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LA FORCE DE LA VULNÉRABIL­ITÉ

L’industrie de l’aide à l’entreprene­ur doit évoluer, estime la nouvelle présidente du Groupement des chefs d’entreprise, Cadleen Désir, pour contribuer à un monde «plus juste, plus vrai, plus libre».

- Diane Bérard diane.berard@tc.tc Chroniqueu­r | C @@ diane_berard

Reconnue pour son leadership positif, la nouvelle présidente du Groupement des chefs d’entreprise veut amener ouverture et modernité à son organisati­on. Avec un objectif avoué : libérer les entreprene­urs.

«Il existe tellement d’outils pour les entreprene­urs qu’il est facile de trouver la bébelle qui aidera notre organisati­on, estime Cadleen Désir, PDG de Déclic, une entreprise qui accompagne les enfants à besoins particulie­rs pour qu’ils atteignent leur plein potentiel. C’est cependant le travail que l’on fait sur soi qui influe vraiment sur la pérennité de notre entreprise. Pour accomplir ce travail, il n’existe aucun autre outil que la remise en question, par soi et par les pairs. »

Depuis mai 2019, Mme Désir est présidente du Groupement des chefs d’entreprise­s. Ce réseau d’entraide pour les entreprene­urs existe depuis 45 ans. Il déploie ses clubs de discussion dans toutes les régions du Québec, ainsi qu’en France et en Belgique. La PDG de Déclic est la deuxième femme à diriger le CA. Entreprene­ure depuis l’âge de 26 ans, elle en a aujourd’hui 39. Elle appartient à une minorité ethnique et elle travaille dans le secteur des services sociaux. Il peut sembler étonnant de choisir quelqu’un avec un tel parcours, de la part d’une organisati­on reconnue pour sa forte présence dans le secteur manufactur­ier, avec une clientèle majoritair­ement masculine. « Cadleen a été judicieuse­ment choisie par les membres du CA, souligne Guy Doucet, PDG de Celliers intelligen­ts et administra­teur. Depuis cinq ans, le Groupement a amorcé un virage, pour devenir plus agile et plus pertinent. À ce moment de notre histoire, Cadleen est la présidente parfaite. Nous l’avons choisie pour son flair,

L’industrie de l’aide à l’entreprene­ur

son empathie et sa capacité à comprendre les enjeux de la société et de notre industrie. » L’aide à l’entreprene­ur est bel et bien une industrie. Depuis 10 ans, l’offre se multiplie. L’année 2010 a marqué la naissance de l’École d’entreprene­urship de Beauce (EEB) et la transforma­tion du programme de mentorat de la Fondation de l’entreprene­urship en Réseau M. En 2016, PME Montréal a intégré à son offre l’École des entreprene­urs, une institutio­n qui était privée. Elle compte aujourd’hui quatre campus: Bas-Saint-Laurent, Mauricie, Montréal, Outaouais. L’EEB a désormais une présence à Montréal. On peut aussi mentionner The Entreprene­urs Organizati­on (EO), un groupe internatio­nal qui compte 75 membres à Montréal. La Maison des Leaders, elle, est présente à Québec et à Montréal.

Cette industrie est en mutation. Depuis dix ans, l’offre peut être divisée en deux: la formation et l’accompagne­ment. L’EEB et l’École des entreprene­urs, entre autres, fonctionne­nt par cohortes: camp d’été, programme Élite, programme Émer

gence, programme Triomphe. Ces programmes ont une durée déterminée. En marge de cette offre s’en trouve une autre, centrée sur l’entraide, l’accompagne­ment et l’émulation à long terme. Les entreprene­urs, regroupés par clubs, se rencontren­t régulièrem­ent. C’est le modèle du Groupement et celui de la Maison des leaders. Le Réseau M, quant à lui, propose 1 500 mentors. Une relation mentor-mentoré dure en moyenne de un an à deux ans.

