Les Affaires

Marché des aînés

- Anne-Marie Tremblay redactionl­esaffaires@tc.tc

Une aide à domicile à portée de main

Imaginez une maison intelligen­te : des capteurs permettent de savoir si l’aîné qui y vit a réellement pris sa douche la veille ou s’il a ouvert son frigo. S’il se lève la nuit, un chemin lumineux le ramène jusqu’à son lit. S’il laisse une casserole sur le feu trop longtemps, le rond de poêle s’éteint, en plus d’envoyer une alerte au personnel soignant ou à ses proches aidants.

Non, il ne s’agit pas de science-fiction. Plutôt d’une série d’innovation­s développée­s au sein du laboratoir­e de recherche en domotique et en informatiq­ue mobile à l’Université de Sherbrooke (DOMUS), qui collabore notamment avec l’Université de Montréal. « Nous travaillon­s avec une équipe multidisci­plinaire pour aider les personnes âgées fragiles qui ont besoin de soutien à domicile », explique Ariane Tessier, qui y agit à titre de profession­nelle de recherche.

Grâce à des capteurs installés dans la demeure des aînés – moins intrusifs que des caméras –, les chercheurs sont capables de déterminer leurs habitudes de vie. Les données recueillie­s permettent ensuite de déceler le moindre changement dans l’horaire de la personne vulnérable et d’intervenir en cas de besoin. « Si nous voyons qu’elle néglige de se nourrir, par exemple, nous pouvons l’inscrire à un service de popote roulante ou nous assurer qu’elle n’est pas malade », illustre Mme Tessier. Ce projet a été baptisé SAPA, pour Soutien à l’autonomie des personnes âgées.

D’autres outils technologi­ques sont sortis du laboratoir­e DOMUS, tels un four intelligen­t ou encore un calendrier et un téléphone numériques qui permettent entre autres l’utilisatio­n de commandes vocales et d’avatars. Les personnes âgées vulnérable­s peuvent également recevoir des rappels sonores pour des tâches aussi simples que se brosser les dents, se rendre à un rendez-vous médical, etc. « Nous avons développé ces projets en coconcepti­on avec les aînés afin de nous assurer que les produits seront adéquats pour eux, décrit la chercheuse. Et ces produits sont évolutifs. »

Un laboratoir­e vivant

Le système SAPA sera testé dans les prochains mois dans une trentaine de résidences à Montréal. Quant aux autres produits, ils pourraient être de plus en plus présents sur le marché d’ici peu. Une coopérativ­e de solidarité nommée Ixia a été fondée à cet effet l’an dernier en collaborat­ion avec des partenaire­s. L’objectif est d’entamer la commercial­isation de ces innovation­s, tout en conservant la démarche humaine et personnali­sée du laboratoir­e.

Plusieurs joueurs, dont certaines résidences de personnes âgées, se sont déjà montrés intéressés, indique Mme Tessier. « Nous sommes aussi en train de réfléchir aux différente­s possibilit­és de rendre ces technologi­es accessible­s au plus grand nombre, par exemple par des fondations. »

S’il est difficile d’évaluer ce marché, les données actuelles laissent croire que le nombre d’objets connectés pourrait passer de 30 à 75 milliards à l’échelle planétaire entre 2020 et 2025. Une bonne part d’entre eux viendront certaineme­nt enrichir les gérontechn­ologies. Pas étonnant que plusieurs acteurs s’intéressen­t à ces questions, donc.

Cette tendance touche aussi le Québec, confirme une analyse menée par le Centre facilitant la recherche et l’innovation dans les organisati­ons (CEFRIO). Mandaté par le ministère de la Famille en 2018 pour répertorie­r ces différente­s initiative­s, l’organisme en a comptabili­sé une centaine dans la province, dont l’applicatio­n Vermeille, qui permet aux usagers à mobilité réduite de Sherbrooke de planifier leurs déplacemen­ts en transport en commun, ou encore des start-up comme MedOClock ou Huddol, qui viennent en aide aux proches aidants. La première grâce à un

suivi virtuel de différents éléments médicaux, dont la prise de médicament­s, et la seconde en créant une communauté de soutien virtuelle.

« En menant cette recherche, nous avons réalisé que plusieurs projets demeuraien­t à l’échelle locale, même s’ils avaient le potentiel d’être développés à plus grande échelle. Même chose avec les centres de recherche, qui se demandent comment faire vivre leurs projets », explique Mélanie Normand, directrice de projet au CEFRIO. De ce constat est né le Laboratoir­e d’aide numérique à la vie autonome (LANVA).

Projet collaborat­if

Ce partenaria­t entre le CEFRIO et la Maison de l’innovation sociale (MIS) permet non seulement de mettre en valeur les bonnes idées, mais aussi d’en développer d’autres.

Appuyé par le ministère de l’Économie et de l’Innovation, le LANVA réunit les forces vives du domaine pour réfléchir aux technologi­es pouvant être mises en place dans différents domaines déterminés par le milieu, qui vont de la mobilité à l’aménagemen­t urbain en passant par la communicat­ion avec les proches. Sa démarche inclut tant des chercheurs que des entreprene­urs et des organismes communauta­ires, entre autres. « Nous avons décidé d’opter pour une démarche de type laboratoir­e vivant, qui nous permet de travailler avec différents partenaire­s, y compris les aînés qui deviennent des cochercheu­rs. Ce qui nous assure que les différents outils et services seront non seulement réellement adaptés à leur réalité, mais qu’ils seront faciles à utiliser pour eux », explique Patrick Dubé, codirecteu­r général de la MIS. « Cela nous aide à nous assurer que le tout sera plus facilement adopté par les utilisateu­rs par la suite », renchérit Mme Normand.

Fondé en 2018, ce laboratoir­e pourra faire émerger — et éventuelle­ment commercial­iser — des solutions novatrices destinées à permettre aux aînés de demeurer actifs à l’aide d’outils numériques. Le LANVA servira aussi d’intermédia­ire entre les petites entreprise­s, les fournisseu­rs de services et les centres de recherche, par exemple. Un projet pilote de deux ans permettra également de documenter l’ensemble de cette démarche.

« En menant cette recherche, nous avons réalisé que plusieurs projets demeuraien­t à l’échelle locale, même s’ils avaient le potentiel d’être développés à plus grande échelle. Même chose avec les centres de recherche, qui se demandent comment faire vivre leurs projets. » – Mélanie Normand, directrice de projet au CEFRIO

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Les chercheurs du laboratoir­e de recherche en domotique et en informatiq­ue mobile à l’Université de Sherbrooke (DOMUS) déterminen­t les habitudes des aînés grâce des capteurs installés dans leur demeure et peuvent ainsi déceler le moindre changement dans leur horaire.
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