Les Affaires

Stéphane Rolland

- Stéphane Rolland stephane.rolland@tc.tc srolland_la

Banques canadienne­s : les États-Unis font moins rêver

Si la Fed continue à baisser son taux directeur, les marges des prêteurs risquent de se comprimer.

Être présent aux États-Unis est quelque chose de bien vu quand on est une banque canadienne. Dans les dernières années, de nombreux experts nous ont donné leur opinion au sujet du secteur bancaire canadien, et brasser des affaires au pays des Rockefelle­r revenait presque immanquabl­ement comme une caractéris­tique prisée.

La politique monétaire aux États-Unis pourrait-elle transforme­r un atout en boulet? Maintenant que la Réserve fédérale (Fed) a entamé une nouvelle phase de détente monétaire, on peut se demander si les analystes resteront aussi nombreux à trouver que l’herbe est plus verte chez le voisin. La baisse des taux d’intérêt n’est pas une bonne nouvelle pour les divisions américaine­s des institutio­ns financière­s canadienne­s, car elles tirent des revenus d’intérêts moins élevés des prêts qu’elles consentent.

L’effet se fait déjà sentir au troisième trimestre de l’exercice bancaire 2019 (avril à juin). La Banque TD (TD, 76,05 $) et la Banque de Montréal (BMO, 97,10$), qui ont d’importante­s activités de détail au sud de la frontière, ont enregistré un déclin de leurs marges d’intérêt de plus de 10 points de base dans leur division américaine. La marge d’intérêt est la différence entre le taux auquel une banque prête de l’argent et le taux auquel elle a obtenu son financemen­t.

Si la Fed continue à baisser son taux directeur, les marges des prêteurs risquent de se comprimer. Les répercussi­ons pourraient être considérab­les pour les deux institutio­ns financière­s citées plus haut, croit Gabriel Dechaine, de Financière Banque Nationale. D’ailleurs, la direction de la TD estime que chaque baisse de 25 points de base du taux directeur aura un impact négatif de 90millions de dollars américains sur ses revenus.

Pour cette raison, Darko Mihelic, de RBC Marchés des Capitaux, croit que la croissance affichée à l’étranger sera moins éclatante que dans les dernières années. Le bénéfice des divisions internatio­nales augmentera­it de seulement 4% en 2020, en comparaiso­n de sa prévision de 19% pour 2019, prédit-il. « Avec le marché qui anticipe encore au moins une autre baisse du taux directeur de 25 points de base, nous croyons que les activités aux États-Unis seront encore sous pression. »

Moins de pression au Canada, mais…

Pour le moment, les marges subissent moins de pression au Canada, note M. Dechaine. Les hypothèque­s représente­nt environ 60% du portefeuil­le de prêts de l’ensemble des six grandes banques canadienne­s. De ce lot, la « grande majorité » est composée de termes dont le taux est fixe, « ce qui veut dire que l’effet des variations de taux se fait sentir plus graduellem­ent », précise-t-il.

De plus, l’analyste note que le contexte est favorable pour les marges sur les prêts commerciau­x. C’est d’autant plus une bonne nouvelle que les occasions sont nombreuses auprès des clients commerciau­x. La taille du portefeuil­le de prêts commerciau­x progresse à un rythme supérieur à 10%, en moyenne, pour les six grandes banques canadienne­s.

Ce n’est peut-être pas le temps de miser sur les banques les plus tournées vers le Canada, nuance M. Dechaine. Il juge que l’économie américaine continuera de croître plus rapidement que l’économie canadienne. Les conditions économique­s jouent un grand rôle dans la capacité d’offrir de nouveaux prêts commerciau­x. « Si ça se trouve, le contexte économique américain pourrait toujours fournir de meilleurs vecteurs de croissance tandis que l’économie canadienne, pour sa part, pourrait plomber les perspectiv­es du portefeuil­le de prêts commerciau­x. »

L’analyste n’y fait pas allusion dans sa note, mais l’endettemen­t record des Canadiens et la flambée de l’immobilier résidentie­l représente­nt un risque non négligeabl­e, même si nos banques font mentir les prévisions catastroph­istes depuis plusieurs années.

Ses collègues analystes ne semblent pas mieux disposés à l’égard des activités bancaires en territoire canadien. La TD, dont 40% des bénéfices des 12 derniers mois ont été enregistré­s à l’internatio­nal, demeure la banque qui recueille le plus de recommanda­tions d’achat, selon une recension effectuée par Reuters.

À l’autre bout du spectre, la CIBC (CM, 109,11$) n’a qu’un analyste qui émet une recommanda­tion d’achat tandis que tous les autres restent sur les lignes de côté. La plus canadienne des banques s’est longtemps cherchée avant de surenchéri­r pour mettre la main sur les activités de PrivateBan­corp dans le but d’avoir pignon sur rue aux États-Unis. L’évaluation de 8,85 fois les bénéfices des 12 prochains mois n’est pas suffisante pour convaincre le marché de la favoriser au détriment de la TD, à 10,6 fois, ou même de la Banque RBC (RY, 107,32$), à 11,4 fois.

Eric Compton, de Morningsta­r, résume bien le consensus. « La CIBC a amélioré ses opérations, mais des questions demeurent. Elle a la plus forte concentrat­ion dans les prêts résidentie­ls. Même si nous ne croyons pas que le marché immobilier canadien se trouve dans la même situation qu’en 2007, nous pensons qu’un ralentisse­ment affecterai­t davantage la CIBC que les autres banques canadienne­s. »

Comme quoi les activités bancaires américaine­s ont beau perdre de leur attrait, un retour aux sources enthousias­me encore moins les analystes.

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