Les Affaires

Comment devenir de meilleurs capitalist­es

- Diane Bérard diane.berard@tc.tc Chroniqueu­r | diane_berard

Agent de changement —

Cet automne, les Nations Unies lancent le Global Investors for Sustainabl­e Developmen­t (Investisse­urs mondiaux pour le développem­ent durable), une alliance regroupant les directeurs généraux de grandes entreprise­s du monde entier, pour inciter le capital privé à investir dans la solution des enjeux planétaire­s. Nous en avons profité pour échanger avec Steve Waygood, expert en risque climatique et chef de l’investisse­ment responsabl­e chez Aviva Investors, membre du groupe britanniqu­e Aviva. M. Waygood et son équipe peuvent influer sur le sens des investisse­ments d’un portefeuil­le de 564 milliards de dollars.

DIANE BÉRARD – En juin dernier, lors de la Conférence de Montréal, vous avez assisté au petit déjeuner privé « Décroissan­ce ou développem­ent durable: deux visions ». Quelle est votre position? STEVE WAYGOOD – La faille principale de la décroissan­ce est qu’elle ne tient pas compte de la nature humaine. La décroissan­ce n’est pas une propositio­n motivante. Elle n’a pas le pouvoir de mobiliser les humains, de les pousser à l’action. Je crois qu’il faut plutôt harnacher le capitalism­e et les marchés financiers afin qu’ils contribuen­t à un développem­ent durable de la planète.

D.B. – On parle beaucoup d’occasions d’affaires liées aux enjeux climatique­s. Les investisse­urs peuvent donc tirer profit de la crise climatique? S.W. – Attention, ce message pourrait porter à confusion. En effet, lorsqu’il y a plus de risque dans le système, les investisse­urs peuvent s’enrichir, comme l’a dit Warren Buffet. Mais ce pari au détriment du bien-être des génération­s futures est irresponsa­ble. La prime au risque climatique que les assureurs peuvent tirer à court terme des individus et des entreprise­s ne vaut pas le prix que l’économie et la société paieront de façon permanente pour les changement­s climatique­s.

D.B. – De quelles occasions d’affaires parle-t-on au juste? S.W. – Cinquante trillions de dollars américains sont requis d’ici 2030 pour atteindre les 17 objectifs de développem­ent durable des Nations Unies. C’est l’équivalent de quatre plans Marshall ou de dix programmes Apollo. Ce sont ces occasions d’affaires qu’il faut encourager. Comment allons-nous mobiliser les banques, les compagnies d’assurance, les marchés boursiers et les individus pour investir dans des solutions utiles pour régler les enjeux sociétaux? Il faut diriger les capitaux privés vers les occasions d’affaires liées aux enjeux, pas vers celles liées au risque.

D.B. – Vous pointez trois failles du système financier, lesquelles? S.W. – D’abord, le système financier est conçu pour engendrer des comporteme­nts non éthiques et pour décourager la voix des clients. En fait, les clients estiment de facto que le système financier est non éthique, ce qui les dissuade de s’exprimer. Ensuite, on réduit la création et l’évaluation de valeur à des données quantitati­ves. On se fie au passé pour dicter l’avenir. Et on voit à très court terme. Enfin, notre façon la plus courante d’évaluer les entreprise­s, les flux de trésorerie actualisés (DCF), est en train de saper la planète. Cette méthode considère la valeur d’une entreprise selon ce qu’elle va rapporter et non en fonction de ce qu’elle possède. C’est ainsi qu’on accentue la pression de la croissance extrême.

D.B. – En somme, le marché financier est désuet... S.W. – Exactement. Nous traînons la même structure et le même fonctionne­ment pour le marché financier depuis Adam Smith! Et les Chicago Boys (N.D.L.R. l’École de Chicago est associée à une vision libérale de l’économie, aux marchés qui s’autorégule­nt et à une interventi­on réduite de l’État) ont enfoncé le clou. Le marché financier a été créé à une époque où aucun des enjeux du 21e siècle n’était imaginable.

D.B. – Le coût du capital doit être modulé en fonction du caractère durable de la stratégie des entreprise­s, dites-vous...

S.W. – De nombreuses entreprise­s sont frustrées de ne pas être récompensé­es pour leur stratégie axée sur le long terme. On peinera à s’en sortir si le système financier ne réduit pas le coût du capital pour les organisati­ons qui prennent des décisions d’affaires soutenable­s et qu’il n’augmente pas ce coût pour celles qui font le contraire. Il faut éduquer les investisse­urs, cela inclut les caisses de retraite, à la valeur du développem­ent durable. On ne se racontera pas d’histoire, c’est du boulot. Qu’il suffise de dire qu’à peine 10 % des signataire­s des Principes pour l’investisse­ment responsabl­e (PRI) prennent leur engagement au sérieux, on peut imaginer l’état d’esprit de ceux qui n’ont pas signé les PRI.

D.B. – La survie du marché financier et du système capitalist­e passe aussi par une meilleure compréhens­ion de celui-ci... S.W. – En effet, pour rénover une institutio­n, il faut la comprendre. Dans le cas du système financier, il faut décortique­r la chaîne d’approvisio­nnement de l’argent. Qui fait quoi? Quels sont le rôle et l’influence des détenteurs d’actifs, comme les caisses de retraite? Celui des banques d’affaires, comme JP Morgan? Comment l’industrie financière rémunère-t-elle ses consultant­s? Les agences de notation, comment pensent-elles?

D.B. – Revenons à votre spécialité, le risque climatique. La taxe carbone n’a pas très bonne presse... S.W. – Toute personne qui possède un minimum de littératie économique et de compréhens­ion de la crise climatique sait que la taxe carbone est au coeur de la solution. Internalis­er les coûts du carbone est incontourn­able. Je ne dis pas que ce sera facile. Nous traversons une période traumatisa­nte, entre l’ancienne et la nouvelle économie. Le gouverneme­nt doit cesser de se laisser distraire par les entreprise­s et prendre les décisions qui s’imposent pour une transition structurée. Nous avons l’informatio­n, nous avons les technologi­es, il faut agir.

D.B. – Vous estimez que les écoles de gestion ne forment pas de bons capitalist­es. Que voulez-vous dire?

S.W. – Je veux dire que ces écoles ne forment pas les futurs capitalist­es dont la société a besoin. On ne leur enseigne pas comment penser et agir pour faire face aux enjeux de la société. On ne leur apprend pas comment réfléchir pour contribuer à trouver des solutions plutôt qu’à perpétuer les problèmes.

« Notre marché financier date d’Adam Smith ! Une époque où aucun des enjeux du 21e siècle n’était imaginable. » – Steve Waygood, chef de l’investisse­ment responsabl­e, Aviva Investors

D.B. – Vous avez travaillé longtemps pour l’ONG WWF

(Fonds mondial pour la nature, en français), pourquoi avoir migré vers Aviva?

S.W. – Chez WWF, j’étudiais comment les marchés de capitaux pouvaient influer sur le développem­ent durable, avec un budget de 7 millions de dollars américains. Chez Aviva, notre groupe de 22 personnes peut influer sur des investisse­ments de 564 G$ CAD. J’ai les mêmes conviction­s qu’au sortir de l’université. J’ai simplement saisi l’occasion d’accroître mon pouvoir d’influence. Et puis, les politicien­s écoutent davantage les entreprise­s que les ONG.

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