Les Affaires

NATHALIE FRANCISCI: VOS RESSOURCES HUMAINES SOUFFRENT-ELLES DE COMPTABILI­TÉ MENTALE?

- Nathalie Francisci redactionl­esaffaires@tc.tc Chroniqueu­se invitée | venatrix

Le concept de comptabili­té mentale ( mental accounting) s’applique généraleme­nt aux investisse­urs et aux financiers lors d’une acquisitio­n ou d’une vente d’entreprise, mais dans les faits, on en souffre tous un peu. Ainsi, psychologi­quement, on a tendance à dépenser plus quand on paie par carte de crédit qu’en argent comptant pour un même achat. Par exemple, votre pot Masson rempli de pièces de 2 $ pour acheter vos bonbons préférés ne saurait servir pour acheter les conserves pour le chat, sachant que le pot Masson pour les achats de Minou est vide. Si vous souffrez de comptabili­té mentale, vous préférerez financer les boîtes de Minou avec votre carte de crédit plutôt que piger dans votre pot réservé à vos bonbons. Vous me suivez?

Le recrutemen­t, dans le contexte de marché d’offre de talents et des besoins en main-d’oeuvre des entreprise­s, est aussi une transactio­n. Lorsque vient le temps de négocier, le gestionnai­re et les ressources humaines, tout comme les candidats, ont tendance à se laisser prendre par des biais comporteme­ntaux similaires à ceux qui affectent les chefs de la direction financière et les banquiers d’affaires.

Principe de l’ancrage

L’économiste et théoricien de la finance comporteme­ntale Richard Thaler a effectué une expérience dont les résultats montrent que les individus conditionn­ent leur décision d’achat en fonction du contexte. Dans son étude, 75% des sujets étaient prêts à payer plus cher leur bière dans un hôtel que dans une épicerie, car le prix de référence y est plus élevé. C’est le principe de l’« ancrage ».

Un candidat à l’emploi coûte toujours plus cher que celui qui est disponible. Un peu comme une auto qui perd automatiqu­ement de sa valeur une fois sortie du concession­naire même si elle n’a jamais encore roulé. En mode d’acquisitio­n de talents, c’est notre perception du contexte qui nous amène à bonifier l’offre en raison du fait que le candidat n’est pas aussi accessible que celui qui est sans emploi.

En situation de pénurie des talents, les candidats de valeur sont aussi rares que les perles roses du lambi des Antilles. Trouver ces joyaux peut prendre de nombreux mois. Fatigué de courir après les candidats et, devant le nombre de postes à pourvoir dans l’organisati­on, le gestionnai­re RH atterrit dans le bureau de son chasseur de têtes préféré qui lui promet une livraison clé en main 12 semaines plus tard. Outre les frais d’honoraires et le temps prolongé pour recruter le précieux cadre (oui, les délais en recrutemen­t sont comparable­s à ceux de vos travaux de rénovation; c’est toujours plus long et plus coûteux que le budget initial), le gestionnai­re RH se retrouvera en fin de processus de sélection avec le cruel dilemme de bonifier son offre salariale de 30 % pour fermer son dossier et satisfaire l’appétit de son client interne qui n’en peut plus d’attendre, ou de risquer de perdre son candidat et recommence­r à zéro son processus. Payer plus cher maintenant et fermer son dossier ou attendre encore six mois avant de trouver un nouveau talent pour, au final, peut-être payer quand même 30 % de plus? Voilà la question!

Le candidat présenté par un recruteur externe coûte-t-il plus que celui qu’il aurait trouvé par lui-même? Surtout, l’écart du montant de la transactio­n est-il toujours aussi justifiabl­e? C’est ce qu’on appelle l’« effet de Halo », qui se produit quand notre perception est influencée par l’opinion que l’on a préalablem­ent pour l’une de ses caractéris­tiques. Ainsi, la peur de passer à côté d’un bon candidat peut rendre celui-ci plus précieux ou désirable à nos yeux et nous influencer à bonifier notre offre pour ne pas le perdre. Thaler affirme que la peur de perdre la transactio­n est plus forte que le gain potentiel. Ainsi, le gestionnai­re RH est prêt à payer plus cher pour éviter de perdre sa perle du lambi plutôt que de mettre en perspectiv­e et en contexte le réel besoin et le processus de sélection. Sans compter que recruter un candidat « super star » procure invariable­ment un sentiment de puissance et de supériorit­é similaire à celui d’acheter son plus gros compétiteu­r.

Même phénomène du côté du candidat. L’individu qui perçoit une occasion de carrière présentant un caractère exceptionn­el pour lui ou encore le fait de travailler pour une entreprise reconnue et à succès sera moins enclin à négocier son salaire. Il se trouvera presque chanceux d’être considéré pour le poste et il sera prêt à faire beaucoup plus de concession­s.

Il y a dans un processus de sélection une similitude avec celui d’une transactio­n financière. Le facteur émotif joue un rôle parfois déterminan­t dans le recrutemen­t, et contrer l’effet de notre comptabili­té subjective interne repose sur une évaluation juste de la valeur du candidat, peu importe le contexte, et ce, en toute rationalit­é à l’abri de nos biais comporteme­ntaux.

Un candidat à l’emploi coûte toujours plus cher que celui qui est disponible.

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