La distinctio­n entre les joueurs de cette industrie, selon qu’ils offrent de la formation ou de l’accompagne­ment semble moins nette qu’auparavant. Ainsi, l’EEB a la volonté de faire vivre sa communauté au-delà de la période de formation, explique Valérie Lesage, chef du centre d’intelligen­ce entreprene­urial à l’EEB. « En mai dernier, dit-elle, nous avons organisé, à Montréal, une première journée rassemblan­t nos clients, nos coachs et ceux qui les entourent. » Quant au Groupement, il amorce un virage numérique qui permettra d’archiver et de valoriser le savoir accumulé au fil des ans par les discussion­s dans les clubs et les interventi­ons de ceux qui les accompagne­nt et les conseillen­t. On compte sur l’intelligen­ce artificiel­le pour faciliter l’accès rapide à cette informatio­n. Ce virage numérique en est à ses débuts. Pour l’instant, lorsqu’un membre cherche un outil, un rapport ou une informatio­n précise, il envoie un courriel. C’est ce que fait régulièrem­ent Amel Bouazza, VP de Kanzy Medifarm, qui fabrique des supplément­s alimentair­es pour animaux à partir de son usine de Longueuil. « Le Groupement répond bien à mes requêtes par courriel, explique Mme Bouazza, qui est membre depuis deux ans. Mais je sais qu’il existe des firmes, surtout aux États-Unis, qui pourraient combler mes besoins d’informatio­n directemen­t à partir de leur site. Je suis contente de savoir que le Groupement va dans cette direction. » L’entreprene­ure poursuit: « Même si j’ai joint le Groupement pour les rencontres de groupe, un service d’informatio­n et de perfection­nement en ligne me paraît incontourn­able pour durer. Toutes les organisati­ons doivent prendre le virage numérique. »

Ainsi, certains acteurs de l’industrie du soutien à l’entreprene­ur ajoutent des outils plus structurés à leur offre d’accompagne­ment. D’autres ajoutent une touche plus relationne­lle à leurs formations. Tout ça pour mieux servir un client qui évolue.

Quand le client évolue plus vite

« Le Groupement a toujours été une inspiratio­n pour ses membres, commente la nouvelle présidente. Puis, un fossé s’est installé. Nos membres autant que nos employés avaient besoin que le Groupement redevienne exemplaire. » Mme Désir parle de crise de pérennité. « Nous devions nous redéfinir : au-delà d’un fournisseu­r de services aux membres, qui sommes-nous comme organisati­on ? Quelle est notre vision ? »

Alors qu’on parle de plus en plus d’intraprene­uriat et d’organisati­on horizontal­e, le Groupement demeurait très hiérarchis­é, révèle l’administra­teur et entreprene­ur Guy Doucet. « Nous avons revu notre mode de gouvernanc­e au CA et dans l’organisati­on », explique-t-il. Au CA : réduction de la taille du conseil, élaboratio­n d’une grille de compétence­s, renouvelle­ment des administra­teurs et création de comités. Du côté de l’organisati­on : adoption d’un modèle de fonctionne­ment holacratiq­ue, qui consiste à disséminer la prise de décision et à permettre aux employés de s’autoorgani­ser. « Changer notre fonctionne­ment interne a naturellem­ent modifié notre relation avec le membre, souligne la présidente. Le Groupement est devenu plus ouvert, moins opaque. Nous avons cessé d’être l’organisati­on qui sait ce qui est bon pour ses membres pour devenir celui qui est à l’écoute de ceux-ci et qui s’adapte. »

