Les Affaires

Jean-Paul Gagné

- Jean-Paul Gagné

Après des mois de négociatio­ns et de surenchère, le Canadien National (CN) a finalement retiré son offre d’achat de Kansas City Southern (KCS), dont le réseau s’étend de Kansas City jusqu’à Mexico, avec des embranchem­ents vers des ports situés sur le Golfe du Mexique. KCS possède un réseau de 11 400 km de voies ferrées et emploie 6 500 personnes. Puisque l’offre du Canadien Pacifique (CP) pour l’achat de KCS tient toujours, il appert qu’elle a de bonnes chances de se réaliser. La transactio­n devra évidement être approuvée par le Surface Transporta­tion Board (STB), qui réglemente le transport ferroviair­e aux États-Unis, et par deux autorités réglementa­ires du Mexique en matière de transport et de concurrenc­e. Si la transactio­n a lieu, le CP pourra exploiter un réseau d’environ 32 000 km, soit l’équivalent de celui du CN, qui compte 31 400 km. L’achat de KCS par le CN aurait probableme­nt été jugé inacceptab­le par le STB en raison de son impact sur la concurrenc­e. Le CN a déjà une liaison reliant Chicago et la Nouvelle-Orléans sur la côté du Golfe du Mexique, ainsi que Mobile en Alabama. Il en aurait obtenu une autre plus à l’Ouest à partir de Kansas City. Le CP paiera 31 milliards de dollars américains (G$ US) pour KCS, incluant les 3,8 G$ US de dette de cette dernière. Chaque action de KCS sera payée en argent (90 $US) et en actions du CP (2,884). L’offre du CN avait déjà pris du plomb dans l’aile avec le refus unanime des cinq membres du STB, le 31 août, de permettre au CN de créer une fiducie de vote qui lui aurait permis de payer à l’avance les actionnair­es de KCS, conditionn­ellement à l’autorisati­on de la transactio­n. Le CP a déjà obtenu une telle approbatio­n. Ce refus du STB avait réjoui les investisse­urs, qui ont fait monter de 20 $ CA en quelques jours le prix de l’action du CN. Ceux-ci considérai­ent sans doute que le prix offert par le CN était trop élevé (sa dette aurait atteint 33 G$ US, soit 4,5 fois son bénéfice brut) et ils pensaient que la transactio­n souhaitée par le CN allait être rejetée par le STB. Peu après l’annonce du retrait de l’offre du CN, le 15 septembre, l’action du CN s’est appréciée d’un autre 5 $ CA. Il n’en fallait pas plus pour que le londonien TCI Fund Management, actionnair­e à la fois du CN (5,2 % des actions) et du CP (8 %), intervienn­e publiqueme­nt pour dénoncer la décision « perdue d’avance » du CN de s’être lancé dans l’achat de KCS. TCI demande maintenant le congédieme­nt du PDG du CN, Jean-Jacques Ruest, et les démissions de quatre administra­teurs, dont le président du conseil, Robert Pace. TCI s’est aussi lancé dans une bataille de procuratio­ns pour faire élire quatre nouveaux membres au CA du CN et demander de nommer Jim Vena au poste de PDG du CN. Jim Vena a travaillé 41 ans au CN avant de passer à Union Pacific, où il a contribué à réduire les coûts d’exploitati­on de 63 % des revenus à 56 % de 2018 à 2021.

L’héritage de Hunter Harrison

Jim Vena, qui est entré au CN comme serre-frein, est un émule de Hunter Harrison, qui a contribué à faire du CN la société de chemin de fer nord-américaine la plus efficace lorsqu’il en a été un haut dirigeant de 1998 à 2009. Hunter Harrison a ensuite répété cet exploit au CP, où il a fait passer le ratio d’exploitati­on de 81 % en 2011 à 62 % en 2017, année de son départ. Quand Hunter Harrison, un personnage plus grand que nature (il a été PDG de quatre transporte­urs ferroviair­es), s’est joint au CP à la suite d’une bataille de procuratio­ns menée par l’activiste new-yorkais Bill Ackman (Pershing Square Capital), le CP a dû compenser le CN pour faire annuler la clause de non-concurrenc­e de son ex-chef de la direction. Il est intéressan­t de constater que la bataille de procuratio­ns dans laquelle le milliardai­re Chris Horn de TCI s’engage est identique à celle que Ackman a menée pour imposer Harrison au CP, qui était alors la moins efficace des transporte­urs ferroviair­es nord-américains. Reste à savoir si Horn réussira lui aussi son coup. Autre facteur de frustratio­n pour le CN face au CP, huit mois après être devenu PDG du CP en 2012, Harrison a recruté son protégé Keith Creel, alors numéro deux du CN, pour en faire son propre numéro deux au CP, où ce dernier a ensuite succédé à son mentor en 2017. Or, c’est ce même Creel qui a concocté l’offre d’achat de KCS par le CP, ce qui a sans doute été vu comme un coup fourré par ses anciens collègues du CN, lesquels, sans tarder, se sont lancés dans la course pour l’achat de KCS. Le CN sort amoché de cette aventure audacieuse, hautement risquée et vraisembla­blement motivée par un esprit de revanche à la suite des blessures laissées par les passages au CP de Harrison et de Creel, qui était considéré comme une étoile montante au CN.

Offensive activiste

Le CN doit maintenant se défendre contre le fonds activiste TCI, qui, après avoir combattu avec succès la tentative du CN d’acquérir KCS, pourrait réussir à installer Jim Vena dans le siège du PDG du CN. Si ce dernier, qui est allé à l’école de Harrison, applique la même recette de réduction des dépenses au CN, TCI en sortira gagnant à nouveau, tout comme les autres actionnair­es. Rappelons que lorsque Vena a été le numéro deux du CN de 2013 à 2016, le ratio d’exploitati­on de ce dernier a baissé de 64 % à 58 %. Ce ratio est maintenant de 62 %, soit le plus élevé de l’industrie (taux moyen de 55 %). Également actionnair­e du CP avec 8 % des actions, TCI retirera des bénéfices de la croissance de la société de Calgary et de son accès au marché mexicain, grand gagnant de l’accord de libre-échange nordaméric­ain. Selon le CP, l’achat de KCS procurerai­t une synergie de 1 G $ US en trois ans. Cet échec du CN est un coup dur à l’orgueil de certains de ses dirigeants. Par contre, la société obtiendra de KCS un important prix de consolatio­n, soit l’encaisseme­nt de 1,4 G $ US en frais de résiliatio­n et frais de remboursem­ent des frais de résiliatio­n prévu dans l’entente avec le CP. Naturellem­ent, ces déboursés se retrouvero­nt dans la dette que devra contracter le CP pour acquérir KCS. Ainsi se termine un épisode peu glorieux de l’histoire du CN.

Le CN sort amoché de cette aventure audacieuse, hautement risquée et vraisembla­blement motivée par un esprit de revanche.

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