Les Affaires

Robert Dutton

- Robert Dutton Professeur associé à l’École des dirigeants de HEC Montréal

En 2020, le Conseil du trésor du Québec évaluait à 28,2 milliards le « déficit de maintien d’actifs » (DMA) des infrastruc­tures matérielle­s québécoise­s, lequel est défini selon des critères qui n’apparaisse­nt pas indûment exigeants. Les deux tiers de ce déficit concernent les routes. Mais aucun actif sous la responsabi­lité de l’État québécois n’y échappe. Écoles, cégeps, université­s, réseau de la santé, transport en commun, équipement­s culturels, logements sociaux… le DMA est partout. Si on y ajoutait le coût de l’analphabét­isme fonctionne­l, du manque chronique de ressources humaines en santé, en services sociaux et en éducation, je frémis à l’idée du nombre de milliards de dollars auquel on arriverait. Bureaucrat­es et politicien­s besognent à résorber chacune de ces crises. Parfois depuis des années. Et il y en a encore pour des années. Dans le meilleur des cas. Pourquoi n’entendon jamais un décideur demander comment nous en sommes arrivés là ? Il est dans l’ADN des politicien­s de blâmer leurs prédécesse­urs. Les crises actuelles ne sont pourtant pas le fait de mauvais prédécesse­urs. Elles découlent de décennies de manque d’horizon, de manque de vision, de décisions à courte vue ou clientélis­tes, de manque de rigueur d’exécution, toutes permises par un abyssal déficit d’imputabili­té. Ces problèmes transcende­nt les gouverneme­nts successifs. Le problème est structurel. À défaut de s’attaquer à la source structurel­le des problèmes, on ne fera que multiplier les diachylons sur des cancers. On ne parle jamais de la mère de toutes les infrastruc­tures : l’État. C’est une infrastruc­ture immatériel­le. Elle est faite de répartitio­ns de responsabi­lités, de règles de gouvernanc­e, d’imputabili­té, de clarté des objectifs et des mandats, bref, de tout ce qui fait qu’on décide collective­ment quoi faire, quand le faire et comment le bien faire. Chaque fois qu’on dit qu’un problème est le fruit de décennies de négligence ou d’incurie, on évoque, sans le nommer, un dysfonctio­nnement de l’infrastruc­ture étatique.

Maladies chroniques

Ce dysfonctio­nnement est la source de tous les problèmes d’infrastruc­ture et autres maladies chroniques de l’État. L’État titube de crise en crise, la plupart auto-infligées par sa propre incurie. Quant aux crises d’origine externe, comme la COVID-19, elles révèlent une injustifia­ble impréparat­ion aux inéluctabl­es cygnes noirs. Je parle du Québec, mais je pourrais tout aussi bien parler des États-Unis, de l’Ontario ou du Canada. Il faut revoir les fondements de la gouvernanc­e de l’État et de son processus de décision. Où s’arrête le politique ? Où commencent les opérations ? Confions au politique les grandes orientatio­ns et le contrôle. En revanche, dépolitiso­ns les opérations. Si le ministre de la Santé gère plutôt bien la crise actuelle, il n’est ni sain ni normal qu’il soit le chef de l’exploitati­on de son ministère. Plusieurs ministères opérationn­els seraient avantageus­ement remplacés par des sociétés d’État ou d’autres organismes autonomes, à qui on confierait des mandats clairs, dont ils seraient imputables sur des objectifs mesurables à court et à long terme. Leurs dirigeants verraient leur rémunérati­on varier en fonction de l’atteinte de ces objectifs, une partie n’étant payable qu’après quelques années, en fonction des résultats pérennes. Oui, c’est un exercice difficile. Il est non moins nécessaire. Ce ne sont là que des pistes de réflexion — d’autres personnes peuvent favoriser d’autres stratégies. Mais à défaut d’un virage radical, nos enfants seront encore en train de parler des mêmes crises — en pire — dans 30 ou 40 ans. Soyons clair : je ne préconise ni la suppressio­n ni le rétrécisse­ment de l’État. J’en préconise une réingénier­ie radicale et courageuse. Vaste programme. De quoi occuper une commission d’enquête pendant un an ou deux...

 ??  ??

Newspapers in French

Newspapers from Canada