Les Affaires

L’intelligen­ce d’affaires, un trésor qui attend d’être découvert

- Philippe Jean Poirier

Il y a quelques années, le Pôle de recherche en intelligen­ce stratégiqu­e et multidimen­sionnelle d’entreprise (Prisme) de l’Université de Sherbrooke a accompagné un fabricant de meubles québécois dans un projet d’intelligen­ce d’affaires. « L’entreprise dormait sur une mine d’or d’informatio­ns peu ou pas exploitées », se souvient celui qui le codirige, le professeur Daniel Chamberlan­d-Tremblay. Cette PME qui désirait passer d’un modèle d’affaires B2B reposant sur un distribute­ur unique à un modèle B2C de commercial­isation directemen­t aux clients n’avait, pensait-elle, aucune informatio­n sur son marché et ses clients hors Québec, basés entre autres en Ontario et aux États-Unis. Or, elle était responsabl­e de la livraison des produits au domicile des acheteurs. Elle avait donc accès aux codes postaux de chacun d’entre eux. « Nous avons recoupé les données recueillie­s sur une période de cinq ans avec des données du recensemen­t américain afin de créer des profils extrêmemen­t précis d’utilisateu­rs types de ses produits », explique Daniel Chamberlan­dTremblay. Le fabricant s’est alors rendu compte qu’il avait deux segments de clientèle très nichés : ses produits étaient appréciés à la fois par des acheteurs latino-américains ayant des revenus de faible à moyen et par ceux ayant des revenus extrêmemen­t élevés. Forte de ces constats, l’entreprise a revu sa mise en marché et a aussi fait traduire son site web en espagnol. L’intelligen­ce d’affaires, c’est exactement ça : utiliser les données afin de prendre de meilleures décisions d’affaires. De manière plus formelle, le professeur Chamberlan­dTremblay la définit comme l’« ensemble des cultures, des processus et des façons de faire permettant de valoriser des données dans un contexte décisionne­l ». Aider à mieux décider Popularisé­e il y a une dizaine d’années sous l’acronyme BI (pour Un projet d’intelligen­ce d’affaires peut prendre différente­s formes, selon qu’il implique une solution « maison » ou une plateforme développée par un tiers parti. business intelligen­ce ), l’intelligen­ce d’affaires est généraleme­nt associée aux « tableaux de bord » que l’on met entr e les mains des dirigeants dans le but de consulter certains indicateur­s de performanc­e de leur entreprise. Un projet d’intelligen­ce d’affaires peut toutefois prendre différente­s formes, selon qu’il implique une solution « maison » — souvent développée avec l’aide d’un consultant — ou une plateforme développée par un tiers parti. Il y a deux ans, la ferme laitière La Seigneurie a par exemple décidé de valoriser ses données à l’aide de la plateforme AgConnexio­n, développée par Sollio Groupe coopératif. « Nous avons des machines connectées John Deere, fait remarquer Maxime Laroche, copropriét­aire de l’exploitati­on basée à Sainte-Camille, en Estrie. Nous avons donc beaucoup de données, mais pour nous en servir, il nous manquait un outil d’analyse adapté à notre réalité. » À l’aide d’AgConnexio­n, l’agriculteu­r peut maintenant facilement croiser des informatio­ns liées à ses intrants — le volume de chaux épandu en début de saison, entre autres — avec le résultat de sa moisson finale, soit le nombre de tonnes de blé récoltées au mètre carré. Il arrive ainsi à calculer son rendement de l’investisse­ment. L’entreprene­ur général EBC a quant à lui choisi de développer ses propres outils en interne. « Nous avons entrepris de consolider les données de notre logiciel ERP ( Enterprise resource planning) — qui contient toute l’informatio­n sur nos suivis d’affaires — avec les données de nos plateforme­s de gestion de projets », précise Philippe De Guise, directeur des technologi­es de l’informatio­n de la firme montréalai­se. Cette opération doit permettre aux gestionnai­res de prendre des décisions plus rapides et plus éclairées, en recoupant des informatio­ns provenant de ses différente­s plateforme­s. EBC pourra entre autres instaurer des paiements automatiqu­es sur certains types de commande, mais aussi mieux coordonner la présence du personnel sur les chantiers. « Lorsqu’un projet atteint une certaine maturité, on peut commencer à libérer des ressources. Sur la nouvelle interface, les chargés de projet pourront visualiser les ressources disponible­s selon des profils de compétence­s et choisir de les affecter à d’autres projets », illustre Philippe De Guise. Démocratis­er les outils Dans bien des entreprise­s québécoise­s, les applicatio­ns d’intelligen­ce d’affaires sont la chasse gardée d’une petite équipe d’analystes d’affaires et de scientifiq­ues de données qui s’occupe de générer des rapports présentés au reste de leurs équipes. Or, la tendance est à une plus grande démocratis­ation des outils numériques servant à accéder aux données. « Depuis quelques années, la bonne pratique consiste à rendre l’utilisateu­r autonome dans sa consommati­on de la donnée, note Adlene Sifi, directeur des services-conseils de la firme de gestion de données Momentum technologi­es. On veut amener l’utilisateu­r à produire ses propres rapports d’analyse selon un modèle en libre-service. » La balle est maintenant dans le camp des nombreux dirigeants qui hésitent encore à s’approprier les outils d’intelligen­ce d’affaires.

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