Les Affaires

Jean-Paul Gagné

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La dispute États-Unis-Chine est dangereuse pour l’économie

Les perception­s peuvent être fatales en politique. Ce sont de telles erreurs qui ont conduit à la Première

Guerre mondiale, de 1914 à 1918. Idem pour la célèbre guerre du Péloponnès­e. Lancée par Sparte après avoir cru erronément qu’Athènes se préparait à l’attaquer, cette guerre, qui a duré de 431 à 404 avant Jésus-Christ, a mis fin à l’âge d’or de la Grèce antique.

La guerre commercial­e que le président Donald Trump a déclarée à la Chine pourrait bien elle aussi être motivée pas de fausses perception­s. Alors que l’instinct l’emporte sur la raison dans les décisions de Trump, son vis-à-vis chinois, Xi Jinping, a un intérêt politique à continuer ce conflit.

Trump a lancé cette guerre pour conforter sa base

(40% des électeurs). Autre avantage, elle permet aussi de détourner l’attention sur ses scandales et autres déboires. De son côté, Xi Jinping l’utilise aussi pour attiser le nationalis­me chez ses citoyens, montrer la résilience de la Chine, profiter de la faiblesse de Trump pour diviser l’Occident, affirmer son propre leadership et avertir les autres pays que la Chine ne s’en laisse pas imposer.

Inspiré par Steve Bannon, qui fut son principal stratège pendant sa campagne et lors des six mois qu’il a passés à la Maison-Blanche, Trump a fait de la lutte aux accords commerciau­x un de ses principaux engagement­s.

Il a rapidement sorti son pays du projet d’Accord de partenaria­t transpacif­ique global et progressis­te, imposé des tarifs douaniers sur l’acier et l’aluminium, dénoncé l’ALÉNA, qui fut renégocié et rebaptisé l’ACEUM et qui est bloqué au Congrès, et lancé la guerre commercial­e contre la Chine. Plus récemment, il

s’en est pris à l’OMC pour les traitement­s de faveur qu’elle ferait à 11 pays, dont la Chine, la Corée du Sud, le Mexique, la Turquie et Singapour.

Contre sa première cible, la Chine, Trump a tiré sa première salve en avril

2018 et a ajouté quatre autres séries de tarifs depuis. Alors que le tarif moyen américain sur les produits importés de Chine était de 3,1% en 2017, celui-ci est, depuis le

1er septembre 2019, de 21,2% sur des biens représenta­nt 68,5% des importatio­ns américaine­s de produits chinois. Il sera porté à 22,1% le ler octobre et à 24,3% le 15 décembre sur 97% des importatio­ns de la Chine, lesquelles se sont élevées à 540 milliards de dollars américains en 2018. C’est énorme.

Impact majeur

L’incertitud­e créée par cette guerre ferait perdre 1% au PIB américain d’ici 2020 selon la Réserve fédérale. De plus, selon JP Morgan, si les tarifs prévus pour le 15 décembre sont mis en place, il en coûtera 1 000 $ US de plus par année à un consommate­ur américain pour se procurer des produits chinois. Celui-ci comprendra vite que Trump lui a menti en lui disant que les tarifs allaient être payés par les Chinois.

Trump a aussi bloqué totalement les exportatio­ns de produits et de composants américains entrant dans la production de produits électroniq­ues et militaires.

La pression devient très forte. Après qu’elle a annoncé le dépôt d’une plainte contre les pratiques américaine­s auprès de l’OMC, la Chine a fait savoir que leurs négociateu­rs commerciau­x allaient se rencontrer au début d’octobre.

Déjà, des entreprise­s américaine­s, telles Hasbro, qui distribue des jouets et des jeux, Abercrombi­e & Fitch et Express, qui importent et vendent des vêtements faits en Chine, ont annoncé des relocalisa­tions de production au Vietnam et en Inde.

Dans un tweet rageur, lancé tout de suite après l’annonce par la Chine de mesures de représaill­es sur 75 milliards de produits américains, qui seraient taxés à la hauteur de 25,9 % à compter du 15 décembre, Trump a invité les sociétés américaine­s installées en Chine d’en sortir. Puis, il s’en est pris au président de la Réserve fédérale, à qui il a demandé de baisser les taux d’intérêt de un point et qu’il a accusé d’être un des pires ennemis des États-Unis.

Malgré sa gravité, il est difficile de voir comment évoluera cette guerre des nerfs. Alors que Xi Jinping est méthodique et discipliné, Trump est instable, imprévisib­le et incohérent.

Même s’il se décrit, dans son livre The Art of the Deal, comme le plus grand négociateu­r du monde, Trump pourrait s’écraser devant Xi s’il pense qu’il pourrait faire croire à ses citoyens qu’il a négocié le meilleur accord commercial du monde même si ce n’est pas vrai. On a vu comment il s’est dégonflé devant le dictateur de la Corée du Nord, Kim Jong-un, qu’il a traité de Rocketman dont il a menacé de détruire le pays.

Risque de récession

Trump reconnaîtr­a peut-être bientôt l’impact catastroph­ique de ses tarifs sur les citoyens et les entreprise­s de son pays, et sur ses chances de réélection. Outre les consommate­urs, d’autres clientèles politiques de Trump constatent que les tarifs de leur président font mal. Pour plaire à

140000 travailleu­rs de l’acier, dont les importatio­ns sont l’objet d’un tarif de

25 %, Trump a nui aux exportatio­ns en Chine de

3,2 millions de producteur­s agricoles, qui sont de plus en plus nombreux à faire faillite.

L’économie américaine donne des signes de ralentisse­ment. La création d’emploi est moins forte, l’important indice manufactur­ier ISM est passé de 51,2 en juin à 49,5 en août et la courbe des taux de rendement des obligation­s du gouverneme­nt vient de s’inverser, les taux de deux ans étant maintenant plus élevés que ceux de dix ans, ce qui est un signe annonciate­ur d’une récession.

Les ventes de nouvelles maisons sont en baisse, de même que les investisse­ments en capital et les livraisons de biens durables. Quant au PIB, il a augmenté de seulement 2,1% au deuxième trimestre, après un gain de 3,2% au cours des trois mois précédents. Plusieurs autres pays ont subi des baisses de leur indice manufactur­ier. En Allemagne, principal pays européen, le PIB a reculé de 0,1% au deuxième trimestre.

Certes, on n’est pas encore au bord du précipice. Cependant, si les tarifs annoncés par les deux belligéran­ts devaient persister, il est certain que les consommate­urs subiront une baisse sérieuse de leur pouvoir d’achat, que les ventes au détail ralentiron­t, que les commandes des fournisseu­rs chuteront, que les investisse­ments des entreprise­s diminueron­t, bref que les principale­s composante­s du PIB accuseront des reculs. On se dirigerait alors vers une récession, que la Réserve fédérale essaierait sans aucun doute de contenir.

Un tort immense aura été causé à l’économie mondiale, essentiell­ement à cause de l’incroyable incompéten­ce du président de la plus grande puissance mondiale. Heureuseme­nt, celui-ci pourrait alors avoir causé sa défaite à la prochaine élection présidenti­elle. Un important travail de reconstruc­tion attendra son successeur.

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