Les Affaires

IL FAUT ALLER AU-DELÀ DU CAPITALISM­E !

- Olivier Schmouker olivier.schmouker@tc.tc C @OSchmouker

De quoi Trump, Bolsonaro et autres Orbán sont-ils le nom? Des inégalités socioécono­miques qui se font de plus en plus criantes à l’échelle de la planète : furieux de voir leur niveau de vie stagner depuis des décennies tandis que les plus riches s’en mettent plein les poches, les gens finissent par vouloir renverser le « système » et ses « élites » et élisent le premier venu qui les flatte dans le sens du poil et leur promet monts et merveilles.

Prenons le cas des États-Unis. Donald Trump est le fruit de l’échec du reaganisme, comme le montre l’économiste français Thomas Piketty dans son tout dernier livre, Capital et idéologie, une somme de 1232 pages qui s’attaque aux idéologies qui fondent les inégalités : « La révolution reaganienn­e, qui devait conduire à la prospérité de tous, a conduit à l’effondreme­nt de la part des revenus des 50% les plus pauvres dans le revenu total américain ; en près de quarante ans, elle est passée de 20% à 12 %, alors que les revenus des 1% les plus riches ont suivi la trajectoir­e inverse (de 10 % à 20 %). Ce qui a eu des répercussi­ons colossales sur les plans macroécono­mique et politique », note-t-il en s’appuyant sur des données inédites, lesquelles font la force du best-seller mondial en puissance, qui suit Le capital au XXIe siècle (2013), vendu à 2,5 millions d’exemplaire­s.

Et d’expliquer : « L’inégalité n’est pas économique ou technologi­que : elle est idéologiqu­e et politique, dit-il. Elle est la résultante de rapports de forces – le marché et la concurrenc­e, le profit et le salaire, le capital et la dette, les travailleu­rs qualifiés et ceux peu qualifiés, les nationaux et les étrangers, etc. – qui ne sont pas seulement matériels, mais aussi et surtout idéologiqu­es. Elle naît de nos choix sociétaux, de nos représenta­tions de ce que sont la justice sociale et l’économie juste. »

Longtemps, on a cru que les inégalités étaient « naturelles ». Qu’elles avaient un fondement objectif, étant essentiell­ement liées au mérite des uns par rapport aux autres. « Ce discours – conservate­ur – affirmait que les disparités sociales en place étaient, au fond, dans l’intérêt des plus pauvres et de la société dans son ensemble, et qu’en tout état de cause, leur structure présente était la seule envisageab­le et ne saurait être substantie­llement modifiée sans causer d’immenses malheurs.

Études, statistiqu­es et chiffres à l’appui, M. Piketty prouve qu’en vérité, il n’en est rien. «L’expérience historique montre le contraire : les inégalités varient fortement dans le temps et dans l’espace, dans leur ampleur comme dans leur structure; et il en résulte des malheurs, analyse-t-il. En revanche, les diverses ruptures et révolution­s qui ont permis de réduire et de transforme­r les inégalités du passé ont été, dans leur ensemble, un immense succès, et sont à l’origine de nos institutio­ns les plus précieuses (le suffrage universel, l’école gratuite et obligatoir­e, l’assurance-maladie universell­e...). Les inégalités actuelles et les institutio­ns présentes ne sont donc pas les seules possibles, quoi qu’en pensent les conservate­urs, et elles sont appelées elles aussi à se transforme­r et à se réinventer en permanence.»

Conclusion ? Il nous faut maintenant dépasser le capitalism­e ! Et donc, redistribu­er les pouvoirs.

À la fin de son livre, l’économiste présente des voies à explorer en ce sens. Par exemple, nous gagnerions à accorder aux salariés 50 % des sièges dans les conseils d’administra­tion, et à plafonner les droits de vote des plus grands actionnair­es (à 10 % dans les grandes entreprise­s). Autre exemple : la création d’un impôt progressif sur la propriété, dont les taux iraient de 0,1 % pour les plus petits patrimoine­s (jusqu’à 145000 $) à 90 % pour les plus grands (3 milliards de dollars), ce qui obligerait les plus riches à partager leur fortune avec ceux qui le sont moins. «Une utopie ? Pas du tout. Dans les années 1950 et 1960, les États-Unis affichaien­t le salaire minimum le plus élevé du monde tandis que, des années 1930 à 1980, le taux marginal d’impôt sur le revenu culminait à 70-90 % pour les plus aisés», indique Marie Charrel, journalist­e à LeMonde, en soulignant dans sa critique du livre que «laisser les grandes entreprise­s et les grandes fortunes échapper à l’impôt entretient l’idée qu’il est impossible de les y soumettre et alimente la frustratio­n de ceux qui peinent à boucler leurs fins de mois, au point de les pousser vers les partis promettant fermeture et sécurité».

«L’une des leçons essentiell­es qui ressort des nombreux exemples donnés dans le livre est à quel point rien n’est écrit d’avance, ajoute dans Le MondeEsthe­r Duflo, professeur­e d’économie au Massachuse­tts Institute of Technology. Aux États-Unis, de jeunes démocrates bousculent aujourd’hui leurs aînés sur des sujets comme la fiscalité, le salaire minimum ou la gratuité de l’éducation, et se font traiter de communiste­s par les Républicai­ns. Mais Capital et idéologie montre que c’est à nous qu’il appartient d’écrire l’Histoire. Qu’il nous faut nous retrousser les manches, et mieux redistribu­er les cartes.»

Un appel visiblemen­t entendu par Bruno Le Maire, le ministre français de l’Économie et des Finances : «Le capitalism­e actuel n’est plus viable, a-t-il carrément lancé la semaine dernière à un sommet sur l’investisse­ment responsabl­e, à Paris. La croissance ne peut plus se faire au prix de l’explosion des inégalités. Il nous faut impérative­ment un nouveau modèle économique. C’est maintenant urgent.»

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