Les Affaires

Olivier Schmouker

- Olivier Schmouker olivier.schmouker@tc.tc @OSchmouker

Le ciel nous tombe sur la tête !

Le ciel est en train de nous tomber sur la tête, et nous nous contentons de plier l’échine. C’est l’ouragan Dorian qui a dévasté ce mois-ci les Bahamas et la côte est des États-Unis, en frappant jusqu’aux provinces de l’Atlantique. C’est encore la tornade qui a ravagé cet été Saint-Roch-de-l’Achigan, dans Lanaudière, là où l’on n’avait jamais connu la furie de vents soufflant à plus de 175 km/ h. C’est chaque fois la même chose : nous réparons les dégâts tant bien que mal, sans rien changer à nos habitudes, celles-là mêmes qui sont pourtant à l’origine de ces catastroph­es dites « naturelles ».

Comment expliquer une telle passivité devant le désastre ? Par le fait que nous ne

regardons que les impacts immédiats du changement climatique – la pluie plus abondante qu’auparavant, le soleil plus chaud d’un été à l’autre... –, et non ses impacts à moyen et à long termes. Oui, à force de plier l’échine, nous avons perdu de vue l’horizon...

Or, que se profile-t-il tout là-bas, à votre avis? De terrifiant­s nuages noirs bourrés d’éclairs s’y accumulent, à l’image de ce qui se passe dans la télésérie Stranger Things lorsque le Flagelleur mental jaillit sur la bourgade d’Hawkins. Voilà en effet ce qu’en dit une étude prévisionn­iste pilotée par Matthew Kahn, professeur d’économie à l’Université de Californie du Sud, à Los Angeles, à la tête de cinq autres chercheurs, dont un du Fonds monétaire internatio­nal, après avoir analysé en profondeur les impacts économique­s du changement climatique depuis 1960 dans 174 pays:

Si nous ne changeons rien à nos habitudes, le produit intérieur brut global chutera de 7,2% d’ici 2100. Et cela ne fera pas – comme on le croit trop souvent – qu’affecter les contrées les moins bien loties : « Tous les pays, les riches comme les pauvres, les chauds comme les froids seront touchés », est-il souligné.

Si nous ne changeons rien à nos habitudes, le PIB du Canada s’effondrera de 13,1% d’ici 2100, et ce, après avoir dégringolé de 4,4% en 2050 et de 1,4% en 2030. Ce qui fera du Canada le 6e pays le plus affecté par le changement climatique, le trio de tête étant constitué du Bhoutan (–17,8%), du Monténégro (–17,5%) et du Kazakhstan (–14,3%). Autrement dit, le Canada va être frappé de plein fouet, avec une puissance qui dépasse l’entendemen­t!

« L’accentuati­on des variations climatique­s nuit directemen­t à la productivi­té des êtres humains. Les pluies abondantes et les sécheresse­s interminab­les, tout comme les froids et les chaleurs intenses, rendent de plus en plus pénible le travail, en particulie­r dans les secteurs de la constructi­on, du transport, de la manufactur­e et de l’agricultur­e », note en marge de l’étude l’un de ses coauteurs, l’économiste Kamiar Mohaddes.

Une illustrati­on lumineuse en a été les sécheresse­s qui ont sévi en 2017 et en 2018 dans le Bas-Saint-Laurent, « les pires des 50 dernières années » : le foin s’est fait rare, ce qui a fait tripler le prix de la balle. « Une telle situation est intenable pour les éleveurs, à tel point qu’elle affecte non seulement leur productivi­té, mais aussi leur santé mentale. De plus en plus finissent par craquer, écrasés financière­ment et psychologi­quement, puis par vendre », relate Simon Dugré, coordonnat­eur du Centre d’innovation sociale en agricultur­e.

La question saute aux yeux: jusqu’à quand allons-nous supporter tout ça? Que va-t-il falloir pour nous voir réagir collective­ment? Quel drame, quel cataclysme?

Le Carbon Disclosure Project a compilé les prévisions des 200 plus grandes entreprise­s du monde et a réalisé que celles-ci estimaient que le changement climatique allait leur coûter globalemen­t 1 000 milliards de dollars, et donc, saper leurs profits « d’ici moins de cinq ans ». Idem, l’Economist Intelligen­ce Unit évalue les pertes à venir des investisse­urs financiers à 4 200 G$ d’ici la fin du siècle, en raison du seul changement climatique. Quant à l’Organisati­on mondiale de la santé, elle estime à 250000 le nombre moyen de pertes annuelles de vies humaines entre 2030 et 2050 à cause des vagues de chaleur, de la malaria et de la famine.

Pour António Guterres, la coupe est pleine. Le 23 septembre, le secrétaire général des Nations Unies va taper du poing sur la table lors de l’Assemblée générale, et sommer les chefs d’État du monde entier d’enfin passer à l’action. Entouré de 700 jeunes, dont la militante suédoise Greta Thunberg, il va leur dire que chaque pays vit à crédit, sur le dos de ses enfants, et que leur inaction revient à massacrer l’avenir de la génération Z. Puis, il va leur donner une mission: décarbonis­er leurs économies de toute urgente, « pour éviter la ruine de tout un chacun ».

Ce coup de tonnerre annoncé frappera-t-il juste? Qui sait? Peut-être bien qu’on parlera demain d’un avant et d’un après 23 septembre...

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