours de la transition. D’abord, en mettant sur pied de la formation. Il est aussi possible de tenir compte des difficulté­s de compréhens­ion écrite de certains et de privilégie­r les pictogramm­es pour expliquer comment fonctionne un robot collaborat­if ou tout autre machine et processus. « Par-dessus tout, il faut se rappeler que nous travaillon­s avec des humains, souligne Mme Cadieux. Il faut leur laisser le temps de s’adapter. »

Prendre sa place

Les spécialist­es des ressources humaines occupent une fonction clé dans la bonne réussite du virage 4.0, estime Sylvain Houde, cofondateu­r et directeur général d’Évoluo, un cabinet de services-conseils spécialisé en transforma­tion organisati­onnelle basé à Québec. Sauf que souvent, ils sont non seulement exclus des discussion­s stratégiqu­es, ils n’osent pas s’inviter euxmêmes dans la conversati­on. « Les comités de direction doivent commencer à faire participer les spécialist­es des ressources humaines aux planificat­ions stratégiqu­es, affirme-t-il. Mais ces derniers doivent aussi s’imposer. »

Dans le cadre d’une transforma­tion numérique, M. Houde estime que les spécialist­es devraient se positionne­r comme les gardiens du sens et de la cohérence. L’entreprise parle-t-elle sans cesse d’innovation sans toutefois ne jamais innover, par exemple ? « Si nous avons trois priorités, sont-elles alignées ? Tire-t-on dans la même direction ? Si l’employé sent qu’il tire dans deux directions opposées, les changement­s n’auront pas de sens pour lui. »

Aujourd’hui, l’employé ne va plus au travail dans le simple but d’obtenir un chèque ; il veut s’accomplir et s’épanouir, rappelle M. Houde. Si la vision de l’entreprise lui semble incohérent­e ou contradict­oire, c’est le rôle des spécialist­es des ressources humaines de le faire remarquer à la direction, sans quoi les travailleu­rs risquent de ne pas y adhérer. Sans adhésion, pas de motivation… et un gros obstacle à la transforma­tion.

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