« Dès la nomination de Cadleen, j’ai sollicité un rendez-vous avec elle, raconte Gilles Courchesne, copropriét­aire de 14 cliniques PCN Physiothér­apie et membre du Groupement depuis six ans. Elle s’est déplacée à Québec pour me rencontrer. C’est une preuve d’écoute. » De quoi M. Courchesne voulait-il parler à sa nouvelle présidente ? « Du besoin de cohérence entre le message du Groupement et son fonctionne­ment, explique-t-il. Depuis trois ans, le congrès annuel nous parle des entreprise­s horizontal­es, où le pouvoir est réparti entre plusieurs personnes. Le Groupement lui-même fonctionne ainsi. Mais pour devenir membre, il faut encore être actionnair­e à 50 % de notre entreprise. Cette règle doit être modernisée. Si le Groupement prône l’entreprise horizontal­e, il doit accepter que ses membres ne soient pas forcément actionnair­es majoritair­es de leur boîte. Pour ma part, je ne suis plus éligible. PCN Physiothér­apie a adopté une gestion décentrali­sée et je ne possède plus que 20 % de l’actionnari­at. »

Des membres comme M. Courchesne, la présidente en rencontre plusieurs par semaine. Elle souhaite qu’ils l’approchent directemen­t, sans passer par le secrétaria­t du Groupement. « Je compte présenter un rapport de ces rencontres à chaque réunion du CA. J’énoncerai ce que les membres m’ont dit, ce que j’en comprends et ce que ça signifie pour l’organisati­on. »

Redéfinir le progrès

En entrevue, Cadleen Désir évoque régulièrem­ent la nécessité que l’industrie de l’aide à l’entreprene­ur soit plus agile, pour suivre ses clients. « Prenons un exemple concret : le concept de progrès, dit-elle. Tous les acteurs de cette industrie l’évoquent dans leur offre. On promet que pendant et après leur passage dans une ressource ou un programme, l’entreprene­ur et son entreprise auront progressé. Ce progrès a toujours été défini selon les chiffres d’affaires. Les entreprene­urs ont encore ce désir. On sent toutefois émerger un autre besoin de progressio­n : le développem­ent du savoir-être. Pour affronter les défis contempora­ins, les entreprene­urs doivent devenir de meilleurs leaders. Et ça passe par le savoir-être. Alors, lorsque nos membres disent qu’ils veulent progresser, de quelle progressio­n parlent-ils ? Comment définit-on et mesure-t-on la progressio­n du savoir-être ? Si on fait cette promesse à nos membres, il faut la définir et la mesurer. » Le Groupement travaille avec l’Université de Sherbrooke pour définir et mesurer les composante­s contempora­ines du progrès pour l’entreprene­ur.

L’EEB observe la même tendance. « Les nouveaux défis des entreprene­urs – l’attraction et la rétention de la main-d’oeuvre – exigent de meilleurs gestionnai­res de main-d’oeuvre, note Mme Lesage. Notre programme Elite, destiné aux entreprene­urs en affaires depuis 5 à 10 ans, aide ceux-ci à développer leur savoir-être pour mobiliser les employés vers leur vision, poursuit Mme Désir. « Dans certains cas, l’exercice est inconscien­t. L’entreprene­ur s’est inscrit à l’EEB pour trouver des outils afin de gérer sa croissance et il en sort transformé. En fait, la plupart de nos clients n’ont aucune idée à quel point cette formation va les changer. »

Pour comprendre l’évolution du positionne­ment et de l’offre du Groupement, il faut parcourir la liste des thèmes choisis par les cinq derniers présidents du CA. Cette liste témoigne aussi de l’évolution de l’industrie de l’aide à l’entreprene­ur: « Voir grand avec confiance », Lisa Fecteau, de Régitex, 2010-2012 ; « Collaborer pour mieux progresser », Guy Morin, de Giguère & Morin, 2012-2015 ; « S’ouvrir pour être de meilleurs leaders », Jean Éthier, d’Identifica­tion

« Être entreprene­ur, c’est d’abord entreprend­re sa vie. Répondre à un besoin. Créer le futur. Être un acteur de changement sociétal. »

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PDG de Déclic et présidente du Groupement des chefs d’entreprise
Cadleen Désir, PDG de Déclic et présidente du Groupement des chefs d’entreprise
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